Pendant plus de dix années, notre Fédération a assuré la parution, avec l’aide de la rédaction de La Vie ouvrière, d’un encart professionnel hebdomadaire destiné aux métallurgistes. L’histoire de cette Vie ouvrière Métaux (VOM), forte de près de 500 numéros et de 4 000 pages, reste pourtant largement méconnue, en dépit de la richesse de son contenu, dans une période cruciale de notre histoire syndicale, des lendemains de mai-juin 1968 à la veille de l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981.
La « bataille des idées », du « lire et du faire lire CGT » est plus que jamais d’actualité, dans un contexte marqué par une concentration accrue des médias et par la place croissante prise par les réseaux sociaux. C’est pourquoi ce petit détour historique par cette expérience de la VOM nous a paru fort à propos !
La genèse (1967-1968)
L’accroissement des luttes, dans les premières années de la décennie soixante, ne se traduit pas par une progression de la diffusion de La Vie ouvrière. Bien au contraire, elle recule chez les métallurgistes, de 85 600 exemplaires (mai 1956) à 72 700 (novembre 1962) et 47 700 cinq années plus tard. Nombreuses sont pourtant les tentatives d’amélioration des ventes. Ainsi, en octobre 1967, l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne, suivant l’exemple de la Moselle et de Nantes, impulse un grand concours d’émulation entre les syndicats de la métallurgie d’une durée de quatre mois avec, en récompenses pour les meilleures vendeurs, des machines à écrire, des duplicateurs ou encore des sonos portatives.
Loin de baisser les bras, le comité exécutif fédéral du 27 octobre 1967 décide d’envisager la parution chaque semaine d’une édition professionnelle, sous la forme d’un encart de huit pages inséré dans La Vie ouvrière. Parmi les avantages attendus, on trouve celui de l’accélération de la circulation des informations, grâce au lien direct noué avec les lecteurs, tandis que la périodicité hebdomadaire offre une meilleure réactivité que le mensuel fédéral L’Union des métaux. Le coût s’élève à six millions d’anciens francs par numéro, ce qui implique la diffusion de 110 000 exemplaires au moins, soit à un syndiqué sur deux. Cet objectif, ambitieux au regard de la diffusion moyenne, est atteignable, dans la mesure où La Vie ouvrière spécial Impôts a été diffusée en 1967 à 133 000 exemplaires dans la métallurgie.
Une semaine d’information est initiée en janvier 1968 pour convaincre les syndicats de prendre en compte cette innovation, en multipliant le nombre de diffuseurs et en faisant appel aux syndiqués. À cette occasion, un numéro prototype est inséré dans La Vie ouvrière du 10 janvier 1968. On y trouve un éditorial de Jean Breteau, secrétaire général de la Fédération, évoquant les journées d’action unitaire lancée par les fédérations CGT et CFDT de la métallurgie les 23, 24 et 25 janvier, des rubriques consacrées aux bénéfices patronaux, à l’agenda fédéral, à l’actualité syndicale dans les entreprises, tandis que le dossier s’attarde sur les métallos de Grenoble – Jeux Olympiques d’Hiver oblige – et que la dernière page est consacrée à une enquête salaire chez Hispano-Suiza (Bois-Colombes). La Commission administrative confédérale du 6 mars 1968 se félicite dans sa résolution de « ses premières initiatives et expériences réalisées en vue de regrouper les moyens d’expression professionnels et interprofessionnels au niveau national ».
La vente de masse de La VO spéciale Impôt fait figure de test réussi, dans la mesure où 6 000 exemplaires de plus qu’en 1967 sont vendus. Fort de ce résultat, le premier numéro paraît « officiellement » le 3 avril 1968. Celui-ci est diffusé à près de 82 000 exemplaires et environ 1 200 lecteurs réguliers sont gagnés à la suite de cette première vente de masse. Le second numéro, le 1er mai, confirme l’intérêt des métallurgistes, avec une diffusion équivalente et 1 800 nouveaux lecteurs réguliers gagnés.
Les grèves de mai-juin 1968 bouleversent quelque peu le calendrier prévisionnel fédéral. Positivement bien entendu ! L’heure est à l’offensive, grâce à l’afflux de syndicalisation et aux droits nouveaux obtenus. C’est ainsi que la presse syndicale a désormais droit de cité sur le lieu de travail, à l’intérieur même des entreprises. Comme l’affirment Georges Séguy et Henri Krasucki, dans un courrier conjoint envoyé en septembre 1968 à l’ensemble des bases syndicales, « la présence ouverte du journal de la CGT, chaque semaine dans les ateliers et services, est par elle-même une affirmation des libertés conquises et un élément de confiance. Elle doit devenir rapidement une chose naturelle, indispensable à la vie normale d’un salarié. »
Dans le cadre de la préparation de son 26e congrès, la Fédération décide la sortie de trois numéros consécutifs de La VOM, les 23 octobre, 30 octobre et 6 novembre. Là encore, la diffusion ne diminue pas et progresse même légèrement. Cette expérience, ainsi que celles menées postérieurement par d’autres fédérations comme celle des services publics ou des cheminots, est débattue lors du comité confédéral national (CCN) des 7-8 novembre 1968. Henri Krasucki, membre du Bureau confédéral et directeur de La Vie ouvrière, salue dans son rapport « l’effort de rationalisation et de concentration de notre presse nationale de masse » et souligne la nécessité d’élever le niveau de diffusion, pour conquérir « des centaines de milliers de lecteurs ».
Fort de ces résultats positifs, le 26e congrès fédéral, en novembre 1968, confirme l’orientation prise et décide la parution hebdomadaire de La VO Métaux. Ainsi, « chaque semaine, notre Fédération s’exprimera dans une publication nationale, chaque semaine, notre orientation fédérale atteindra des dizaines de milliers de métallurgistes. » Ainsi, la presse fédérale sera « encore plus près de nos organisations, des travailleurs, car nous pourrons traiter, dans certains numéros, de la vie d’une USTM, d’un syndicat, nous pourrons traiter plus souvent des catégories, des branches industrielles, de leur activité. »
Une naissance sous le signe de la lutte !
Le premier numéro régulier paraît le 12 février 1969, le jour même d’une grande journée nationale d’action interprofessionnelle sur les salaires, destinée à peser sur le rendez-vous de mars 1969, prévue par le constat de Grenelle pour faire le point sur l’évolution des salaires et des prix. Les métallurgistes ont massivement participé à cette journée, à l’image des ouvriers des établissements Coutisson de Sotteville-lès-Rouen et de Rouen (Seine-Maritime), chez Berliet à Vénissieux (Rhône), chez Peyrard à Rive-de-Gier (Loire), chez Viralu-SKV à Chaumont (Haute-Marne), à la Nantaise de Fonderie ou aux chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les huit pages de ce premier numéro soient consacrées à la question du pouvoir d’achat et que sa « une » reproduise une photographie de Robert Doisneau figurant un billet de cent francs pris dans des engrenages.
Quel est le bilan, après une année de parution ? Au total, ce sont la publication de 450 échos des entreprises, de 60 reportages ou enquêtes et de près de 50 grilles de salaires publiées. Les sujets abordés reflètent les préoccupations du moment, entre évolution de la métallurgie en région parisienne, les femmes métallurgistes ou encore les propositions sur hiérarchie et classification salariales. En un an, la diffusion a progressé de 25 000 exemplaires, effaçant les pertes accumulées les six années précédentes, tandis que s’accroissaient le nombre de postes de diffusion de La Vie ouvrière, grâce aux décentralisations opérées dans les plus gros centres de diffusion et aux initiatives prises dans les bases syndicales ne diffusant aucune Vie ouvrière. Des progrès restent malgré tout à accomplir : englober davantage la diffusion dans l’activité syndicale, trouver de nouveaux diffuseurs, utiliser davantage les libertés syndicales obtenues et s’impliquer toujours plus, dans la mesure où il n’y a que 70 000 lecteurs de La Vie ouvrière Métaux, pour 2,3 millions de métallurgistes dont 400 000 syndiqués.
L’équipe
La parution hebdomadaire de La VOM, placée sous la responsabilité politique de la Fédération et en particulier de Lucien Postel, secrétaire fédéral en charge de la propagande. Né en 1931 et ouvrier spécialisé chez Férodo à Saint-Ouen, il était secrétaire de l’Union syndicale des travailleurs de l’automobile de la région parisienne et membre du comité exécutif fédéral de 1956 à 1963, avant d’intégrer le bureau, puis le secrétariat fédéral en 1964.
La confection du journal est assurée par deux rédacteurs, Luc Quinat et Jean-Claude Poitou. Le premier, né en 1927 et chaudronnier à la CIT à Paris, était membre du secrétariat de l’Union des syndicats CGT de la métallurgie de la Seine de 1957 à 1969, où il assuma notamment la direction de la publication du mensuel Le Métallo. Le second, né en 1930 et ouvrier-fraiseur chez Saurer à Suresnes puis chez chez Willème à Nanterre, était secrétaire général de l’Union locale de Nanterre de 1960 à 1965, avant de diriger deux années durant le bureau d’éducation syndicale de la Fédération syndicale mondiale à Bamako, au Mali.
Leur point commun était d’avoir tous les trois grandit dans un milieu catholique et d’avoir milité, soit aux Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC), soit à l’Action catholique ouvrière (ACO). L’équipe se renforce avec l’arrivée en février 1970 d’Henri Barreau. Né en 1912, il est fait prisonnier par les Allemands en 1940 et déporté en Allemagne. A son retour en 1945, il décida de devenir prêtre-ouvrier et est embauché l’année suivante comme mouleur à la Compagnie des compteurs de Montrouge. Il est durant près de vingt ans l’un des dirigeants de l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la Seine et membre de la commission exécutive fédérale de 1954 à 1959. Henri Barreau prend sa retraite à la fin de l’année 1975 et cède sa place à Yves Audève, qui assurait jusqu’alors la direction de la revue du comité d’entreprise de Renault, Contact.
La composition de l’équipe s’était précédemment modifiée, avec le départ de Jean-Claude Poitou en 1974 pour prendre la responsabilité de rédacteur en chef adjoint de La Vie ouvrière. Il est remplacé par Yvette Donas, une ouvrière spécialisée de l’électronique, chez Cabasse puis à la CSF et l’une des responsables du syndicat des métaux de Brest. Le dernier renouvellement intervient avec le départ de Luc Quinat à la fin de l’année 1977, pour le poste de rédacteur en chef adjoint de La Vie ouvrière. Il est remplacé par François Léger, jusqu’alors secrétaire du syndicat de Creusot-Loire, au Creusot.
Ils reçoivent le soutien ponctuel de l’équipe de rédaction de La Vie ouvrière, en particulier pour la réalisation de la maquette.
L’intégration dans la cotisation
Dans de nombreux syndicats, l’idée d’incorporer le prix de La VOM dans la cotisation syndicale fait son chemin. L’écart entre le nombre de syndiqués et d’abonnés à La VOM ne permet toutefois pas de le réaliser dans l’immédiat au plan national. Une première étape est proposée, avec la création d’un timbre VOM qui s’ajoute facultativement au timbre syndical. La carte syndicale 1970 comprend ainsi un volet supplémentaire de 12 cases destinées à recevoir chaque mois ce timbre. L’objectif affiché est de gagner des syndicats à la lecture de la VOM et de faire grandir l’idée de l’incorporation du prix de la VOM dans la cotisation syndicale. Cela suppose également que la diffusion de la VO n’est plus uniquement l’affaire des diffuseurs, mais également celle des collecteurs !
Le 28e congrès fédéral, en novembre 1973, constate la stagnation de la diffusion autour de 65 à 70 000 exemplaires depuis quatre années. Pour la relancer, la direction fédérale décide de soumettre une nouvelle proposition, celle de l’intégration de l’abonnement à La VOM dans les cotisations. 400 000 exemplaires seraient ainsi diffusés au lieu de 65 000, ce qui permettrait d’abaisser les coûts au numéro et de décharger les diffuseurs des lecteurs réguliers au profit de la prospection. Il ne s’agit pas d’une décision autoritaire, mais la volonté affichée d’organiser le débat dans les syndicats tout au long de l’année 1974, pour parvenir à cette intégration en janvier 1975. Cette proposition n’est pas à opposer à celle d’appliquer le taux d’1 % aux cotisations syndicales (voir à ce sujet le précédent numéro des Cahiers d’histoire de la métallurgie), dans la mesure où l’application de ce taux faciliterait financièrement l’intégration. Cette démarche s’appuie sur l’expérience de la Fédération des cheminots, dont la diffusion hebdomadaire progresse depuis qu’ils ont procédé à l’intégration d’un numéro par mois pour leurs syndiqués.
L’intégration totale, pour l’ensemble des numéros, représente cinq francs supplémentaires sur chaque cotisation mensuelle. Sa mise en application immédiate est difficile et implique un débat démocratique dans les syndicats et l’accord quasi-unanime des syndiqués. Il est donc proposé comme première étape de gagner une VOM par mois pour chaque syndiqué. Ce numéro sera celui du second mercredi de chaque mois. Les premières expérimentations d’intégration sont menées par les syndicats RNUR Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret), Bull Belfort, Dassault Bordeaux (Gironde), Air Ligne Champigny (Val-de-Marne), Manufrance Saint-Etienne (Loire), Thomson Malakoff (Hauts-de-Seine), SAFE Hagondange (Moselle).
En septembre 1975, un point est effectué sur l’intégration. Près de 100 000 syndiqués reçoivent la VOM au moins une fois par mois. C’est un succès incontestable, mais cela ne représente encore que le quart des effectifs syndiqués. Dans certains syndicats, l’intégration est allée plus loin, avec des intégrations bi-mensuelle, voire hebdomadaire.
Des difficultés techniques, liées à la gestion du fichier informatique des abonnés et des problèmes comptables sont constatées par le 29e congrès fédéral de novembre 1976. Toutefois, ces contretemps ne justifient pas le fait que de nombreux syndicats n’ont pas encore appliqués les décisions prises à une quasi-unanimité trois ans plus tôt.
Vers la disparition
On assiste à une lente mais régulière érosion des ventes de La Vie ouvrière Métaux, en dépit des efforts déployés pour gagner de nouveaux lecteurs et développer de nouvelles bases de diffusion et des enquêtes menées auprès du lectorat pour mieux coller aux attentes. Dans ce domaine comme d’autres, la Fédération subit de plein fouet la casse des branches industrielles, la désyndicalisation qui l’accompagne et les difficultés financières qui en résultent. En novembre 1974, la diffusion passe pour la première fois sous la barre des 60 000 exemplaires, puis des 50 000 en septembre 1978 et enfin des 40 000 un an plus tard.
En septembre 1980, les difficultés financières sont telles que la Fédération décide de réduire la pagination de 8 à 4 pages, à l’exception de celui du second mercredi du mois. Le 3 décembre 1980, un article intitulé « Au revoir… » dresse le bilan : « Votre VO a mené vaillamment toutes les grandes campagnes fédérales ; pour les classifications, la convention collective nationale, la publication annuelle de l’enquête salaires, etc. […] Dans nos 480 numéros nous avons abordés beaucoup, vraiment beaucoup de choses. En vrac : les luttes pour l’égalité des salaires, les nouvelles organisations du travail, les employés, les ouvriers spécialisés, la robotique, la téléphonie, la presse patronale et son évolution, les enquêtes sur les régions, les multinationales, l’informatique… Souvent, nous avons été les seuls à le faire. Puis bien sûr, l’encart a été l’instrument de masse pour informer sur les grandes batailles de branche, sidérurgie, machines-outils… sur les solutions de la FTM-CGT, à travers de multiples dossiers, reportages. […] La VO Métaux s’efface, vive la VO ! »
Le 12 décembre 1980, le dernier numéro paraît, clôturant cette expérience qui, malgré son échec, ne doit pas faire oublier que douze années durant, la Fédération a investit dans un formidable outil dont l’impact dans la bataille idéologique n’aura pas été négligeable, loin de là !