La politique financière n’est pas un sujet très attrayant, reconnaissons-le ! Pourtant, il ne faudrait pas réduire les finances à un problème secondaire, à une simple question administrative. À l’instar des statuts ou des structures territoriales et professionnelles, ces aspects sont au contraire éminemment politiques, puisqu’ils conditionnent l’activité syndicale, son ampleur et ses succès.

La cotisation est et doit rester le cœur des moyens financiers du syndicat. Toute autre ressource, fruit des luttes et du rapport de force, ne peut-être considérée que comme exceptionnelle. Cela implique de mener la bataille permanente de la syndicalisation, afin de garantir la pérennité et le développement de l’activité syndicale.

Donner à la CGT les moyens de son action

Si accroître le nombre de syndiqués est un objectif essentiel, l’organisation dispose également de deux autres leviers : le nombre de cotisations payées par adhérent et le barème des cotisations. Ce dernier a longtemps été fixé à une heure de salaire, primes comprises. Toutefois, les conquêtes obtenues avec les grèves de mai-juin 1968, l’afflux de syndicalisation et les perspectives ouvertes par l’unité syndicale CGT-CFDT et par le programme commun de la gauche impliquent d’aller plus loin, de ne pas se contenter d’une simple augmentation des cotisations, pour satisfaire les besoins nouveaux auxquels la CGT doit faire face.

Cet enjeu est abordé lors du 37e congrès confédéral, à Vitry, en novembre 1969. La résolution d’organisation mandate la commission exécutive confédérale « pour mettre au point une campagne nationale concernant le taux de la cotisation syndicale, avec l’objectif de donner à la CGT, à tous les niveaux, les moyens nécessaires pour faire face à ses responsabilités. » Cette campagne se matérialise notamment par la publication d’articles dans Le Peuple à partir de mars 1970. Marius Colombini, dans le n° 842 (1er-15 avril 1970), suggère que le prix du timbre devrait correspondre à une heure de salaire réel, et non – comme cela est encore trop souvent le cas – à une heure de salaire de base. Pire encore, il subsisterait encore trop souvent des timbres à 2,5 ou 3 francs, alors que le salaire minimum est à 3,36 francs. Parmi les pistes esquissées à la fin de son article, il préconise que, dans le cadre des négociations sur la mensualisation des salariés horaires, on base la cotisation sur l’ensemble des ressources mensuelles, avec un pourcentage à fixer, par exemple à 1 %. Marcel Caille, dans le n° 845 (15-31 mai 1970), dénonce pour sa part l’attitude qui consisterait à déshabiller Pierre pour habiller Paul, à réduire la part de l’interprofessionnel pour favoriser le professionnel ou vice versa. La complémentarité de ces deux plans impose de mener une politique financière audacieuse, en favorisant les adhésions nouvelles, en permettant aux syndiqués d’être partie prenante, par la démocratie syndicale, à la définition du taux de cotisation, en renonçant aux cotisations au rabais. Sur ce dernier point, Marcel Caille rejette « la croyance que c’est avec une faible cotisation syndicale que l’on fait beaucoup de syndiqués. » Au contraire, « les travailleurs viennent au syndicat pour se défendre, obtenir des résultats pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Une organisation qui n’a pas de moyens financiers ne peut avoir l’activité nécessaire, ne peut donc avoir un bilan positif et les travailleurs s’en détournent. » En outre, « la pratique des cotisations au rabais est néfaste, y compris au recrutement. Elle ne conduit pas à l’élévation de la conscience des syndiqués, car elle s’apparente au geste que l’on fait pour verser une cotisation à une assurance. » Enfin, « cette pratique est opposée à une saine gestion financière de l’organisation, car elle aboutit à rendre les activités de celle-ci trop dépendantes des ressources supplémentaires, lesquelles peuvent subir des aléas. »

André Berteloot, dans son intervention au comité confédéral national des 26-27 mai 1970, reproduit dans Le Peuple, n° 847 (15-30 juin 1970), estime que « le taux mensuel de l’heure de salaire réel est une référence d’ores et déjà dépassée. » Il propose de généraliser ce qui existe déjà dans certains syndicats, à savoir « un barème de cotisations établi par groupes ou catégories, en fonction des ressources moyennes mensuelles réelles, le taux de prélèvement syndical devant progressivement atteindre un minimum de 1 %. » Si la résolution adoptée par le comité confédéral national ne mentionne finalement pas l’objectif du taux de cotisation à 1 %, mais un minimum « d’une heure de salaire réel, prime comprise », l’objectif de relèvement est désormais fixé, à charge pour les structures interprofessionnelles et professionnelles de le mettre en œuvre. Un point d’étapes est réalisé à l’occasion du comité confédéral national des 24 et 25 novembre 1970. Les efforts réalisés par les organisations de la CGT en faveur de la politique financière sont salués et les différentes interventions, notamment celle d’Henri Tronchon pour la fédération des travailleurs de la métallurgie, confirment que le taux de cotisation à 1 % est l’objectif à atteindre.

À la Fédération des travailleurs de la métallurgie

La Fédération de la métallurgie, lors de son comité exécutif fédéral du 9 octobre 1970, valide l’orientation générale donnée par le comité confédéral national des 26-27 mai 1970 et prévoit « l’institution à terme d’un barème de cotisation établi en fonction des ressources moyennes mensuelles réelles, le taux de cotisation syndicale devant progressivement atteindre un minimum de 1 %. […] Dans l’immédiat, le CEF propose que la cotisation syndicale, qui devrait être partout équivalente à une heure de salaire réellement perçu soit calculée à raison de 0,6 % du salaire mensuel réel toutes primes comprises. Le calcul en pourcentage permet une juste hiérarchisation de la cotisation, chaque adhérent participant financièrement à la vie du syndicat dans une proportion égale à ses ressources véritables. » Le CEF ajoute que le problème des finances syndicales ne sera pas entièrement résolu par le relèvement du taux des cotisations, mais également en accroissant le nombre d’adhérents et en augmentant le nombre de cotisations payées dans l’année.

Une campagne est lancée dans la presse fédérale (Guide du militant de la métallurgie, Union des métallurgistes, Le Courrier fédéral) pour sensibiliser sur ces enjeux. Ainsi, le n° 216 de L’Union des métallurgistes de décembre 1970 rappelle, qu’après enquête auprès de 350 syndicats, la moyenne des cotisations pratiquées est d’environ 3,50 francs, tandis que le nombre moyen de cotisations perçues par carte se situe à 7,6 seulement.

L’objectif du taux de cotisation à 1 % est acté par le 27e congrès fédéral, à Grenoble, en février 1971, qui, après avoir consacré une demi-journée de débats à l’enjeu des finances syndicales, modifie l’article 11 des statuts fédéraux sur les cotisations syndicales. Monique Paris, dans son intervention, explique notamment : « Pendant des années, nous avons pris comme tremplin la cotisation égale à l’heure de salaire, et nous avons précisé par la suite, égale à l’heure de salaire réelle toutes primes comprises. Cette orientation a eu ses mérites et ses effets ; mais nous pensons que maintenant, avec l’application de la mensualisation et notre conception unique dans le cadre de la convention collective nationale, il faut formuler l’exigence du taux de la cotisation à 0,6 % du salaire mensuel tout compris comme première étape vers les 1 %. »

La postérité d’un objectif ambitieux

Avec l’adoption du principe du taux de cotisation à 1 % de la rémunération mensuelle en 1970, des progrès sont accomplis sans pour autant parvenir à atteindre cet objectif. Ainsi, lors de la seconde rencontre nationale des trésoriers, les 25 et 26 mai 1978, Ernest Deiss pointe que « certaines fédérations approchent et même dépassent le 1 %. D’autres, et les plus nombreuses, progressent peu et même stagnent. » Le même, dans son rapport financier soumis au 40e congrès confédéral à Grenoble en 1978, annonce que « le taux moyen se situe autour de 0,7 % ». L’idée est formulée, pour atteindre l’objectif, « que le taux de cotisation devrait être modulé en fonction de la rémunération, en partant de l’idée qu’une cotisation de 20 F est plus difficile à prélever sur un salaire de 2 000 F qu’une de 50 F sur un salaire de 5 000 F. […] Dans le cadre d’un éventail hiérarchique important, les cotisations pourraient globalement représenter 1 % de la masse salariale perçue par les syndiqués, mais être répartie  de façon différenciée entre ceux-ci, faisant supporter la charge davantage sur les hautes rémunérations et allégeant d’autant les plus faibles. ».

Si ce principe reste constamment évoqué par la suite, force est de constater qu’il perd de son acuité à partir de la seconde moitié des années 1980. La bataille pour le financement de la construction du complexe confédéral et interfédéral de Montreuil mobilise les énergies et la politique financière met l’accent sur le déploiement du prélèvement automatique des cotisations, la mise en place du carnet pluriannuel d’adhérent, la création du timbre confédéral alimentant le fonds national interprofessionnel (FNI), la redéfinition du rôle des collecteurs et des trésorier, l’établissement d’une clé de répartition des cotisations entre les différents échelons de l’organisation syndicale ou encore la mise en service de Cogetise et du Cogitiel.

L’article 34 de nos statuts actuels prévoit toujours que « […] cette cotisation est égale à 1 % du salaire net, toutes primes comprises, ou de sa pension ou retraite nette (régime de base + complémentaire) ». Pourtant, la bataille pour obtenir le respect de cet objectif par chacun de nos syndiqués reste plus que jamais d’actualité. Donnons à notre CGT les moyens de ses ambitions !