Ouvrier chez Renault, Alain Mennesson occupa différents mandats syndicaux avant de rejoindre la direction de l’USTM des Hauts-de-Seine. Son expérience en droit du travail acquise lors de la mise en œuvre des 35 heures dans les entreprises l’a convaincu d’accepter de prendre la responsabilité du service juridique fédéral jusqu’à son départ en retraite. Familier du cadre juridique encadrant le temps de travail, il nous livre ici un témoignage sur son évolution depuis le début des années 1980.

Un mot sur la définition de temps de travail ?

La durée légale, de 40 heures en 1936, de 39 heures en 1981 et de 35 heures depuis 1998, est importante, car elle fixe le seuil de paiement ou de récupération des heures supplémentaires. Mais elle est insuffisante, car le temps de travail effectif peut en être très éloigné. Avec l’annualisation – et aujourd’hui la pluri-annualisation – du temps de travail, la semaine de travail peut ainsi varier entre 0 et 48 heures !

La définition de l’effectivité est aussi un enjeu essentiel. Au XIXe siècle, dans les mines de charbon, le temps de travail était comptabilisé lorsque le mineur attaquait la veine de charbon. Exit le temps passé au vestiaire ou à descendre dans les entrailles de la terre ! Autre exemple, lors des négociations sur les 35 heures, le patronat a obtenu que les temps de pause ne soient pas décomptés comme temps de travail effectif.

Quelles sont les grandes tendances sur ce sujet depuis 1981 ?

De manière générale, on constate que le patronat a patiemment créé les conditions de pouvoir contourner le code du travail, avec l’obsession de réduire le prix du travail, d’accroître la « flexibilité », le tout pour maximiser les profits.

On remarque un élargissement continu des dérogations, par la remise en cause de la hiérarchie des normes sociales et du principe de faveur qui imposaient qu’une norme de rang inférieur ne pouvait être moins favorable au salarié qu’une norme de rang supérieur.

La première entaille à ce principe est obtenue par le patronat en 1981 et concerne le contingent annuel d’heures supplémentaires, limité dans le code du travail à 130 heures. Le patronat extorque la possibilité d’augmenter ou de réduire ce nombre par voie d’accords de branche et l’UIMM imposera 180 heures, puis jusqu’à 220 heures avec l’accord signé en juillet 1998.

Autre exemple, le forfait-jour né en 2000 avec la loi Aubry II. Applicable en principe aux cadres ayant une réelle autonomie dans leur organisation du temps, son champ d’application a été élargi dans de nombreux cas aux techniciens et agents de maîtrise, par simple accord d’entreprise. De même, le nombre de jours de travail – fixé à 218 jours, soit environ deux semaines de congés payés supplémentaires – s’accompagnait d’une majoration de 30 % du salaire annuel par rapport aux grilles de classification, afin d’anticiper le risque que les salariés au forfait-jour travaillent plus. Depuis 2008, le contingent peut atteindre 235 jours, si les salariés l’acceptent de  « gré à gré ». Mais cela ne suffit pas à l’UIMM qui propose, dans les négociations actuellement en cours sur le dispositif conventionnel, d’augmenter le contingent de 235 à 282 jours par an, soit 47 semaines à 6 jours ! Et bien évidemment, la majoration de 30 % ne serait plus garantie.

Quels enseignements pour aujourd’hui ?

Avec la multiplication des dérogations, le droit du travail se complexifie. Par exemple, la première circulaire du ministère du Travail pour l’entrée en vigueur des 35 heures faisait 196 pages. Autant dire que pas mal de camarades se sont sentis démunis. Avec les profondes attaques que subit le code du travail depuis une quinzaine d’années, il est incontournable que chacun s’informe, se forme syndicalement au droit du travail, consulte les publications juridiques de la CGT même s’il est évident que l’action juridique ne peut pas tout résoudre. Mais n’oublions jamais que les droits ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas !