Suite du premier épisode, que vous pouvez retrouver ici.

L’entrée en guerre en septembre 1939 se traduit par la suspension des négociations collectives et le gel des salaires. Rapidement, l’inflation érode le pouvoir d’achat, obligeant le régime de Vichy à adopter, à partir du printemps 1941, avec l’accord de l’occupant nazi, quelques mesures ponctuelles, tout en refusant une hausse générale des salaires.

Les grilles Parodi et Croizat (1945-1947)

À la Libération, les salaires restent au cœur des revendications, dans un contexte où les pénuries alimentent une inflation galopante. L’État conserve le monopole de fixation des salaires et opère une remise en ordre des salaires.

Cela prend la forme d’arrêtés et de décisions du ministre du Travail, A. Parodi jusqu’en octobre 1945 puis Ambroise Croizat de novembre 1945 à décembre 1946 et de janvier à mai 1947. Ces textes définissent, après consultation des syndicats et du patronat, le champ d’application (une industrie, une branche professionnelle), une hiérarchie salariale fondée sur le métier pratiqué et le niveau d’apprentissage et déterminent enfin, pour chaque échelon, une fourchette dans laquelle doit s’inscrire le salaire moyen.

Le premier arrêté, du 11 avril 1945, concerne la métallurgie. On remarque d’emblée la filiation avec la grille établie en 1936 pour les métallos de la région parisienne et que l’enjeu est d’élever le niveau des salaires et de relever les maxima. Malgré tout, la logique des abattements, c’est-à-dire la réduction des salaires pour les jeunes, les femmes ou selon la zone géographique, n’est pas remise en cause.

La loi de février 1950 acte le retour à la liberté de négociation des salaires, sans que les nombreuses conventions collectives territoriales n’abandonnent les grilles Parodi et Croizat. Bien au contraire, la FTM-CGT milite pour y intégrer les évolutions techniques et les défendre contre les tentatives de l’UIMM de réduire le rôle des classifications dans la détermination des salaires.

Une nouvelle classification (1972-1975)

Les grèves de mai-juin 1968 obligent l’UIMM à engager des négociations, notamment sur la refonte des classifications. Sur ce sujet, le congrès fédéral de 1971 impulse la revendication d’une grille unique de classification, dans le cadre de sa bataille pour l’obtention d’une convention collective nationale de la métallurgie.

Un accord est finalement signé le 21 juillet 1975, sans la CGT. Cette nouvelle grille rompt avec la logique des « listes de métiers » des grilles Parodi et Croizat, en instituant une nouvelle technique de classification, par « critères classant », après évaluation des postes. Le rôle primordial obtenu par les directions d’entreprise dans la décision de classement est contrebalancé par la reconnaissance des qualifications (les diplômes) de l’individu.

Malgré ce dernier point, la CGT juge l’accord insuffisant : la grille ne sert qu’à déterminer des minimas régionaux, sans référence au SMIC ;  absence d’échelle mobile des salaires pour garantir le pouvoir d’achat ; non-reconnaissance des agents de maîtrise ; exclusion des ingénieurs et cadres dont la grille est intégrée à la convention collective nationale de 1972 ; absence de déroulement automatique de carrière.

Depuis, des luttes victorieuses ont imposé des références pour les minimas, la création d’un coefficient 395 ou la reconnaissance de nouveaux diplômes, tandis que le patronat développait l’annualisation et l’individualisation des salaires, tout en essayant d’obtenir la suppression de la prime d’ancienneté en 1990 (voir Mensuel des métallurgistes d’avril 2017).

Cette grille de 1975, révisée à plusieurs reprises, reste aujourd’hui encore en vigueur. La volonté de l’UIMM d’y mettre fin, en liquidant notamment la reconnaissance des qualifications, doit nous conforter dans notre bataille pour imposer une grille de classification unique de l’ouvrier à l’ingénieur !

Bibliographie

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