Évoquer la solidarité morale et matérielle apportée par le mouvement syndical et la population aux républicains espagnols confrontés à la dictature franquiste, entre 1936 et 1975, est assurément une bonne chose. Aussi, l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie est heureux d’apporter sa modeste contribution qui aideront à mieux cerner l’ampleur et la constance de cette aide, tout en alimentant la réflexion sur la situation actuelle vécue par les populations réfugiées, sur notre territoire comme partout dans le monde.

Le temps a malheureusement manqué pour mobiliser l’ensemble des ressources disponibles pour cette contribution, dont le thème porte sur « les métallurgistes et l’aide aux enfants de républicains espagnols (1936-1939) ». Ainsi, les fonds disponibles aux Archives nationales n’ont pu être consultés, de même que ceux des Archives de la préfecture de police de Paris.

À l’exception de quelques rares traces, les archives de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie, de l’Union syndicale CGT de la métallurgie de la région parisienne et de l’Union fraternelle des métallurgistes, association chargée de la gestion du patrimoine immobilier des métallurgistes parisiens, ne recèlent pas de dossiers sur l’hébergement des enfants de républicains espagnols entre 1936 et 1939.

L’essentiel de cette contribution repose donc sur la thèse de doctorat de Célia Keren, les mémoires de master d’Aurélia Dufils, ainsi que sur le dépouillement des fonds d’archives dits « de Moscou » et la consultation méthodique des périodiques L’Humanité, Le Populaire, Ce soir, La Vie ouvrière et L’Union des métaux.

Une solidarité protéiforme

Avant d’en venir à l’accueil des enfants de républicains espagnols proprement dit, il est important de rappeler que l’élan de solidarité en faveur de la République espagnole a pris des formes variées : soutien moral au travers de lettres, de télégrammes ou de résolutions syndicales ; organisation de meeting, de réunion, de projection de films pour défendre la cause républicaine ; aide financière par la circulation permanente de listes de souscription ou l’organisation de gala ou de compétitions sportives ; acheminement de matériel, de vivres, de vêtements ; convoyage, par voie maritime et terrestre, de véhicules (camion, ambulance, voire avion) ; accueil et hébergement d’enfants, de femmes et de personnes âgées fuyant les combats ; envoi de volontaires pour combattre dans les brigades internationales, aux côtés des républicains espagnols.

Avec 800 000 adhérents revendiqués, dont plus de 200 000 en région parisienne, la Fédération des métaux joue bien évidemment un rôle de premier plan. La lecture de la presse ouvrière donne une idée de l’étendue de ces manifestations de solidarité.

On retiendra, par exemple, que le 18 septembre 1936, des « camarades de chez Renault quitt[ent] la place Nationale avec une camionnette sanitaire et deux gros camions chargés de victuailles pour les travailleurs espagnols. » De son côté, la section syndicale de la Société indépendante de TSF à Malakoff « a pris l’initiative d’acquérir une lampe d’émission, d’une valeur de 6 000 francs pour le poste gouvernemental de Radio-Madrid », afin de « combattre les nouvelles tendancieuses de Radio-Séville. » Les syndiqués des établissements Salmon et Gourdon-Lescure de Boulogne-Billancourt ont pour leur part équipé « un avion sanitaire pour [les] vaillants camarades blessés dans leur lutte héroïque contre le fascisme. Le moteur a été payé et mis au point par les ouvriers de chez Salmon ; la cellule payée et remise en état par [les] camarades de chez Gourdon et, ensemble, nous avons rempli l’avion de médicaments. »

Henri Jourdain, responsable pour les métallurgistes CGT de la région parisienne de la branche aéronautique, témoigne de cette solidarité : « Avec l’assentiment de Pierre Cot, ministre de l’Air, je contribue, modestement, à ce que soient fabriqués et réparés (en trop petite quantité) des appareils que Georges Gosnat, en particulier, par le truchement de France-Navigation, fait passer en Espagne malgré les écueils de la marine franquiste. Deux ou trois samedis de suite, des ouvriers de l’aviation ont travaillé bénévolement pour mettre au point des avions en partance pour l’Espagne ».

En janvier 1937, l’Union syndicale de la métallurgie de la région parisienne finance l’envoi de deux camions-ateliers, accompagné d’une ambulance offerte par la section syndicale des usines Gnome-et-Rhône. Pour sa part, la section de la M.A.P à Saint-Denis, forte de 180 syndiqués, annonce avoir collecté un an après le début de la guerre civile près de 16 000 francs, tandis qu’à l’occasion de la « Journée du lait pour les enfants de la République espagnole », les techniciens et les ouvriers de chez Bloch (SNCASO) à Courbevoie font parvenir 720 boîtes de lait concentré. Un chiffre battu par les ouvriers des usines Citroën à Levallois qui en expédient un millier en février 1938. Notons enfin que le 10 juillet 1938, une grande fête est organisée dans le parc de loisirs de Baillet-en-France, propriété de l’Union syndicale de la métallurgie de la région parisienne, pour commémorer le deuxième anniversaire du début de la guerre civile en Espagne. La partie artistique est assurée, entre autres, par Fernandel.

Au total, la solidarité reçue par la Fédération de la métallurgie pour l’Espagne républicaine s’élève à 825 310,30 francs, entre juin 1936 et mai 1939. Ce bilan exclut les sommes perçues par les syndicats, les Unions des syndicats des travailleurs de la métallurgie (USTM) et les structures interprofessionnelles. Ainsi, à titre d’exemple, l’Union syndicale de la métallurgie de la région parisienne a récolté 5 508 057 francs entre juillet 1936 et septembre 1938.

Ces actions de solidarité financière et matérielle se doublent de deux grèves générales d’une heure dans les usines de la métallurgie, particulièrement suivies, les 7 septembre 1936 et 10 novembre 1937, pour « protester contre les conséquences de la politique de non-intervention en même temps que pour la signature rapide de la convention collective et contre le retard apporté pour le rajustement des salaires. »

La Maison du Métallurgiste, siège de l’Union syndicale de la métallurgie de la région parisienne, sise au 94 rue d’Angoulême (devenue Jean-Pierre Timbaud en 1944) dans le onzième arrondissement parisien, est un lieu incontournable de l’expression de cette solidarité. C’est ainsi que s’y concentre le fruit des souscriptions financière et alimentaire et que se rassemblent les convois destinés à l’Espagne. C’est également en cet endroit que partirent et revinrent une partie des volontaires des Brigades internationales qu’il nous faut aborder maintenant. Fondées en septembre 1936 par l’Internationale communiste, elles rassemblent, selon une projection de Morgan Poggioli, environ 1 500 volontaires français appartenant à la CGT, parmi lesquels de nombreux métallurgistes. Si certains, comme Henri Rol-Tanguy, ouvrier qualifié chez Renault à Boulogne-Billancourt, Nessi à Montrouge et Bréguet à Villacoublay, sont restés dans les mémoires, d’autres sont tombés dans l’oubli, comme Jacques Casanova, du syndicat des métaux de La Seyne, tué sur le front du Jarama en février 1937, comme Raoul Lelaidier, tôlier-chaudronnier passé chez Citroën, mort le 18 avril 1939 dans un accident à Castelldefels en Catalogne ou encore comme Roger Korn, tôlier-mécanicien de Vitry ou Émile Kexran, tourneur de Drancy.

Pour finir, il faut mentionner la création, en octobre 1936, de la Centrale Sanitaire Internationale (CSI), mise sur pied par le docteur Pierre Rouquès, futur directeur de la polyclinique de l’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne, qui ouvre ses portes en novembre 1938 rue des Bluets, toujours dans le onzième arrondissement à Paris. La CSI a pour mission d’assurer le soutien médical et sanitaire des combattants espagnols et des volontaires étrangers, grâce au dévouement de médecins, d’infirmières volontaires, à l’envoi d’ambulances ou d’avion sanitaire, à la fourniture de médicaments.

L’accueil des enfants de républicains espagnols…

L’évacuation et l’accueil des enfants espagnols en France, objet de la thèse de Célia Kéren, a été principalement l’œuvre du « Comité d’Accueil aux Enfants d’Espagne » (CAEE), fondé en novembre 1936 sous l’égide de la CGT et de la Ligue des droits de l’Homme. Cette prise en main, par la CGT, n’allait pourtant pas de soi. Elle constitue une tentative de surmonter les lignes de fracture qui parcourent la CGT et les organisations du Rassemblement populaire, parti communiste excepté. Comme le soulignait à juste titre Rolande Trempé, « la CGT est unanime pour condamner le coup de force franquiste […] ; ce qui la divise, c’est la nature et la manière d’aider ceux qui se battent. » La cause des enfants présente l’intérêt de mobiliser largement, tout en contournant les débats sur l’attitude à adopter face à la politique de non-intervention du gouvernement français.

Célia Kéren insiste également sur la précocité des initiatives visant à héberger des enfants espagnols (dès août 1936), les racines anciennes de ce répertoire d’action du mouvement ouvrier français, ainsi que l’importance de la mobilisation syndicale et ouvrière dans cet accueil. Celui-ci a été de deux types : les familles et les colonies. Dans les deux cas, les métallurgistes ont été actifs.

… dans les familles de métallos

Là encore, la presse ouvrière ne manque pas d’exemples d’accueil d’enfants par des familles de métallurgistes ou de parrainage par des syndicats métallurgistes, dès les premiers mois de janvier 1937. Ainsi, l’assemblée générale des syndiqués Peugeot à Sochaux (Doubs) incite les salariés à rejoindre le comité local d’hébergement et envisage le parrainage de plusieurs pupilles par le syndicat.

À Pamiers (Ariège), où le premier employeur local est l’usine métallurgique appartenant à la société Commentry-Fourchambault-Decazeville, le comité local salue le résultat de la collecte effectuée en ville lors de la Journée nationale du 4 avril 1937 et souligne que seize familles ont demandé à accueillir des enfants.

En juin 1937, dans le canton de Poissons (Haute-Marne), une réunion animée par Bugnot, membre des « Amis de l’Homme » et par Malingrey, secrétaire du syndicat des métaux du Val-d’Osnes se conclut par un bel élan de solidarité : 670 francs sont récoltés, tandis que plusieurs familles sollicitent des adoptions.

En juillet 1937, le syndicat des métaux d’Anzin (Nord) lance des listes de souscription pour couvrir les frais d’hébergement des enfants recueillis à la colonie de la Petite-Synthe. En septembre, les premières listes rapportent près de 1 500 francs, notamment chez Escaut-et-Meuse et chez Brien, avant un second versement de 1 100 francs un mois plus tard.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de parrainages : un enfant par la section de l’atelier 259 des usines Renault Billancourt, six enfants par la section de l’usine SNCASO d’Issy-les-Moulineaux, trois enfants par la section de l’usine Alkan de Valenton, six enfants par la section Farman (SNCAC) de Boulogne-Billancourt ou encore le soutien financier apporté par la section de la SNCM (ex-Lorraine) d’Argenteuil aux familles des ouvriers de l’usine qui hébergent dix-huit enfants espagnols.

… dans les colonies des organisations syndicales métallurgiques

Le second type d’accueil consiste à héberger collectivement des groupes d’enfants. Les métallurgistes possèdent, au travers de l’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne, un premier château à Baillet-en-France (Val-d’Oise) et un second à Vouzeron, près de Vierzon (Cher) et, au travers de la Fédération des métaux, le château de Pont-Pinet à Tullins près de Grenoble (Isère). Ces trois propriétés, équipées pour accueillir des groupes, sont mises à disposition du Comité d’accueil des enfants espagnols (CAEE).

En l’absence de sources syndicales, il est difficile de retracer avec précision le parcours des enfants qui y furent hébergés. La base de données développée par Célia Kéren dans le cadre de ses travaux pourrait sans doute apporter davantage de précisions.

L’arrivée des enfants peut être approximativement datée de l’été 1937, respectivement en juin pour les cinquante-deux installés au château de Baillet et en juillet pour les trente-deux du château de Vouzeron. Ces effectifs sont stables jusqu’au déclenchement de la guerre en septembre 1939. Cette stabilité pourrait s’expliquer par un obstacle financier, comme le suggère un article de La Vie ouvrière de janvier 1938 : « Actuellement, cinquante enfants espagnols sont hébergés à Baillet, ce qui est trop peu. Si chacun des 265 000 syndiqués métallos de la RP versait un franc par mois, ce sont 3 000 enfants qui pourraient être sauvés, soit 60 fois plus. »

Il existe quelques témoignages de leur passage. Ainsi, pour le château de Baillet, on peut débuter par une visite des journalistes Pierre-Laurent Darnar et Pierre Delon, relatée en ces termes : « Soudain, au détour d’une allée, nous trouvons une bande d’enfants, pleins de santé, qui nous sautent au cou. Ce n’est pas un des moments les moins émouvants de notre visite ! Le syndicat des métaux héberge au château de Baillet cinquante enfants espagnols dont on devine qu’ils sont choyés et gâtés ! Ils ont leur petit domaine à eux, où ils jouent à l’aise. Ils ont leur école, avec leur institutrice. Surtout, ils ont l’affection de tous ces papas et ces mamans qu’ils nous rendent par leurs bons gros baisers. » Roger Linet, secrétaire du syndicat des métaux du dixième arrondissement à Paris, évoque, de son côté : « on y organisait une fête annuelle, cela avait un succès fou, des vedettes y venaient et… je me rappelle plus de la date, et si… c’était la guerre d’Espagne à l’époque. Des familles françaises avaient adopté des petits espagnols pour une forme d’aide à la lutte des républicains espagnols contre Franco et quand les avions – on avait un aérodrome des métallos pas loin de Baillet, à Persan-Beaumont – on avait quatre petits zinzins qui marchaient bien parce que c’était des copains qui étaient compétents et qui survolaient la fête de Baillet. Les gosses, avaient peur, se réfugiaient sous les cottes des mères d’adoption « Franco, Franco, Franco ! ». On était émus, on se rendait compte, cela avait une signification. À côté des choses de la fête, de liesse, y’avait cela, ce rappel à une réalité ! »

Pour le château de Vouzeron, le témoignage est exceptionnel, car audiovisuel. En effet, dans le film Les Métallos, commandé par l’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne au réalisateur Jacques Lemarre en 1938, le château de Vouzeron est à particulièrement à l’honneur. Une scène retiendra plus particulièrement notre attention. Des enfants chantent et dansent dans un parc, non loin d’un superbe château de style Renaissance. Une ronde s’organise avec de très jeunes enfants espagnols et une séquence présente une petite fille espagnole qui danse, tandis que ses camarades entonnent un chant espagnol. Ainsi, l’idée de fraternité entre les peuples est illustrée par le partage des cultures à travers les enfants.

Construit comme un documentaire, le film Les Métallos ne reflète toutefois déjà plus la situation lors de ses premières projections en public aux premiers mois de l’année 1939. L’échec de la grève générale du 30 novembre 1938 contre l’entrée en vigueur des décrets-lois Raynaud-Daladier, dont le contenu remet en cause les conquêtes de mai-juin 1936, fragilise considérablement la CGT. Les poursuites judiciaires, les milliers de licenciements décapitent les directions syndicales dans les entreprises, tout en exacerbant les tensions en son sein. L’effort financier en faveur des licenciés du 30 novembre est privilégié, au détriment des républicains espagnols, ce qui n’empêche pas que les difficultés financières contraignent certaines victimes de la répression à renoncer à accueillir un enfant. Cela s’ajoute au rappel des réservistes fin septembre 1938, qui avait laissé bon nombre de foyers avec la seule allocation militaire.

La fin d’une cause

Deux événements majeurs de l’année 1939, la défaite de la République espagnole le 1er avril et l’entrée en guerre de la France le 1er septembre, accélère l’épilogue de cette histoire.

Au printemps 1939, un demi-million de réfugiés espagnols, parmi lesquels 70 000 enfants, fuyant la Catalogne arrive en France, ce qui impose, avec une acuité nouvelle, de nouvelles actions de solidarité. La presse ouvrière en témoigne, même si les exemples sont moins nombreux. Les sections syndicales Garnier et SGCM de La Courneuve versent ainsi le bénéfice produit par leur fête du 11 février, auquel est ajouté le fruit de la collecte mensuelle, « à titre de secours aux femmes, enfants, vieillards réfugiés en France. » De son côté, le syndicat des métaux de Nogent (Haute-Marne) accueille soixante réfugiés espagnols, femmes et enfants à partir de mi-février 1939. Le parrainage est assuré en partenariat avec le syndicat de Froncles.

L’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne n’est pas en reste. Fin janvier 1939, elle envoie ainsi une première lettre à la délégation espagnole pour l’enfance évacuée, dans laquelle elle fait part de sa volonté de « contribuer, dans la mesure de ses moyens, à une tâche élémentaire d’humanité et de solidarité, de recueillir et héberger […] cinquante nouveaux enfants » au château de Vouzeron. Quelques jours plus tard, illustration de l’afflux massif des réfugiés, l’Union publie un communiqué dans lequel elle annonce mettre « à la disposition des enfants espagnols la colonie enfantine de Vouzeron où 250 d’entre eux pourront très rapidement rejoindre les cinquante déjà hébergés par le syndicat. » Elle lance à cette occasion un « appel pressant pour des vêtements chauds, des chaussures, des chandails, du linge propre, pour des enfants de 5 à 14 ans, à apporter de préférence à la Maison des Métallos. » Trois jours plus tard, un nouveau communiqué annonce la possibilité d’accueillir 350 petits réfugiés ainsi qu’une centaine d’adultes, sous réserve de percevoir la participation financière prévue par le gouvernement. Finalement, un convoi de 400 réfugiés, femmes et enfants espagnols, parvient au château de Vouzeron le 7 février.

Pour sa part, la Fédération des métaux décide notamment, lors de son bureau fédéral du 6 février 1939 d’allouer la somme de 25 000 francs pour l’hébergement des enfants espagnols et l’envoi de deux médecins et huit infirmières à la frontière française. En avril, elle prend la décision d’accueillir les enfants et les femmes des militants de la Fédération des métaux d’Espagne dans son château de Pont-Pinet, près de Grenoble. Pour participer financièrement à cet accueil, elle en appelle aux collectes et à la vente de cartes de solidarité illustrées.

Le rapatriement des enfants réclamés par leurs parents en Espagne franquiste, longtemps retardé par les comités d’accueil est peu à peu accepté, surtout après avril 1939 et la défaite des républicains. Le CAEE entre progressivement en sommeil, avant d’être démantelé définitivement à la fin de l’année 1939.

Une lettre d’Henri Gautier, administrateur de l’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne, à Georges Buisson, membre du bureau confédéral de la CGT et de la direction du CAEE, datée du 7 septembre 1939, témoigne bien des difficultés et des inquiétudes rencontrées : « Je t’adresse des lettres qui m’ont été remises par les petits espagnols actuellement en attente dans notre parc de Baillet. Je profite de la présente pour t’indiquer, ce que je n’ai pu faire par téléphone, qu’un grand nombre de nos camarades métallurgistes de la région parisienne, qui avaient pris des enfants espagnols en 1937 ne peuvent plus les garder, étant mobilisés. Ils nous les remettent, mais nous avons encore actuellement 181 réfugiés espagnols à Vouzeron, plus 332 petits français et leurs surveillants à notre charge et nous nous demandons anxieusement, comment, avec les événements, nous allons pouvoir y faire face dans un avenir prochain. Il n’est pas possible que nous augmentions nos charges, mais il est également impossible de laisser les enfants recueillis par nos camarades, sans aide. Je voudrais que tu me fasses savoir ce qu’il convient de faire. »

Cette situation ne trouve un terme définitif qu’avec la dissolution de l’Union syndicale des métallurgistes de la région parisienne, en vertu du décret-loi du 26 septembre 1939 sur la dissolution des organisations communistes, par une décision du tribunal civil de la Seine du 15 novembre 1939 et le placement sous séquestre de ses biens par l’administration des Domaines le 21 février 1940.

Une liste des enfants espagnols hébergés au château de Baillet a été enregistrée le 13 novembre 1939. On y apprend que ces enfants ont été transférés à la « Colonie enfantine espagnole Iberia, 19 chemin des grillons à Lyon Ve arr. ». Cette liste comporte les noms, âge et lieu de naissance des enfants, mais également le nom des parents, leur situation (décédé ou non) et leur adresse. Cette liste comporte quinze noms, des enfants âgés de 7 à 16 ans. Quatre d’entre eux viennent de Madrid, sept de Bilbao, deux de Barcelone, un de Santander et un n’ayant aucune adresse. Cinq d’entre eux ont les deux parents décédés et huit on l’un de leur parent décédé ou prisonnier de guerre.

Pour le château de Vouzeron, la situation reste inconnue.

Désormais, l’avenir de ces enfants espagnols est entre les mains de nouvelles structures, à vocation strictement humanitaire, qui viennent en aide plus largement aux réfugiés dont les flots ne cessent de grossir avec l’embrasement de l’Europe.

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