Ce titre, provocateur, d’un colloque tenu à Montpellier en 1986 nous rappelle que les attaques contre le code du travail ne sont pas nouvelles. La loi El Khomri n’est en effet que la dernière-née d’une entreprise de démolition de longue haleine que patronat et gouvernements successifs ont justifiée par l’« archaïsme », la « complexité » du droit social français.
Ce droit – dont une partie seulement est codifiée – s’est constitué progressivement, sous la pression des luttes. À cet égard, les propositions faites en mars 2016 par la CGT, pour construire le code du travail du XXIe siècle, s’inscrivent dans le prolongement du combat mené depuis plus d’un siècle pour améliorer les conditions de vie et de travail des salariés. Comment oublier par exemple le rôle d’Ambroise Croizat dans la genèse de la Sécurité sociale ou des comités d’entreprise ?
Il n’est donc pas inutile de nourrir la réflexion par une brève immersion dans l’histoire du premier code du droit du travail.
Au XIXe siècle, ce droit est fixé par des usages qui diffèrent dans le temps selon les régions et les branches. Leur codification, dans des recueils ou des accords collectifs, est limitée et leur respect assuré par les conseils de prud’hommes.
Dans son entreprise, le patron est alors tout-puissant, grâce au contrat de louage – ancêtre du contrat de travail – et au règlement d’atelier, auxquels l’ouvrier est sensé avoir consenti librement. L’exploitation des classes laborieuses et la multiplication des catastrophes manufacturières sont cependant telles qu’un embryon de législation est mis sur pied pour protéger les femmes et les enfants, améliorer les conditions d’hygiène et de sécurité et encadrer la représentation collective des salariés.
Peu à peu, le droit du travail s’émancipe du droit civil et commercial, comme l’indiquent la création du ministère du Travail en 1906 et la promulgation progressive du premier code du travail entre 1910 et 1927.
Cette codification « à droit constant » permet d’ordonner des textes épars, pour que l’administration en comble les carences et tente d’endiguer les grèves en échange de la satisfaction de quelques revendications. Le patronat y est – sans surprise – déjà hostile. Pour sa part, la CGT accueille avec indifférence la parution du code en 1910, concentrant toute son énergie pour obtenir la libération de Jules Durand, un docker havrais condamné à mort. Elle oscille entre méfiance à l’égard d’un État briseur de grèves et promoteur d’un syndicalisme domestiqué et pragmatisme à l’égard d’une législation qui, bien qu’insuffisante, représente tout du même une amélioration de la condition ouvrière.
Cette posture a perduré jusqu’à nos jours, comme en témoigne l’appréciation critique de la CGT lors de la promulgation des nouveaux codes du travail, en 1973 puis en 2007-2008. Ces opérations de réécriture « à droit constant », ne furent pas l’occasion, comme le demandait le mouvement syndical, de promouvoir de nouveaux droits, mais plutôt d’intégrer les évolutions du droit en glissant parfois de discrètes remises en cause.
Pour autant, le droit et le code du travail doivent être défendus pour ce qu’ils représentent pour les travailleurs : le fruit de la sueur, du sang et des larmes de plusieurs générations de femmes et d’hommes, une garantie fragile de leurs conditions de travail et de vie, une étape sur le chemin de leur émancipation.