Tout débute par la découverte fortuite d’un article dans L’Humanité du 3 août 1939, baptisé « À l’école de rééducation du syndicat des métaux, les élèves ont construit un magnifique avion ». De quoi retenir l’attention ! En première page, le quotidien reproduisait une photographie, prise en plongée, d’une foule se pressant autour du fuselage d’un appareil monoplan fin et racé auquel ne manquaient que les gouvernes de direction et le moteur[1].
La lecture de l’article nous apprend que la veille, dans la grande salle Henri-Barbusse de la Maison du métallurgiste installée au 94 rue d’Angoulême à Paris (XIe arrondissement), la presse parisienne a été conviée par le syndicat CGT des métaux de la Seine à découvrir l’avion construit par son école d’apprentissage et de rééducation professionnelles qui était installée à deux pas de là, au 7 impasse de la Baleine.
Voilà qui donne envie de creuser ! Tout d’abord sur cette fameuse école. Même si les archives de l’Union fraternelle des métallurgistes et de la Fédération semblent muettes sur cette réalisation syndicale, il en subsiste quelques traces dans la presse. Annoncée lors d’une intervention radiophonique de Benoît Frachon le 22 janvier 1937[2], celle-ci est inaugurée le 1er mai 1937, le même jour que la Maison du métallurgiste. Équipée de 17 tours, de deux fraiseuses, d’une rectifieuse, d’un étau-limeur, d’une raboteuse et de cinquante étaux d’ajustage[3], elle est dirigée par un directeur et encadrée par quatre moniteurs, tous anciens ouvriers très qualifiés[4].
Elle propose aux chômeurs, après entretien et période d’essai de quinze jours, des formations d’ajusteurs, de tourneurs, de fraiseurs, de rectifieurs et raboteurs pour les industries mécaniques, particulièrement pour l’aviation. D’une durée de quatre mois, à raison de cinq jours par semaine, ces formations comprennent six heures et demi de travail manuel et une heure trente de cours portant sur les éléments de calcul et d’algèbre, de géométrie de droit ouvrier et de législation sociale. Elle propose également des cours de perfectionnement professionnel aux ouvriers qui le souhaitent, tous les jours de 18 à 20 heures et le samedi toute la journée[5].
À l’été 1939, l’école a formé plus d’un millier de chômeurs et a augmenté ses capacités d’accueil pour faire face à l’explosion des demandes d’admission : plus de 7 000, rien que pour les quatre premiers mois de l’année 1939[6]. Les raisons de ce succès sont simples : elle est l’un des trois seuls centres de rééducation professionnelle existant en région parisienne en 1938[7] et la qualité des formations dispensées est saluée largement, y compris au sein du ministère du Travail[8].
Max Holste, un ingénieur prometteur
Deux questions viennent ensuite à l’esprit. Qui est donc Max Holste, ce jeune ingénieur « timide et rougissant » évoqué par l’article de L’Humanité du 3 août 1939 ?
Une rapide exploration sur internet permet de déceler deux biographies, dont la plus complète est celle dressée par Jacques Delarue, un de ses proches collaborateurs[9].
Né à Nice le 13 septembre 1913, il déménage à Courbevoie à l’âge de douze ans. À dix-huit ans, il s’engage dans l’Aéronautique navale. Après une formation à l’école de Rochefort, il est affecté à l’aéroport d’Orly. Il entame alors l’étude de son premier avion, le MH-10, un biplace monoplan équipé d’un moteur de 95 chevaux. À son retour à la vie civile, il fonde la Société des Avions Max Holste et entreprend à partir de 1934 la construction de l’appareil chez un carrossier du boulevard Bessières, à Paris (XVIIe arrondissement). Mais faute de moyens financiers, l’avion termine sa brève carrière dans un hangar de Courbevoie.
Il entre alors au bureau d’études de la société aéronautique Farman, à Billancourt, avant de rejoindre celui de la société Amiot à Colombes. Il n’abandonne pas pour autant son projet de réaliser un racer, un avion de course en métal léger capable d’affronter les redoutables Caudron-Renault de l’ingénieur Marcel Riffard, alors détenteurs des records de vitesse.
L’Humanité du 3 août 1939 rapporte les raisons qui ont poussé Max Holste à choisir cette école. Celui-ci explique : « Je projetais de réaliser un avion en bois et je cherchais des concours pour fabriquer certaines pièces métalliques comme le bâti-moteur. C’est ainsi que je suis entré en rapports avec l’école du syndicat des métaux. L’accueil que j’y ai reçu m’a encouragé à poursuivre la réalisation d’un appareil entièrement métallique.[10] »
S’imposer dans la mythique coupe Deutsch
La construction de l’aéronef débute le 20 janvier 1939, sous la supervision de son concepteur qui a quitté son emploi chez Amiot. Dix jours plus tard, Max Holste créé la surprise en déposant le premier engagement pour la Coupe Deutsch de la Meurthe, édition 1939[11].
Cette coupe mythique a une histoire étroitement liée à la puissante famille propriétaire de la société des Pétroles Jupiter, alliée de la Shell. Henry Deutsch de la Meurthe, passionné par l’aviation naissante, fonda ainsi, avec d’autres industriels, l’Aéro-Club de France en 1898. En 1912, la première coupe éponyme est organisée et suscite l’engouement du public et des constructeurs français et étrangers. Toutefois, cet intérêt s’émousse à partir de 1934, à tel point que l’édition de 1938 est annulée faute de participants.
Pour 1939, neuf engagements sont connus : le MH-20, le « Martinet » du constructeur de moteurs Émile Regnier, le Fléchair de l’ingénieur Payen, deux avions Capra, un Bugatti, trois avions de la SFCA[12]. Les règles en vigueur sont alors les suivantes : l’épreuve, qui doit se dérouler le 1er octobre 1939 à Étampes[13], consiste en deux manches de mille kilomètres à effectuer le plus rapidement possible.
Un « poème de travail »
Le travail de construction avance rapidement : seulement six mois entre la fonte des premières pièces et l’achèvement du montage, un exploit ! Ceci a été rendu possible grâce à l’investissement des six cents élèves de l’école qui confectionnent minutieusement chacune des milliers de pièces qui composent l’appareil entièrement en duralumin, un alliage à base d’aluminium, de cuivre, de magnésium et de manganèse. Le montage est ensuite assuré par une vingtaine d’élèves, placés sous la responsabilité de Durand et Saint-Cricq, professeurs à l’école.
Je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager ici la découverte de l’appareil dans l’atelier par Jacques Billet, journaliste au quotidien Ce Soir : « Et l’avion, le voici. Dans une grande salle en galerie, défendu par une mince barrière, il est là, léger, posé sur des tréteaux, et il donne l’impression curieuse d’un insecte argenté qui attend ses ailes. Tout autour de lui, avec soin, avec même une sorte de tendresse jalouse, un groupe s’affaire.[14] »
D’une envergure de 6 mètres 64, d’une longueur de 6 mètres 25 pour une hauteur totale de 2 mètres 10, le MH-20 est fin et équilibré. D’une surface de voilure de 6 m2 et d’un poids en charge de 750 kilos, il est équipé d’une hélice Ratier deux pales à pas variable et d’un train d’atterrissage fixe avec amortisseur Messier[15]. Il doit atteindre une vitesse maximale comprise entre 480 et 500 kilomètres à l’heure, grâce au moteur Régnier 12 cylindres en V inversé de six litres développant 380 chevaux[16]. Les connaisseurs apprécieront !
Un avion aux multiples enjeux
La décision prise par le syndicat des métaux de la Seine de soutenir le projet de Max Holste en lui mettant à disposition leur école de l’impasse de la Baleine n’est évidemment pas désintéressée et entend répondre à différents enjeux.
En premier lieu, il s’agit de valoriser une réalisation sociale novatrice, en démontrant que la formation professionnelle délivrée par l’école est de qualité. La construction du MH-20 est ainsi un banc d’essai pratique, grandeur nature, servant d’examen de sortie pour les élèves.
Au-delà, il est question de faire la preuve que les travailleurs peuvent accomplir une grande œuvre, en dépit des nombreux obstacles financiers et politiques opposés par le gouvernement. Deux exemples. En janvier 1939, le syndicat se plaint à plusieurs reprises auprès du ministère du Travail des nombreux refus d’embauche essuyés par les élèves de l’école[17]. Sans succès. De même, en avril 1939, le syndicat attend toujours le million de francs accordé par les décrets-lois du 12 novembre 1938 prévoyant le développement des centres de rééducation professionnelle[18].
Pourtant, les métallurgistes n’ont cessé de réclamer, dès l’été 1938, des moyens pour aller plus loin encore dans leur démarche. Refusant de voir remettre en cause les quarante heures par la multiplication des dérogations en faveur du patronat, alors même que le chômage frappait durement les travailleurs, le syndicat des métaux de la Seine avait proposé à plusieurs reprises au gouvernement de mettre à sa disposition une usine désaffectée et du matériel. En échange de quoi, le syndicat s’engageait à former 4 à 5 000 chômeurs par an[19]. Le financement d’un tel centre, estimé à quinze millions de francs, aurait permis de réaliser, selon le syndicat, plus de 300 millions de francs d’économies à l’État et aux contribuables en allocations chômage. En formant davantage de chômeurs à des emplois qualifiés, il aurait en outre imposé l’application stricte de la loi sur les quarante heures hebdomadaires et la fin des recours abusifs par le patronat aux heures supplémentaires[20]. Travailler moins, travailler mieux et travailler tous, ni plus ni moins !
Dans le contexte d’escalades militaires alimentées par l’Allemagne, l’Italie et le Japon en Europe et en Asie, le syndicat des métaux de la Seine entend également appuyer la défense nationale et l’armement du pays. L’aéronautique est un secteur militaire clé pour lequel il manque du personnel qualifié. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit de multiplier les centres de rééducation pour former la main-d’œuvre nécessaire. Telle n’est pas la solution retenue par le patronat, comme le rappelle Ambroise Croizat dans un article dénonçant en juillet 1939 le projet de la Société des Moteurs Gnome et Rhône d’embaucher des ouvriers wallons[21]. Telle n’est pas non plus la solution retenue par le gouvernement, qui demande le même mois à l’école de l’impasse de la Baleine de supprimer une équipe en raison de la « saturation » du marché du travail[22].
À la construction aéronautique s’ajoute le problème de la formation des pilotes. Là encore, la démarche du syndicat des métaux de la Seine s’inscrit dans le soutien à la politique du ministre de l’Air, Pierre Cot et à l’expérience des aéro-clubs populaires, rassemblés dans la Fédération populaire des sports aéronautiques créée en 1935. Ces associations qui proposent, pour des sommes modiques, de se former au brevet de pilotage, connaissent alors un engouement inconnu jusqu’alors. Le syndicat des ouvriers métallurgistes de la Seine n’est pas en reste et fonde son propre aéro-club, installé semble-t-il dans une propriété de Persan-Beaumont dès 1937[23]. Son activité apparaît toutefois se réduire à quelques permanences, cours de formation théorique et expositions en 1938, si l’on en croit les rares références relevées dans la presse[24].
Enfin, une victoire de l’avion construit par des chômeurs en rééducation professionnelle dans une école créée par la CGT, sur des appareils de marques prestigieuses et dans le cadre d’une course de vitesse mythique sponsorisée par un magnat du pétrole serait assurément une belle victoire symbolique… aux retombées politiques !
Épilogue. Un élan brisé par la guerre
Ce n’est que le 13 août 1939, que le moteur Régnier, type « Coupe Deutsch », débute à Buc ses essais d’homologation. Pendant ce temps, le MH-20 reçoit ses commandes de pilotage et le revêtement des ailes[25].
Le vol de qualification de 550 kilomètres à la moyenne de 350 kilomètres par heure pour participer à la Coupe Deutsch devait être réalisé avant le 15 septembre, mais l’invasion de la Pologne par l’Allemagne le 1er septembre met un terme à la compétition. Le 19 septembre 1939, la mise au point de l’appareil est achevée et, fait assez rare pour un prototype, aucune retouche ne fut nécessaire. Toutefois, par précaution, l’appareil est démonté et abrité à Courbevoie par Max Holste.
En 1941, les autorités d’occupation proposent de procéder aux essais des prototypes qu’ils ont confisqués. C’est ainsi que le MH-20, marqué des insignes de la Luftwaffe pour éviter toute méprise, obtient l’autorisation de faire des essais de roulage sur piste le 25 juillet 1941 sur l’aérodrome de Villacoublay. Marcel Finance est aux commandes de l’appareil[26] quant, à la surprise générale, il décide de passer outre les consignes et de prendre son envol. Malheureusement, de la fumée noire s’échappe rapidement du moteur. Le réducteur vient de lâcher, obligeant l’audacieux à poser l’appareil en catastrophe. Si le pilote s’en sortît indemne, le MH-20 connût un sort moins enviable, avec une jambe du train d’atterrissage arrachée et une aile endommagée. Rapatrié à l’atelier de Max Holste, installé au 10 rue Fournier à Clichy, il fut finalement détruit, ainsi que l’ensemble des prototypes, dans l’incendie qui suivit le bombardement du 22 juin 1944.
Conclusion
Au carrefour du syndicalisme, de l’aéronautique et de la formation professionnelle, l’histoire du MH-20 est remarquable à plus d’un titre.
La carrière de cet appareil, bien que courte, a inspiré les prototypes suivants développés par Max Holste. Quant à l’école de rééducation professionnelle de l’impasse de la Baleine, elle a été rouverte en février 1945 avant d’être transférée dans le douzième arrondissement de Paris sous le nom de centre de formation professionnelle Bernard Jugault, en hommage au militant de chez Chausson Asnières, exécuté le 21 août 1944 à Paris. Cette expérience pionnière a été en outre précurseur de ce qui devint en 1949 l’association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main-d’œuvre, ancêtre de l’actuel AFPA.
Alors que partout en Europe les partitions guerrières se faisaient entendre, que le chômage et la misère frappaient violemment les travailleurs, que la répression se durcissait, le syndicalisme a voulu faire la démonstration, par les faits, qu’une autre politique était possible. Cette expérience, en ces temps de crise économique et d’attaques brutales contre les conquêtes des travailleurs, méritait d’être rappelée ici.
[1] L’Humanité, 3 août 1939, p. 1 et 5.
[2] L’Humanité, 23 janvier 1937, p. 5.
[3] Le Génie civil, 23 avril 1938, p. 350.
[4] Le Populaire, 3 octobre 1937, p. 8. Rambert est directeur de l’école de son inauguration jusqu’au mois de mai 1939 (au moins), avant d’être remplacé par Lenglet.
[5] Le Génie civil, 23 avril 1938, p. 350.
[6] Le Populaire, 8 avril 1939, p. 7.
[7] L’Humanité, 26 avril 1938, p. 8. Il en est recensé dix en France en avril 1939, cf. L’Humanité, 16 avril 1939, p. 5.
[8] Pour un exemple, voir L’Humanité, 28 décembre 1938, p. 5.
[9] Jacques Delarue, Les Avions de Max Holste, Les Pavillons-sous-Bois, Éditions Le Trait d’Union, 1993, 304 pages. Voir également les souvenirs rassemblés par Jacques Noetinger dans Témoin privilégié de l’histoire de l’aviation du XXe siècle, Paris, Nouvelles éditions latines, 2010, pp. 187-194.
[10] L’Humanité, 3 août 1939, p. 1 et 5.
[11] Journal des débats politiques et littéraires, 30 janvier 1939, p. 6.
[12] Les Ailes, 20 juillet 1939, p. 7.
[13] Journal des débats politiques et littéraires, 3 février 1939, p. 4.
[14] J. Billet, « Pour la coupe Deutsch, un avion construit par des chômeurs prendra le départ », Ce Soir, 2 août 1939, p. 1 et 3. L’expression « un poème de travail » est de lui.
[15] Pour plus de précisions techniques, se reporter à L’Aérophile d’août 1941, pp. 147-148. Disponible en ligne sur Gallica à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6555664b.
[16] Initialement, il devait être équipé d’un moteur Chaumont-Béarn 12 cylindres en I, mais les retards de livraison ont contraint Max Holste à opter pour le Régnier.
[17] Pour un exemple, Le Populaire, 21 janvier 1939, p. 4.
[18] L’Humanité, 16 avril 1939, p. 5.
[19] L’Humanité, 2 juillet 1938, p.5.
[20] L’Humanité, 8 septembre 1938, p. 5.
[21] L’Humanité, 27 juillet 1939, p. 5.
[22] Le Populaire, 13 juillet 1939, p. 4.
[23] Cette information, mentionnée dans « À l’origine de l’aéro-club des métallurgistes », Les Cahiers de l’Institut d’histoire sociale, n° 32, décembre 1989, pp. 16-17, n’a pas pu être vérifiée.
[24] Voir L’Humanité, 14 mars 1938, p. 5 ou encore Le Populaire, 5 mars 1938, p. 7.
[25] Paris-Soir, 13 août 1939, p. 7.
[26] Marcel Finance, moniteur à l’aérodrome de Toussus-le-Noble, ne doit pas être confondu avec un homonyme, également pilote, qui est alors engagé dans les Forces Françaises Libres et chargé du commandement à Pointe-Noire du détachement permanent des Forces aériennes du Gabon-Moyen Congo jusqu’en décembre 1941. Ce dernier fut victime d’un accident mortel le 23 avril 1943 au large de la Tunisie.