Le 7 mai dernier, M. Pénicaud, ministre du Travail, se voulait rassurante : « La santé des salariés […] ne sera jamais une variable d’ajustement. » Elle ne manque pas d’air, celle qui a porté un coup fatal au pouvoir d’intervention des salariés en matière de santé, d’hygiène et de conditions de travail. C’était il y a trois ans, les ordonnances Travail XXL fusionnaient les institutions représentatives du personnel, en réduisant drastiquement leurs moyens humains et matériels. Ne nous étonnons donc pas si M. Pénicaud s’est dite « choquée », quatre jours plus tard, de la décision du syndicat CGT Renault-Sandouville de contester en justice les conditions de reprise du travail. Et cela, même si le tribunal avait reconnu les torts du constructeur automobile.

Réparer

Longtemps, seul le rapport de force imposait à un patronat réfractaire des améliorations de conditions de travail. Ainsi, en 1855, les fondeurs de cuivre arrachaient par la grève l’abandon du toxique poussier de charbon dans leurs ateliers parisiens. À la fin du XIXe siècle, les premières lois sur l’hygiène et la sécurité voient le jour, avec un maigre corps d’inspecteurs du travail pour les faire respecter. Seuls les mineurs avaient réussi à obtenir l’élection de délégué à la sécurité en 1890. La loi de 1898 sur les accidents du travail est un acte fondateur, car elle établit une présomption de responsabilité patronale et impose à l’entreprise de s’assurer pour l’indemnisation. Vingt ans plus tard, ce régime est transposé aux maladies professionnelles. Bien évidemment, le patronat a tout fait pour en restreindre l’application. En riposte, la CGT a mis sur pied des cliniques et des conseils judiciaires, pour conseiller au mieux les salariés victimes.

Prévenir

Un extrait du cahier revendicatif des salariés de la société Charles Libeaux à Romainville (1968) © coll. M. Tual

La Libération est un tournant. Sous l’autorité d’Ambroise Croizat, ministre du Travail, les accidents du travail et les maladies professionnelles deviennent une branche de la Sécurité sociale, la médecine du travail est généralisée, tandis que les comités d’entreprise sont chargés des questions d’hygiène et de sécurité. Ces dernières sont dévolues, à partir d’août 1947, à une commission spéciale du comité d’entreprise, les comités d’hygiène et de sécurité (CHS). Prévenir est le maître-mot de ces conquêtes sociales, mais il se heurte à la course à la productivité des Trente Glorieuses. Il faut attendre les lendemains de mai-juin 1968 pour obtenir de nouvelles avancées, avec la création en 1973 de commissions d’amélioration des conditions de travail (CACT) dans les grandes entreprises et l’instauration d’une Agence nationale dédiée, l’ANACT. Les lois Auroux, adoptées par la gauche au pouvoir en 1982, instaurent le droit de retrait du salarié et fusionnent CACT et CHS pour créer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ceux-ci ont des moyens et pouvoirs renforcés, notamment par le recours aux expertises et à une procédure d’alerte. Ces prérogatives sont améliorées par une loi en 1991.

La santé avant tout

Indemniser les atteintes à la santé occasionnées par le travail, être informé et consulté sur les décisions concernant l’organisation du travail, disposer d’un pouvoir d’enquête et d’un droit d’alerte, bénéficier d’une médecine et d’une inspection du travail indépendante sont autant de droits insupportables pour un patronat qui considère son pouvoir de décision comme absolu et indiscutable. Alors que le travail s’est intensifié, que la précarité a progressé, ces droits ont reculé ces dernières décennies. Mais la pandémie de covid-19 est là pour nous le rappeler, la santé est trop précieuse pour que nous abandonnions l’organisation et les conditions du travail au seul bon vouloir patronal.