Je m’appelle Dalila BEL-AKAHAL, j’ai 52 ans, j’étais
opératrice de fabrication et cariste chez MBF Aluminium,
entreprise de la métallurgie, avant qu’elle
ne soit déclarée en liquidation judiciaire en juin
dernier. En 2011, j’ai eu un souci au travail qui m’a amenée
à entrer en contact avec la CGT MBF. Et depuis, je suis
syndiquée.
Depuis l’annonce de la liquidation judiciaire, comment te sens-tu ? Et peux-tu nous en parler ?
Pas trop bien. MBF a été liquidée le 22 juin dernier. L’annonce
a eu l’effet d’une bombe. Ma vie entière s’écroulait.
J’ai tout donné à cette entreprise : mon temps, mon savoir-
faire, ma santé aussi, pour au final être jetée comme
une malpropre.
A l’annonce de la décision de justice, j’ai ressenti comme
un coup de massue : une trahison. J’avais la haine contre
tout le monde : M. Gianpiero Colla (patron), l’Etat, Renault,
PSA.
Pour être honnête, lorsque nous avons appris la nouvelle,
je n’ai pas eu le temps de pleurer parce que je consolais
mes collègues de travail. J’ai juste pris le temps de téléphoner
à ma sœur pour lui dire que tout était terminé.
Mes enfants, je ne les ai pas appelés tout de suite.
En revanche, lorsque je suis rentrée chez moi, je me suis
effondrée.
As-tu réussi à accepter ? Relever la pente ?
Non. Je ne l’accepte toujours pas. Je m’énervais et je
pleurais pour rien. J’étais en train de craquer, de m’enfoncer doucement mais sûrement dans un état dépressif.
Mes enfants l’ont remarqué et m’ont convaincue d’aller
consulter mon médecin traitant parce que mon état
physique et mental en pâtissait.
Je travaille depuis l’âge de 16 ans. Je n’ai jamais connu le
chômage. C’est la première fois que je suis confrontée à
cette situation. Du jour au lendemain, je me retrouve à
ne plus rien faire.
Beaucoup de personnes âgées me disent qu’il ne faut
rien lâcher, qu’il faut continuer à se battre pour sauver
nos emplois. Tous les citoyens de la ville, sont derrière
nous.
Où en est la situation de MBF ?
Nous avons fait appel de la décision de liquidation. Nous
sommes passés à la Cour d’appel de Dijon. Le délibéré
sera connu le 16 décembre. Pour moi, la liquidation va
être actée…
Les salariés vont continuer à se battre… ?
Un groupe de salariés essaient de créer une Société Coopérative
Ouvrière de Production (SCOP). Renault et PSA
font toujours la sourde oreille. Plusieurs personnes à
l’initiative de la création de la SCOP ont saisies des opportunités
de travail.
En ce qui me concerne, j’attends encore un peu et si je
n’ai pas de nouvelles d’ici fin novembre/mi-décembre, je
vais, moi aussi, chercher du travail.
Le syndicat CGT est dans la boite depuis combien de temps ?
Pour mieux comprendre, je vais faire un petit retour en
arrière. J’ai commencé à travailler en 2005 chez MB Automotive,
à l’époque, le syndicat CGT existait déjà. En 2007,
ça a été repris par le groupe Arche dont le PDG était M.
Bellity, l’entreprise a été nommée MBF Technologie. En
2011, les salariés, au travers d’une lutte de 35 jours de
grève, ont mis Bellity à la porte. Ce dernier voulait délocaliser
la production, les machines et faire un PSE de 250
personnes. La CGT a tout bloqué et s’est battue pour que
personne ne soit licencié.
En 2012, c’est Colla MBF Aluminium qui a repris avec la
bénédiction de Renault et PSA. Tout s’est bien passé pendant
8 ans. Et voilà où on en est…
Penses-tu reprendre un mandat syndical ?
Je resterai syndiquée mais sans responsabilité.
Comment gères-tu ton quotidien ?
Ça faisait 15 ans que je travaillais chez MBF Aluminium.
J’avais une vie plutôt banale. Je travaillais, je profitais de
mes enfants, mes petits-enfants.
Lorsque la liquidation a été actée, je ne voyais plus mes
enfants ni mes petits-enfants. Uniquement les fins de
semaine. Eh oui, je me suis « battue » comme j’ai pu.
Nous avons occupé MBF, j’ai fait la grève de la faim avec
plusieurs camarades… Nos cris n’ont pas été entendus.
Notre lutte, nos vies professionnelles ont été bafouées,
malmenées, piétinées. J’ai mis ma vie entre parenthèses,
le temps de la lutte, pour travailler dans de meilleures
conditions. Et tout ça pour quoi ? Pour qu’on nous plante
un couteau dans le dos !
Les gens qui luttent pour leur emploi et pour sauver leur entreprise, il ne faut surtout rien lâcher. Il faut aller jusqu’au bout.