Le texte reproduit ci-dessous l’intervention de Claude Ven, président de l’Institut CGT d’histoire sociale à l’occasion de la commémoration du 8 mai, organisée le 3 mai 2017 dans les locaux du 94 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris.
Je tiens avant tout à remercier ceux qui sont parmi nous aujourd’hui, à quelques jours du 8 mai, date importante qui mis fin en 1945 à la Seconde Guerre mondiale en Europe et un terme aux exactions et à la barbarie nazie.
Notre Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie a payé un lourd tribut à ces années noires dans les combats pour libérer le territoire national.
Certains y ont laissé leur vie, souvent après d’atroces souffrances et tant d’angoisses pour leurs familles, leurs proches, leurs camarades.
Pour une part, leurs noms sont inscrits ici, sur le mur de cette salle et sur la plaque que nous irons fleurir ensemble tout à l’heure.
216 noms de femmes et d’hommes qui justifient que l’on ne minimise jamais ce que veut dire la lutte pour la liberté et la dignité.
Nous pourrions rappeler les faits, citer leurs noms, nous recueillir sur leurs actions et le chemin qu’ils ont tracé. Mais n’est-il pas plus essentiel, en ce jour, de revenir sur les moments agités que nous vivons et les incertitudes, les angoisses qui montent dans le pays.
Nous étions ici-même l’an dernier avec le sentiment de vivre une année particulière au regard d’un gouvernement qui se disait de gauche, commémorant les 80 ans de la victoire du Front populaire tout en cassant les acquis collectifs des travailleurs de 1936, par la loi dite « Travail ».
Ce fut un printemps chargé de souvenirs, d’hommages mais aussi de luttes et de colère.
Où en sommes nous aujourd’hui ?
Il me semble important que, devant cette terrible liste de camarades, nous nous attachions à réfléchir lucidement sur la situation actuelle et les enjeux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Auxquels « nous » sommes confrontés. Pas eux. Ils ont fait leur part, dans une situation et une époque qui était la leur. Si les principes et les valeurs qui les ont guidés et soutenus restent les nôtres, ne nous hasardons pas à prétendre savoir ce qu’ils auraient fait, ni même ce qu’ils pourraient en penser.
J’ai n’ai aucune légitimité à prétendre orienter le choix de chacun. Mais je me dois de réagir quand certains camarades justifient leur décision, tout à fait respectable, pour le deuxième tour des élections présidentielles en s’appuyant sur la mémoire de nos martyrs et, disons le, en faisant parler les morts.
Les évènements actuels, les affrontements, les perspectives politiques et sociales, réclament en permanence que nos principes, nos valeurs soient réaffirmées, non comme refuges dans un passé idéalisé, mais comme boussole, comme repères toujours actuels pour nos combats futurs.
C’est ainsi. Il nous faut assumer nos propres décisions. Et peut être nous engager dans un chemin si sombre qu’il nous semble impossible. Pourtant d’autres, ils sont inscrits là, ont dû l’emprunter il y a 75 ans.
Aucun d’entre nous ne peut concevoir de laisser l’extrême-droite prendre le pouvoir dans notre pays. Nous sommes fermement décidés et prêts. La lutte ne nous a jamais fait peur. Mais le doute s’immisce et parfois l’espoir passe par des illusions qui peuvent s’avérer plus dangereuses que l’on ne croit. Une solution de compromis, une issue précaire avant l’atroce vérité peut paraître préférable
Vouloir faire barrage au Front national passerait aujourd’hui par un vote massif pour un jeune banquier arriviste et a-politique. S’il est une leçon que mon activité syndicale m’a apportée c’est que lorsqu’un individu se réclame de « ni gauche, ni droite », il est de droite. C’est un fait.
Sa volonté de réduire les syndicats, d’abandonner le paritarisme et de gouverner par ordonnances n’est en rien un signe de démocratie.
N’a-t-il pas affiché ses valeurs en affirmant que les patrons vivent plus mal que les salariés, que la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ?
Est-il concevable de donner les clefs du pouvoir à un énarque, formé chez Rothschild, homme de réseaux et de basses œuvres, sollicité par madame Parisot pour assurer la direction générale du MEDEF, agent double d’Alain Minc pour de basses combinaisons affairistes, entré au cabinet de la présidence par protections, ministre au service de ses amis banquiers comme il n’hésite pas à le dire, distributeur des fonds publics au patronat et casseur du code du travail, avant de trahir son maître pour se mettre à son compte, se mettre en marche, en marche vers quoi ? Tout cela ne me dit rien de bon.
Pas plus que son nouveau projet de société, sa volonté de transformer nos institutions car le vieux monde serait mort comme les partis.
Cette campagne électorale n’a été qu’une confrontation d’aventures individuelles au détriment d’une construction politique collective. Le résultat est plus qu’inquiétant.
A qui ce Rastignac rendra t-il des comptes après son élection au suffrage universel ? A quoi fera-t-il usage de cette légitimité élevée au rang de dogme dans cette cinquième République ?
Est-ce lucide de colporter l’idée que cet individu serait un rempart. Et un rempart à quoi ? Quelle mascarade !
On a le droit de se donner l’illusion d’y croire, mais et encore moins au nom des anciens, ne trompons pas les autres.
Gardons nous des fausses valeurs.
Peut-on invoquer la mémoire et le martyr de Jean-Pierre Timbaud, d’Henri Gautier ou de Roger Linet pour aujourd’hui se résoudre à voter Macron ?
Il est de notre responsabilité d’affronter cette situation comme ils l’ont fait en leur temps. Avec le risque de se tromper, de ne pas vaincre, d’assumer et de payer la facture, mais surtout en gardant précieusement comme unique boussole nos principes et nos valeurs.
Si nous sommes à l’affût de références historiques et de faire des parallèles pourquoi ne pas choisir la réaction de Winston Churchill à la signature des accords de Munich en 1938 : « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».
Et si nous ne nous privons pas de rappeler la directive du patronat français à la fin des années trente : « Mieux vaut Hitler que le Front populaire », n’occultons pas la position majoritaire des français de 1940, mieux vaut Pétain que Hitler, mieux vaut la collaboration que la guerre.
Avec l’internement, dès octobre 1940, de Jean-Pierre Timbaud, Henri Gautier et tant de leurs camarades.
Et si nous recherchons des antériorités plus proches de nous pourquoi écarter le bon sens du camarade Duclos avec son « Bonnet blanc et blanc bonnet ».
Méfions-nous de nos attentes de réponses toutes faites dans les aléas de notre histoire. Et soyons prudents lorsque nous voulons faire parler les morts.
Je doute que Roger Linet ou Henri Rol-Tanguy aient porté un regard complaisant sur monsieur Macron, mais après tout ce n’est que mon sentiment. Car c’est de cela qu’il s’agit.
Ne tentons pas de contrer notre plus farouche adversaire en épousant l’illusion d’un compromis temporaire.
Ne laissons pas grandir dans les consciences par notre silence, notre indifférence ou notre compromission qu’il puisse exister un sage, un sauveur, une référence morale et politique et pourquoi pas un guide… un de ces individus aptes à marcher sur l’eau.
Nous résigner au moindre mal en prétendant que nous serons capables de nous y opposer après est une faute morale et politique. On ne peut indéfiniment rejeter l’inéluctable à plus tard. Le temps est parfois venu de regarder le diable en face et de le ramener en enfer. C’est sa place.
Je suis furieux de m’être senti contraint d’évoquer un tel personnage devant la liste de nos camarades. D’avoir profiter de votre attention qui devrait se tourner vers leur mémoire, pour revenir sur les calculs de circonstances des arrivistes du moment.
Mais je pense que c’est aussi à cela que doivent servir ces moments. Nous ramener sur les réalités intangibles de la lutte des classes. Nous sommes aussi réunis aujourd’hui pour conserver notre lucidité et nos capacités de poursuivre la lutte qu’ils ont engagé. C’est leur rendre hommage que de réfléchir ensemble sous leur patronage.
Merci de votre attention.