Ce texte a été prononcé par Claude Ven, président de l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie, en hommage à Allain Malherbe, le 14 février à Châteaubriant.

La vie militante est faite de nombreuses rencontres, mais aussi de déplacements, d’actions multiples. On croise beaucoup de camarades, mais on en mesure peu. Dans la tourmente de la lutte et des combats quotidiens, on n’a pas toujours l’opportunité de saisir la réalité de l’autre.

Avec Allain, nous nous sommes croisés de nombreuses fois. Mais notre rencontre remonte à mon élection à la présidence de l’institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie dont il était un pilier.

C’était en 2011. Il m’a vu débarquer, comme parachuté, dans une équipe qui avait son rythme et ses équilibres. Il n’était pas hostile mais attentif. Nous avons patiemment construit, au fil des jours, une relation faite de respect, d’intérêt et, je le crois, d’une certaine complicité. Notre proximité dans le travail s’est accompagnée des difficultés et des souffrances que nous réserve parfois la vie, quand la santé se fait défaillante.

Je ne savais de sa vie que ce qu’il voulait bien livrer au hasard de nos échanges ou ce que des camarades m’en avait dit. On se forge une image de l’autre faite de bouts d’existences, d’anecdotes mais aussi de beaucoup de blancs.

Pour lui rendre hommage aujourd’hui, j’ai été amené à prendre connaissance de sa biographie. Je ne l’avais jamais fait auparavant. Je n’avais même pas idée qu’Allain puisse être dans le dictionnaire du mouvement ouvrier de Jean Maitron, dont il était un correspondant occasionnel.

J’ai inscrit : Allain Malherbe dans le champ de recherche du site sur internet et il m’a été donné de prendre connaissance de l’ensemble du parcours qui fut le sien.

Il y a juste 50 ans, il débutait comme ajusteur chez Citroën au quai de Javel dans le XVe arrondissement de Paris où il fut immédiatement happé par la nécessité revendicative et bientôt par l’action syndicale.

Dans les années dures qui suivront mai 68, adhérant à la CGT puis au parti communiste français, il prend une part active dans la lutte contre les mouvements d’extrême-droite. Citroën est le lieu d’un affrontement terrible où le syndicat maison, la CFT, et ses nervis sèment la terreur dans les ateliers et jusque devant les usines. Avec Marcel Caille et Dominique Durand, il travaillera à dénoncer les agissements de ces brutes au service du patronat. Il témoignera au procès de Claude Lecomte en 1982, suite à l’assassinat de Pierre Maitre.

Allain ne renoncera jamais à son engagement politique et syndical, même s’il prendra de multiples formes au cours des années. À ses cotés, dans ses années Citroën, Gilbert Lauriac qui perdra la vie à moins de 40 ans dans un accident de la route, mais aussi Roger Gauvrit.

Et puis Catherine, qu’il épousera en 1978. Bientôt viendront Yann et Nolwenn.

Une époque où Allain s’est inscrit aux cours du soir. Ne souhaitant pas devenir permanent syndical comme il lui est proposé, il intègre Tourisme et Travail comme cadre en 1980. Mais le goût du savoir ne le quitte pas. Inscrit à Paris VIII-Vincennes, il obtient une maitrise puis un DEA d’histoire.

En 1986, il entre au centre de rééducation professionnelle Jean-Pierre Timbaud à Montreuil, en charge du service médico-psycho-social. Cette nouvelle forme d’engagement le conduira à décrocher un diplôme de psychologue au CNAM en 2003.

Adhérent dès sa création en 1983 de l’institut d’histoire sociale de la CGT, il s’investira dès 2005 dans celui de la métallurgie.

C’est dans le cadre de notre institut que l’association Citroën entamera, en 2012, la prodigieuse ambition de faire un livre sur l’histoire des salariés qui ont fait le grand constructeur automobile.

J’ai eu l’occasion d’évoquer l’admiration que j’ai éprouvée à l’égard de tous ses camarades qui se lançaient dans ce projet un peu fou. Ils sont parvenus à écrire collectivement, une histoire qui leur appartient. Collectivement, c’était là l’enjeu et la plus grosse difficulté du projet. Ils le mèneront jusqu’au bout. Allain, aux côtés de Roger Gauvrit et Jean-Yves Masson y tiendra un rôle majeur. Allain y laissera aussi beaucoup de ses forces.

Ils ressortiront tous fiers de leur travail et de leur identité. Cet ouvrage sera un succès largement diffusé. Mais la plus grande réussite reste l’aventure vécue tous ensemble.

Voilà. Voilà ce que j’ai découvert en consultant sa biographie. J’avais sous les yeux l‘ensemble d’un parcours, d’une trace laissée dans le grand livre du mouvement social. Car Allain, avec tant d’autres, a pris sa place dans notre histoire commune. Aussi minime ou profonde qu’elle soit, elle participe d’un tout.

Il a fait sa part.

Une part active dans la réalisation d’ouvrages qui ont fait date, avec Marcel Caille pour L’assassin était chez Citroën et Les truands du patronat, avec Roger Linet sur La résistance en enfer, dans la grande aventure collective de Citroën par ceux qui l’ont fait et aussi par les biographies qu’il rédigeait pour enrichir le dictionnaire du mouvement ouvrier.

Malheureusement, il ne verra pas la sortie du livre sur Henri Gautier qui sortira dans quelques mois. C’était un projet pour lequel il avait commencé à s’investir mais que la maladie ne lui permis pas de poursuivre. On le savait impatient de voir enfin prendre corps cet hommage à un militant injustement ignoré.

Son engagement solidaire se concrétisera dès les années 70 dans ces actions en direction du peuple vietnamien et chilien. Puis par son travail sur le projet de formation professionnelle des populations palestiniennes victimes de la guerre.

Il perpétua durant vingt ans les commémorations du 8 mai dans le centre de rééducation professionnelle, dont il fut un temps directeur par intérim et qui porte le nom de Jean-Pierre Timbaud. Le martyr de nos camarades dans une carrière à quelques kilomètres d’ici resta toujours présent à son esprit.

Mais tous ces jalons chronologiques sont loin de traduire la réalité d’une existence. Elles laissent de côté les réalités plus terre à terre du quotidien, l’implication enthousiaste ou parfois contrainte de la famille et des proches. La lutte pour la dignité et l’émancipation prend parfois des dimensions qui peuvent paraître excessives. Puis il y a eu la difficulté de maintenir un engagement quand la maladie vous diminue de jours en jours.

Allain a fait face. Il a rapidement mis en ordre ses affaires, il a préservé son travail, sa documentation, ses archives. Nous étions stupéfaits de le voir prendre acte et agir dans la perspective d’une disparition rapide alors que nous tenions un discours que nous voulions résolument optimiste.

La dernière ligne droite fut longue et douloureuse, pour lui, mais aussi pour Catherine, ses enfants et ses proches.

Je n’ai entrevu qu’une infime part de ce qu’il était.

Il occupait une place essentielle dans notre équipe à l’institut d’histoire sociale de la métallurgie. Sa présence, son analyse et ses interventions lucides et réfléchies vont nous manquer. Mais aussi lorsqu’il avait débusqué le côté ridicule, absurde ou consternant de certains comportements, son regard malicieux qui pétillait et le sourire qui se dessinait sur ses lèvres.

Nous avons ri ensembles, je ne l’oublierais pas.

Un week-end au Canet-en-Roussillon pour la légion d’honneur de Françoise Bosman reste pour mon épouse et moi un précieux souvenir.

Nous sommes là, avec vous, Catherine, Yann, Nolwenn et Mélanie.

Le départ d’Allain, c’est une part de notre parcours qui prend soudainement les couleurs d’un passé désormais inaccessible.

Quelques années pour certains, des décennies pour d’autres.

Nous n’avons pas fini de saluer ta mémoire camarade.

Au nom de la CGT, de la fédération de la métallurgie et de ton institut d’histoire sociale, merci à toi Allain Malherbe.