Depuis  2017, les violences exercées contre les femmes sont l’objet d’une prise de conscience sociale, collective et individuelle. La multiplication des témoignages et des réactions, via les réseaux sociaux et les hashtags PayetaSchneck, MeToo, BalanceTonPorc ou encore NousToutes, ont permis de rendre publique une parole jusqu’alors peu entendue et de réduire considérablement la tolérance sociale dont bénéficiaient les discriminations professionnelles et les violences physiques et sexuelles. La CGT est partie prenante de ce processus, comme en témoigne l’important travail mené depuis une dizaine d’années sur l’égalité professionnelle et contre les violences sexistes et sexuelles dans les entreprises. Le 8 mars, par le mot d’ordre d’arrêt du travail à 15h40, redevient progressivement une journée de lutte sur le lieu de travail.

L’engagement de la CGT sur ces questions n’est toutefois pas nouveau. Déjà, au début des années quatre-vingt, le magazine féminin de la CGT Antoinette avait mené une campagne contre les discriminations sexistes et le chantage sexuel.

Antoinette, magazine féminin de la CGT

Antoinette, dont le nom est un clin d’œil au film de Jacques Becker, Antoine et Antoinette, réalisé en 1947 et évoquant la vie d’un jeune couple à Paris après la Libération, est une exception dans le paysage français de la presse. Prenant la suite en 1955 de La Revue des travailleuses, ce magazine a été trente-cinq années durant le fer de lance de la CGT sur les questions féminines. Ce mensuel « de masse », tiré à plus de 100 000 exemplaires au milieu des années 1970, est une publication syndicale féminine dont le contenu aborde les problèmes spécifiques des travailleuses, comme l’égalité salariale, le travail à temps partiel, les conditions de travail, mais également des questions plus larges comme la contraception, l’avortement, le viol, le divorce ou encore la répartition des tâches ménagères. Et comme tout bon magazine qui se respecte, on y trouve aussi des rubriques juridique, mode, santé ou encore jeux.

Non aux discriminations sexistes et au chantage sexuel

Par le passé, quelques grèves de femmes ont permis d’imposer le renvoi de contremaître « manquant de respect aux femmes », comme aux Faïenceries de Limoges en 1905 ou à la Manufacture des Tabacs de Bordeaux en 1911. Toutefois, un changement s’opère à la toute fin de la décennie soixante-dix et un refus des violences faites aux femmes s’exprime de plus en plus clairement. Plusieurs actions en justice sont menées, en particulier contre le « droit de cuissage », le « droit de pinçage » et autres « pressions sexuelles ». Dans le même temps, des luttes posent au premier plan ce problème, comme à l’usine Bidermann de Bort-les-Orgues (Corrèze) en mai 1979, chez Occulta-Medical à Tournon (Ardèche) en octobre 1980, à la manufacture Tourangelle de Confection en juillet 1981 ou dans les magasins Tati de Paris en décembre 1982.

La victoire de la gauche aux élections présidentielles puis législatives en mai et juin 1981 ouvre des perspectives. C’est ainsi qu’Yvette Roudy, députée européenne socialiste, inaugure une nouvelle et éphémère responsabilité ministérielle en devenant ministre déléguée aux Droits de la femme (1981-1985), puis ministre des Droits de la femme (1985-1986). Signataire en 1971 du « Manifeste des 343 » paru dans Le Nouvel Observateur pour obtenir la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), elle engage dès son arrivée une campagne en faveur de la contraception, défend un projet de loi, adopté le 31 décembre 1982, sur la prise en charge de l’IVG par la Sécurité sociale, officialise le 8 mars comme « Journée internationale des droits des femmes » et entend lutter contre les discriminations sexistes.

Son projet de loi de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe n’a finalement pas pu aboutir, en raison de l’opposition virulente des publicitaires et des hérauts de la liberté d’expression. Cela n’empêcha pas Antoinette de se saisir de ce sujet pour initier une longue campagne, ouverte par un article intitulé « Droit de cuissage, bas les pattes », paru dans le numéro 207 de juin 1982. Ce problème est alors loin d’être anecdotique, comme le révèle l’enquête publié en 1985 par le magazine Biba à l’occasion du colloque organisé à l’initiative de la Ligue du Droit des Femmes et le ministère des Droits de la femme. Plus d’un tiers des femmes « ont subi des avances ou sollicitations d’ordre sexuel sur leur lieu de travail ». Parmi elles, plus de la moitié explique que les sollicitations étaient assorties de promesses et un quart de menaces directes, la plupart du temps d’un supérieur hiérarchique ou d’un collègue.

Un procès

Cette campagne est ponctuée d’articles et de brèves dans la quasi-totalité des numéros d’Antoinette, de juin 1982 à la fin de l’année 1986, d’une journée nationale de témoignages contre les atteintes aux libertés organisée le 25 février 1986 à travers la France, mais également par des affaires judiciaires. L’une d’elles a particulièrement résonné dans les colonnes du journal. « L’affaire de Bourg-la-Reine » débute en 1983, avec la dénonciation par une préposée des pratiques d’un receveur de poste dans un bureau de PTT. Une enquête, menée par un inspecteur principal, dépêché par la direction départementale des PTT, se solde par une fin de non-recevoir. Antoinette évoque cette affaire en janvier 1984, dans un article de Dominique Lacan, qui suscite l’ire de l’inspecteur principal qui porte plainte pour diffamation et injures, suivi par le receveur de poste. Le procès, initialement prévu le 20 mars 1986, est repoussé au 19 juin sous la pression de la CGT, pour obtenir une véritable audience et disposer du temps nécessaire pour entendre les témoins et l’avocat. Cette échéance est minutieusement préparée, au niveau confédéral comme local. La salle d’audience du Tribunal correctionnel de Nanterre est comble, fourmillant de femmes et d’hommes, employés des PTT et syndiqués CGT. Une pétition de soutien a recueilli 3 000 signatures, plusieurs centaines de messages sont parvenus au Tribunal.

La CGT entend faire de ce procès une tribune contre le chantage sexuel, en convoquant notamment parmi les témoins des responsables de ses fédérations du textile, habillement, cuirs et peaux ainsi que du commerce, deux professions très féminisées où le chantage sexuel est une réalité quotidienne. René Boyer, avocat de la confédération, achève son plaidoyer sur ces mots : « Les femmes ont gagné sur le viol, il y a moins de dix ans, avec la nouvelle loi qui élargit la notion de viol, en la reconnaissant comme étant un crime. Maintenant, il faut aller plus loin, pour arriver à l’égalité totale. » Le jugement rendu le 26 juin 1986, s’il reconnaît indirectement l’exactitude des faits et relaxe la préposée, condamne Antoinette et ses responsables à 22 500 francs d’amendes.

Face à ce verdict mitigé qui prend en compte la défense avancée par la CGT, tout en la condamnant au minimum, Antoinette souligne qu’en reconnaissant la gravité du chantage sexuel, ce jugement « est un encouragement pour toutes celles qui veulent briser la loi du silence généralement observée sur les atteintes à la dignité qu’elles subissent. » Pour autant, en condamnant la CGT et son magazine qui ont révélé cette affaire, le jugement oublie « que les pratiques odieuses du chantage sexuel vont de pair avec l’arbitraire patronal, les entraves au déroulement de carrière, les cadences folles qui vous ruine la santé, la peur de perdre son emploi. »

Étape parmi tant d’autres, ce procès témoigne de la lenteur avec laquelle la société française évolue sur le sujet de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations. Raison de plus pour ne pas abandonner ce combat dans le contexte encourageant d’aujourd’hui et s’investir pour le faire aboutir !