Interview de Maître François Lafforgue, avocat de victimes de l’amiante
Interdit en France depuis le 1er janvier 1997, l’amiante est, plus de 20 ans après, toujours l’objet de batailles judiciaires pour les victimes…
Le cabinet a été sollicité en 2006 par des salariés non malades exposés à l’amiante. Nous avons alors engagé des procédures devant les conseils de prud’hommes pour demander réparation du préjudice subi en raison de la baisse de leur rémunération lors de leur départ en pré-retraite dans le cadre de l’ACAATA (Allocation de Cessation Anticipée d’Activité des Travailleurs de l’Amiante) mais aussi en raison de leur exposition à ces produits dangereux. Concernant ce dernier point, la procédure a abouti favorablement devant la Cour de cassation le 11 mai 2010.
Au fil du temps, la jurisprudence s’est élargie au personnel ayant travaillé au contact de l’amiante mais dont l’établissement n’était pas inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à la « pré-retraite » amiante.
Il y avait donc discrimination entre les travailleurs qui avaient été exposés à l’amiante…
Dans un premier temps, la Cour de cassation avait refusé d’indemniser ces salariés de ce préjudice considérant que seuls les salariés des établissements inscrits pouvaient y prétendre. Mais les associations de victimes de l’amiante ainsi que la CGT ont demandé au cabinet de poursuivre le combat judiciaire. En effet, nous considérions qu’il y avait une injustice et une situation discriminatoire. Certains salariés exposés à l’amiante pouvant obtenir réparation et d’autres pas. C’était notamment le cas des sous-traitants ou des intérimaires. C’est d’autant plus injuste que ce sont souvent ces salariés qui sont les plus exposés. Nous avons donc obtenu des décisions favorables devant certaines Cours d’appel comme à Paris en 2018. Ces arrêts ont été portés devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation puisqu’il demeurait des contradictions entre les différentes chambres de la Haute juridiction.
Le 5 avril dernier, la Cour a rendu un avis favorable permettant l’extension du principe de préjudice à tous les salariés exposés même à ceux dont l’établissement n’est pas inscrit. Quel est l’impact de cette décision ?
Cette décision était attendue avec impatience pour permettre l’uniformisation de la jurisprudence. Aujourd’hui, les salariés intérimaires et sous-traitants peuvent bénéficier de la réparation de leur préjudice d’anxiété et même d’une présomption quant à la faute de l’employeur et du préjudice subi. En revanche, l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il a tout mis en œuvre pour protéger ses salariés. Mais cette situation est actuellement extrêmement rare. Pour les travailleurs n’ayant pas travaillé dans un établissement inscrit, la situation est la même. Ils peuvent demander réparation s’ils démontrent avoir été exposés à l’amiante, sauf si l’employeur a prouvé avoir mis en œuvre des moyens de protection pour ses salariés. Le salarié doit également prouver le préjudice étant précisé que pour l’amiante la preuve du risque de contracter une maladie grave est facilitée.
Cette décision aura-t-elle un impact pour les salariés exposés à d’autres produits dangereux ?
Fort de cet arrêt du 5 avril 2019, les personnes ayant été exposées à des agents chimiques dangereux peuvent envisager une action pour préjudice d’anxiété, s’ils justifient l’exposition (fréquence, durée d’exposition, …) et s’ils démontrent qu’il y a un risque élevé de contracter une pathologie grave, selon les termes employés par la Cour de cassation. Mais attention, ce ne sera pas automatique, il faut constituer des dossiers très complets comme pour l’amiante démontrant l’exposition et l’inquiétude notamment par des témoignages, … Mais d’ores et déjà, nous pouvons commencer par lister les produits dangereux (comme certains produits chimiques ou cancérogènes tels les gaz d’échappement, la silice cristalline,…) pouvant justifier une action. Environ 10% des salariés sont exposés à ces produits. Par exemple, dans le secteur des fonderies, les salariés exposés aux huiles et surtout à la silice, sans mesure de protection ou mal adaptées, pourraient engager une action devant les tribunaux. Concernant la prescription, la Cour de cassation n’a pas statué sur cette question. Jusqu’à présent, le délai pour agir était de 5 ans à compter de l’inscription de l’établissement sur la liste de ceux ouvrant droit à l’ACAATA. Pour les salariés dont l’entreprise n’y figure pas, la question principale sera celle du point de départ de cette prescription. Le contentieux à venir permettra d’obtenir des réponses sur ces différents points.