« L’insuffisance » de compétitivité de l’industrie française est régulièrement pointée du doigt comme la cause de tous les maux. Il faudrait faire des sacrifices car les travailleurs et travailleuses en France coûtent trop chers (1). Pourtant, les salaires stagnent, tandis que la productivité du travail – richesse créée par unité de travail – continue d’augmenter. Ce sacrifice est donc réclamé par la toute-puissance financière, qui réclame toujours plus de profits.

Capital, coût du capital et surcoût du capital
Une firme capitaliste produit de la richesse à partir de deux ressources : le travail et le capital. Le travail n’est pas que manuel, mais il peut être artisanal ou encore intellectuel. Le capital regroupe à la fois les immobilisations corporelles (usines, machines…) et immatérielles (brevets, logiciels…). La richesse générée par ces deux facteurs de production est ensuite distribuée entre ceux qui détiennent le travail (salaires) et ceux qui détiennent le capital (dividendes, intérêts, profits non distribués). Le capital est un pari sur le temps : il dépend alors de la richesse dont l’investisseur est prêt à se priver aujourd’hui, pour bénéficier d’une rémunération plus tard (la rentabilité), via l’intérêt où les dividendes, ou la plus-value générée par la revente. Un investisseur « raisonnable » devrait alors exiger une rémunération au moins égale au prix du renoncement à bénéficier aujourd’hui de son argent. Le « coût » du capital peut alors être mesuré comme le coût de l’investissement (prix de la machine à acheter par exemple) et le coût supplémentaire qu’il faudrait débourser pour attirer un financeur, donc la rémunération juste égale à la richesse produite par le capital.
Pourtant, les taux d’intérêt pratiqués par les banques sont historiquement bas. Mais la rémunération du capital, notamment sous forme de dividendes, n’a cessé d’augmenter, tout comme les taux de rentabilité ! Le surcoût du capital peut alors être interprété comme la différence entre la rémunération effective du capital et celle qui devrait « normalement » être égale à la valeur générée par ce capital.

Les logiques financières dans les entreprises de taille modeste
On serait tenté à première vue de considérer que ce problème de surcoût est lié uniquement aux grandes entreprises, celles cotées en bourse et qui déploient des masses financières se chiffrant en millions ou milliards d’euros. Mais il n’en est rien : ce phénomène affecte aussi les PME ou TPE, même si elles ne sont pas cotées en bourse. L’explication tient au phénomène de norme. La norme financière, considérée comme les niveaux « normaux » ou « attendus » pour qu’un financeur décide de financer et donc rentabiliser un investissement. Il s’agit de l’effet de benchmark : le financeur observe ce qu’il peut gagner « autre part » avant d’engager ses capitaux. Et si ce « autre part » leur fait miroiter des taux de rentabilité à 20%, il sera en mesure d’exiger de ses fonds placés dans des petites entreprises qu’elles le rémunèrent d’autant !
Cela est vrai :
• Pour les PME/TPE cotées en bourse (il faut s’aligner sur les rentabilités des autres sociétés, dont les grands groupes) ;
• Pour celles qui ont comme actionnaire un fond d’investissement (dans le système actuel, il s’agit d’une ressource indispensable pour beaucoup de PME et de ce fait, les dirigeants ont intérêt à satisfaire leurs exigences) ;
• Celles rachetées par effet de levier (les revenus générés doivent rembourser l’emprunt contracté par la holding)
• Celles qui disposent uniquement d’associés (qui voient d’une part les rentabilités des grands groupes comme un idéal à atteindre, et qui veillent à maintenir la valeur de la société à un niveau assez élevé pour pouvoir éventuellement la vendre plus tard).

Autant dire que la rentabilité folle des capitaux des grands groupes contamine celle des petites entreprises, contraintes de s’engager dans une course à la rentabilité qu’elles ne peuvent tenir ! Mais ce n’est pas tout ! Face à la frilosité des banques à financer les toutes petites entreprises, celles-ci se voient contraintes de s’autofinancer. Pour cela, elles s’exigent à elle-même de dégager des marges énormes, et donc une rentabilité exceptionnelle. Les « gazelles », « licornes » et autres start-ups du numérique affichant des taux de croissance exceptionnels avant de se faire racheter grassement par des grands groupes confortent cette tendance. Enfin, s’ajoutent à cela les relations de sous-traitances qui accentuent la pression sur les TPE/PME preneuses d’ordres.


1 | Pour aller plus loin sur ces injonctions au sacrifice : L’intégrisme Economique, Les liens qui libèrent, Eric Berr, 2017.