« La France est en guerre » a assené le président de la République à l’occasion de son allocution du 16 mars dernier, pour justifier l’adoption d’un « état d’urgence sanitaire ». Celui-ci n’a en commun avec « l’état d’urgence » que le nom… et le pouvoir qu’il octroie à l’exécutif se défend son premier ministre, M. Philippe. Ce dispositif doit permettre au gouvernement d’adopter une série de mesures par ordonnances, sans passer par le Parlement, pour une durée limitée et dans des domaines divers, dont le droit du travail. La vigilance est donc de mise !

L’état d’urgence, une histoire ancienne

Les premières lois restreignant les libertés sont adoptées entre 1892 et 1894, alors que la IIIe République est confrontée à la « propagande par le fait » des anarchistes qui, à coups de dynamites et de révolvers, s’attaquent à la bourgeoisie et à ses représentants. Le sommet est atteint avec l’assassinat de Sadi Carnot, président de la République en exercice, le 24 juin 1894 à Lyon. Trois lois, qualifiées de « scélérates », prévoient une restriction de la liberté de presse, la création d’un délit d’apologie, encouragent la délation, permettent d’inculper les membres ou sympathisants d’associations de malfaiteurs, interdisent la presse anarchistes et déclenchent des milliers de perquisitions et arrestations. La dernière d’entre elles, celle du 28 juillet 1894 tendant à réprimer les menées anarchistes ne fut abrogée qu’en… décembre 1992 !

De la guerre d’Algérie aux attentats

La guerre en Algérie justifie l’adoption, le 3 février 1955, de la loi sur l’état d’urgence qui permet aux autorités administratives d’adopter des mesures limitant les libertés de circuler et de manifester, permettant des assignations à résidence, la fermeture de lieux ou des perquisitions administratives. Ce dispositif, complété par l’article 16 de la constitution de la Ve République de 1958 octroyant des pouvoirs exceptionnels au président de la République, a été déclenché à trois reprises avant 1962, en Océanie en 1985-1987, lors des émeutes dans les banlieues en 2005 et dernièrement après les attentats de novembre 2015.

Cette dernière utilisation, mise en œuvre sous la présidence Hollande, a justifié l’interdiction de nombreuses manifestations ou leur encadrement drastique, comme celle organisée autour du bassin de l’Arsenal à Paris, le 23 juin 2016. Elle a permis des milliers de perquisitions, de centaines d’assignations à résidence et d’expulsions du territoire, dont certaines ont visé des militants syndicaux ou politiques. Après 23 mois d’application ininterrompue, le gouvernement Macron a finalement transposé bon nombre de dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun, par une loi du 1er novembre 2017.

La loi « d’adaptation » au coronavirus

Quel enseignement pouvons-nous en tirer ? Que le provisoire tend à devenir définitif, que des mesures temporaires justifiées par l’urgence d’une situation exceptionnelle peuvent finalement être intégrées dans le droit. L’adoption de mesures « limitant la liberté d’aller et venir, […] la liberté de réunion » et permettant « aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » de déroger aux règles relatives « à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical » et « aux congés payés » doit donc nous inciter à la plus grande vigilance. Car derrière l’appel à « l’unité nationale » face à « l’ennemi invisible », n’oublions pas que le gouvernement défend avant tout les intérêts du patronat.

Pour en lire plus, reportez-vous à l’intervention de Claude Ven.