En mars 1979, les premiers mots de la chanson de Michel Fugain annonçaient l’ouverture d’antenne d’une radio libre, mise en place par la CGT dans la ville de Longwy. « Radio Lorraine Cœur d’Acier » (LCA). Cette radio libre ou « pirate » pour le gouvernement de l’époque, était un moment d’expression et d’échanges qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire syndicale. Cette année-là, Longwy était au cœur de la casse industrielle. L’État était déterminé à mettre un terme à la sidérurgie française. Dès lors, salariés et population se voyaient contraints de s’investir dans un combat de survie.
Une radio libre
C’est dans ces conditions que le « secteur propagande de la CGT » a investi dans un outil de lutte : la radio. À l’époque, les fréquences, propriétés d’État, interdisaient toute émission privée et encore moins la diffusion d’expressions syndicales. Les tentatives précédentes, limitées, étaient restées teintées d’amateurisme. La confédération a investi dans du matériel, des techniciens et des journalistes professionnels. À la tête de cette équipe, le journaliste Marcel Trillat, Jacques Dupont et Bernard Martino. L’objectif : préparer la grande manifestation du 23 mars 1979, à Paris. Aussitôt émise sur les ondes l’antenne libre abordait tous les sujets et offrait la parole à tous. « Radio Lorraine Cœur d’Acier » a rencontré son public. Le besoin d’expression était si fort que, protégée de l’intervention de la police par la population, LCA continuera d’émettre durant de longs mois. Ils étaient nombreux à s’emparer du micro : ouvriers, artisans, commerçants, fonctionnaires, mais aussi femmes au foyer, immigrés… Au-delà de sa vocation à mobiliser, elle était devenue un outil de réflexion, d’initiation culturelle et d’échanges. Alors que la lutte syndicale s’essoufflait, LCA élargissait son champ d’action. Des débats internes à la CGT firent jour à l’antenne. Entre le besoin de rassemblement de la classe ouvrière et l’aspiration à toujours plus d’ouverture, un fossé se creusera.
La rupture
Alors que la population s’investissait massivement dans la radio, rapidement, les militants se sont trouvés démunis devant des professionnels rompus à l’exercice radiophonique et ayant parfaitement mesuré le potentiel de cet outil et la possibilité pour eux, d’exercer enfin leur métier tel qu’ils le concevaient. S’instaura alors un rapport inégal entre syndicalistes ouvriers et journalistes. L’investissement de Marcel Trillat et de ses collègues, le sérieux, la maîtrise et les capacités de cette équipe étaient des atouts incontestables. Issus eux aussi de milieux populaires, leur réussite en ont fait des exemples qui inspirent admiration et respect. Mais avec les journalistes parisiens, c’est aussi tout un réseau intellectuel et artistique qui venait à la rencontre de cette ville assiégée et se confrontait à une population baignée dans une culture de masse et des traditions ouvrières. Pour certains, exprimer ses souffrances et ses espérances devenait une « bouffée d’oxygène » vitale. Pour d’autres, dans une période d’affrontement, c’était des moyens qui échappent à la lutte. Peu à peu, le sentiment désagréable d’une « bonne parole apportée aux masses laborieuses » et de relents d’élitisme se sont fait jour parmi les syndicalistes. Lorsque l’emploi industriel, la sidérurgie, les restructurations, la lutte syndicale ne trouvaient plus leur place dans les sujets abordés à l’antenne, la rupture était inévitable. En juillet 1980 les journalistes ont été licenciés. LCA, reprise en main, s’éteindra rapidement. Les enjeux industriels et les débats internes à la CGT auront eu raison de cette expérience inédite de libre expression. Tous garderont en mémoire cet instant fugitif où ils ont brandi, chacun à leur manière, à travers les ondes « … un morceau de chiffon rouge. »