Confronté depuis plusieurs semaines à une mobilisation sociale déterminée à repousser son projet de loi sur les retraites, le gouvernement Macron-Philippe n’hésite plus à faire de la récupération politique, si grossière et mensongère soit-elle. À la suite d’un Nicolas Sarkozy instrumentalisant Guy Môquet ou d’un Front national invoquant Jean Jaurès, le Premier ministre Édouard Philippe n’a pas hésité, à l’occasion de son discours du 11 décembre 2019 devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE)[1], à inscrire son projet sur les retraites dans la logique du programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944 sous l’intitulé « Les Jours heureux ».

Quelle singulière manière de présenter les choses, pour un gouvernement qui – à l’inverse dudit programme qui prévoyait « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale », « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée » et « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » – s’est employé à museler les comités d’entreprise, à durcir les conditions d’accès à l’assurance-chômage et à privatiser la Française des Jeux et les Aéroports de Paris.

Cette posture fallacieuse est depuis déclinée par les différentes figures de proue de La République en marche (LREM), à l’image de la tribune de Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, parue dans Le Figaro du 29 décembre 2019. Une étape supplémentaire a toutefois été franchie avec le sénateur LREM de Paris, Julien Bargeton. À l’occasion d’interview sur BFMTV le 26 décembre et LCI deux jours plus tard, celui-ci a mis en ligne sur son compte twitter une citation d’Ambroise Croizat, « l’unité de la sécurité sociale est la condition de son efficacité. » Pire, Julien Bargeton, à l’occasion de l’émission sur BFMTV[2], a surenchéri, en expliquant : « L’universalité, cela n’a jamais voulu dire l’uniformité. Les fondateurs de la sécurité sociale, Ambroise Croizat, communiste, Pierre Laroque, plutôt gaulliste, disaient ʺl’unité de la sécurité sociale est la condition de son efficacitéʺ. Donc ils voulaient eux unir et étaient contre les régimes spéciaux. »

Cette crapulerie ne pouvait rester sans réponse. Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat s’est déjà fendu d’une lettre ouverte (voir en pièce-jointe) que la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie soutient et invite à faire connaître. Elle ajoute que les principes fondateurs de la Sécurité sociale, imposés par les luttes sociales et traduits par Ambroise Croizat, ministre du Travail (1945-1946, 1947) sont :

1/ l’universalité, c’est-à-dire la couverture de l’ensemble de la population du pays ;

2/ la gestion démocratique par des administrateurs élus au suffrage direct, pour ¾ par les assurés sociaux et pour ¼ par le patronat l’unité ;

3/ la solidarité, par des mécanismes de redistribution des revenus au profit des plus faibles ;

4/ l’unité, par le regroupement de l’ensemble des risques sociaux au sein d’un même régime.

Sur ce dernier point, affirmer qu’Ambroise Croizat était contre les régimes dits « spéciaux » est malhonnête. Leur intégration dans le régime général était prévue, mais certainement pas en tirant vers le bas des garanties, comme entend l’imposer le gouvernement Macron-Philippe, dans la droite lignée des lois adoptées depuis 1995. Les régimes dits « spéciaux » devaient être incorporés au gré des améliorations apportées au régime général, tirant ainsi, vers le haut, l’ensemble des droits collectifs.

Tel est le sens du progrès social porté par Ambroise Croizat à la Libération et combattu avec constance depuis par le patronat et les gouvernements successifs. Nous ne laisserons pas salir sa mémoire et c’est parce que nous sommes conscients de l’importance de ses réalisations que nous lutterons pour obtenir le retrait pur et simple de ce projet néfaste.

[1] https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/12/discours_de_m._edouard_philippe_premier_ministre_-_presentation_du_systeme_universel_de_retraite_au_cese_-_11.12.2019.pdf.

[2] https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/story-2-greves-ou-est-passe-le-gouvernement-2612-1211284.html.