Par souci d’environnement, le nucléaire est souvent pointé du doigt.
Suite à l’accident de Fukushima, il y a eu un gel des projets à travers le monde. Cela s’explique par le traumatisme mais nous avons besoin d’analyser avec précision ce qui s’est passé : la diversité des acteurs intervenants sur le site, le temps trop long de réaction car ils pensaient pouvoir faire redémarrer les réacteurs, etc… Dans ce domaine, 24h de retard, cela peut-être catastrophique. Dans la foulée, des pays comme l’Allemagne ont annoncé la fin du nucléaire sur leur territoire, tandis que d’autres comme la Turquie, l’Inde ou la Chine souhaitent développer cette énergie.
Dans ce contexte, au regard des besoins énergétiques mondiaux et de l’analyse des problèmes écologiques, le problème prioritaire est de limiter l’émission de CO2 dans l’atmosphère. Or, l’énergie nucléaire fait partie des énergies décarbonées, qui sont nécessaires pour les décennies à venir. Mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas besoin d’un mixe énergétique. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches, notamment, avec la quatrième génération de centrale nucléaire (moins de combustible à retraiter que dans les centrales actuelles). Il s’agit, également, de développer la recherche sur le stockage de l’énergie pour l’éolien ou encore les énergies renouvelables. Ce n’est pas en contradiction. La production d’énergie nucléaire va en diminuant.
Nous sommes loin d’aller vers le tout nucléaire, mais on a besoin du nucléaire comme source d’énergie car le renouvelable ne va pas remplacer l’énergie nucléaire.
Quelle est la situation de la filière nucléaire en France ?
La filière nucléaire française a été reconnue excellente à travers le monde. Mais, nous pensons qu’il manque un pilote dans l’avion alors que l’ensemble de la filière est sous contrôle public1. Or, nous n’arrivons pas à travailler complètement ensemble. C’est incompréhensible. Je pense que l’Etat devrait jouer un rôle plus directif sur le sujet. En 2012, par exemple, EDF négociait directement avec la compagnie chinoise (CGNPC) sans inclure AREVA. Aussi, le conseil politique nucléaire a demandé l’arrêt des négociations pour que les deux entreprises françaises avancent ensemble sur la réalisation d’un 1000 mégawatt avec l’entreprise chinoise.
Cette coopération nous semble incontournable pour éviter les échecs comme à Abu Dhabi et pour sauvegarder la filière nucléaire française.
De plus, il y a aussi la problématique du renouvellement du parc français. Aujourd’hui nous sommes sur la prolongation de vie des centrales jusqu’à 60 ans (sachant que la plus ancienne a 40 ans). Malgré tout, nous avons besoin de renouvellement important. D’ailleurs les décisions de fermer Fessenheim et ne pas construire Penly sont des aberrations. Pour Fessenheim, c’est d’autant plus déplorable que l’autorité de sureté nucléaire a donné son feu vert pour perdurer l’activité du site sous réserve de travaux dont certains ont déjà été réalisés. Cette décision remet en cause l’organisme de sureté qui à notre avis est incontournable. C’est pourquoi, nous souhaitons la mise en place d’un tel organisme à travers le monde pour éviter les problèmes de sureté et de qualité ; Car dans ce domaine, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Aussi, poursuivre la construction, c’est maintenir et développer les compétences.
La sureté nucléaire impose un savoir faire et une qualification importante des salariés. Pourtant les choix stratégiques et salariaux sont en complètes contradiction pour assurer au maximum la sécurité.
C’est en travaillant qu’on maintien les compétences. D’autant que le nucléaire demande une qualité supérieure. Et, le recours à la sous-traitance accentue le problème. Il y en a beaucoup trop. D’ailleurs, l’Agence de Sureté Nucléaire (ASN) a déjà bloqué des fabrications avec cet argument. Il y a, aujourd’hui, jusqu’à 8 niveaux de sous-traitance or, l’ASN en préconise 3 au maximum. Ce qui est encore beaucoup si on mesure les conséquences sociales pour les salariés. De plus, cette politique engendre des conséquences sur la qualité et la sureté ; Comme partout, une grande majorité de salariés est fier de son travail ; mais quand ils sont maltraités, ils ont tendance à lever le pied. Cela peut avoir des conséquences dramatiques dans une5 filière comme la nôtre. La CGT alerte souvent sur cette question. D’autant que dans cette situation, on dilue les responsabilités en cas de problème. Le risque aussi, c’est une perte des compétences pour les salariés qui interviennent au coup par coup en fonction du marché. Aussi, quand les sous-traitants ne fabriquent plus, il y a une perte du savoir-faire ; On ne retrouve plus les structures capables de répondre aux exigences.
Dans ce contexte, l’annonce de 100.000 embauches d’ici 2020 dans la filière est une bonne nouvelle ?
En fait, il va y avoir beaucoup de départs. Ces embauches ne sont pas obligatoirement des créations d’emplois, ce sont en priorité des remplacements. Chez Areva, par exemple, sur 22 500 salariés environ en France, il y a aura un renouvellement d’environ 9000 salariés. Chez EDF, nous sommes dans la même situation. Le transfert de compétence est donc un enjeu important pour l’avenir. L’embauche de jeunes salariés nécessite une période d’adaptation pour l’ensemble des postes il faut donc anticiper (de l’ingénierie à la réalisation des gros équipements). D’autant que la problématique pour la filière nucléaire française, c’est de continuer à concevoir, à fabriquer et à maintenir les équipements industriels et d’ingénierie sur le territoire.
Le marché présent est principalement à l’international. C’est pourquoi, nous sommes très vigilant sur les accords à l’international qui nécessite de bien analyser ce qui est localisation (pour répondre aux besoins local du marché) et délocalisation (c’est-à-dire dumping social). Pour le moment, nous arrivons à garder la propriété intellectuelle de certaines fabrications, mais pour combien de temps ? Enfin, pour lutter contre le dumping social en France et à l’étranger, nous devons également créer des échanges entre les salariés.
Aussi, la proposition de développer les comités de groupe à l’échelle mondiale me parait intéressante; Déjà au niveau Européen, chez Areva, nous avons gagné des avancées sociales avec l’alignement des conditions sociales françaises pour nos collègues belges ou espagnols dans certains secteurs comme la transmission et la distribution. De manière plus générale, je pense que la filière est moins attirante que dans les années 70 – 80.
Le turnover chez Areva est de l’ordre de 5 %, mais si on regarde plus finement, chez les jeunes recrues, il est plus important. Ils ne sont plus confiants dans la filière car les perspectives de déroulement de carrière et de salaires se dégradent; Et les choix qui sont actuellement réalisés ne vont pas changer la donne.
Justement sur les choix stratégiques, quel avenir se dessine pour la filière française?
Chez Areva, on est toujours sur les impératifs du précédent Gouvernement dont la lettre de cadrage insistait sur la nécessité de devenir autonome financièrement avec l’obtention d’un résultat à deux chiffres d’ici 2016 et économiser un milliard d’euros. Or, cela nous semble irréalisable et cela crée une pression qui peut obnubiler la Direction.
Ces choix vont engendrer des conditions de travail déplorables pour les salariés et la qualité du travail risque de s’en faire ressentir. Nous n’en sommes pas encore là, mais il faut faire attention. De plus, il manque également une politique énergétique à l’échelle européenne, ou tout au moins une coopération. De nombreux pays du vieux continent sont plutôt anti-nucléaires. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas d’analyse des besoins et de définition des sites d’implantation. La crise financière n’a pas aidé dans ce sens, car la filière nécessite des investissements à long terme ; La stratégie de production de l’énergie est importante d’autant que le prix de l’énergie à la sortie devient une préoccupation de plus en plus importante des ménages et influence également l’avenir de la production industrielle. Nous devons être sûrs que nos besoins seront assumés.
Or, le renouvelable ne peut pas aujourd’hui assurer la demande en énergie. C’est aussi pourquoi, nous avons besoin de développer la recherche sur le nucléaire notamment pour aller vers la 4e génération de centrale car c’est une avancée technologique qui amène plus de sureté et moins de déchet.
Il est donc primordial que l’actionnaire majoritaire c’est-à-dire les pouvoirs publics soient conscients de la situation et donnent les moyens à la filière afin d’atteindre le meilleur niveau de qualité et de sûreté, gage d’acceptation du nucléaire dans les populations.