C’était la nouvelle saga de l’été pour les médias économiques : l’Etat français peut emprunter de l’argent à 10 ans à des taux négatifs. Cela veut dire qu’à la fin de l’emprunt, l’Etat français remboursera moins que ce que le prêteur lui a apporté ! Une situation exceptionnelle – une anomalie même – que chaque ménage qui a emprunté pour acheter un logement ou une voiture envierait, mais que cache en réalité ce taux d’intérêt négatif ?

Les bons du trésor et leur coût
Pour bénéficier d’une source de financement à la fois sur le court terme comme le long terme, l’Etat a recours à l’emprunt public. Concrètement, il émet des « obligations assimilables du Trésor », souvent appelés « bons du Trésor », qui sont achetés par des particuliers (bien souvent des banques). Il s’agit de titres de dette : chaque obligation a une valeur nominale, un taux d’intérêt nominal lui aussi et une durée. A terme, le prêteur reçoit alors la valeur de l’obligation, ainsi qu’un intérêt calculé à partir du taux d’intérêt.
Le terme de ces obligations peut être très court (moins d’une semaine) pour répondre à des besoins de financement immédiat (traitements des fonctionnaires par exemple) comme très longs (environ 10 ans) pour financer les projets d’investissement de l’Etat et sa politique économique.
Les taux d’intérêt dépendent de deux facteurs : l’inflation (plus elle est élevée, plus le taux nominal l’est aussi), et le risque de défaut de l’Etat (le non-remboursement de la dette), qui est souvent croissant en fonction du terme. Plus un Etat est jugé peu fiable par les investisseurs et leurs agences de notation, plus son taux d’emprunt sera élevé, et donc plus sa dette le sera, ce qui amplifie son risque de défaut !
On pourrait donc se réjouir de ces taux négatifs : l’Etat français peut emprunter à 10 ans à un coût « négatif », ce qui signifie donc d’une part que le risque de défaut est faible (la Troïka peut donc aller voir ailleurs), et que le coût de la dette va diminuer !

Une incitation à l’instabilité
Mais il faut en fait bien comprendre que l’emprunt à 10 ans de l’Etat est une « référence » pour le monde financier. En effet, chaque établissement financier possède – volontairement ou règlementairement – des obligations d’Etats « fiables », afin d’assurer une certaine stabilité dans leurs portefeuilles. Ces taux négatifs peuvent offrir deux issues, peu attrayantes pour l’industrie.
D’un côté, avec des taux d’intérêts négatifs, ces banques n’ont aucun intérêt – c’est le cas de le dire – à prêter leur argent à l’Etat. Cela signifie que n’importe quel autre placement est plus rentable. Or, n’importe quel placement est aussi plus… risqué ! Le véritable risque pour l’économie est de voir alors des investisseurs demander des emprunts aux établissements financiers, qui vont leur accorder ces emprunts sans être trop regardants. Mais parmi ces projets d’investissement, combien seront vraiment rentables ? Combien de faillites surviendront ? Le risque est bien qu’en arrosant à tout va tous les investisseurs, on se retrouve dans peu de temps avec un nombre important de défaillances du secteur privé, incapable de rembourser les emprunts. Et l’on sait que quand un nombre important d’acteurs économiques « font faillite », c’est bien tout le système qui s’écroule par ricochet.
D’un autre côté, les banques peuvent anticiper de fortes secousses économiques – et le contexte économique international ne leur donne pas tout à fait tort – et peuvent alors trouver dans ces taux d’intérêt négatifs le prix à payer pour s’assurer de voir leur argent toujours en vie. C’est le « prix du coffre-fort ». De même, elles pourront faire payer aux emprunteurs le coût des créances de l’Etat. Or, en refusant d’allouer des prêts aux entreprises, l’investissement de ces dernières risque de chuter faute de financement suffisant. Or, un investissement en baisse est autant de carnets de commandes non remplis pour les entreprises qui produisent ces biens d’investissement et autant de retard technologique pour les entreprises qui souhaitent investir. Donc un ralentissement voire une crise économique à venir… Un petit air de 2008 me direz-vous ? Vous n’avez pas tout à fait tort… Peut-on vraiment en appeler au « bon sens » de la finance pour éviter cette crise ? Ou ne devrait-on pas enfin sortir notre économie des turbulences du monde financier ?