Nous venons d’apprendre avec beaucoup de tristesse le décès de Jacqueline TIMBAUD, fille de Jean-Pierre TIMBAUD. En ces douloureuses circonstances, la Fédération présente à sa famille et ses proches, ses plus sincères condoléances.
Jacqueline OLLIVIER TIMBAUD 29 mars 1928 – 25 juillet 2017
En octobre 1942, une mère et sa fille prenaient le train gare Montparnasse, en pleine occupation nazie et partaient pour un rendez-vous qu’elles ne pouvaient manquer. Pauline et sa fille Jacqueline se rendaient à Châteaubriant pour un terrible anniversaire. Un an auparavant, le 22 octobre 1941, leur époux et père, Jean Pierre TIMBAUD, était fusillé avec 26 de ses camarades dans une sablière à quelques kilomètres du camp de Choisel. Choisis par Pucheux, ministre de Pétain, ils étaient les otages sacrifiés à la demande des nazis suite à l’attentat commis par les résistants contre le lieutenant colonel Hotz, à Nantes.
Rien n’aurait pu arrêter cette veuve et sa fille de 14 ans. Le soldat allemand en faction reculera devant la détermination de Jacqueline et les laissera descendre dans la carrière pour déposer des fleurs au pied des poteaux d’exécution.
Par ce geste elles réalisaient la première commémoration de la fusillade qui rassemble encore aujourd’hui, chaque année, des centaines et parfois des milliers de personnes, venues se souvenir et réaffirmer leur refus de l’intolérance, de la haine et leur détermination à se battre pour la liberté, l’égalité, la fraternité et la dignité humaine.
Jacqueline n’oubliera jamais l’accueil que leur firent de nombreux habitants de Châteaubriant.
Elle leur en sera toujours reconnaissante ainsi que des fleurs déposées anonymement dans la carrière dès le lendemain des exécutions.
Dès lors, elle ne cessera de porter la mémoire de ce père avec détermination, dignité et engagement pour un avenir meilleur. Elle prendra ainsi la mesure de cet homme qui toute sa vie et au delà de sa mort a suscité l’attachement et la reconnaissance des métallos et de tous ceux qui croisé son chemin. Celui dont louis ARAGON parlait avec respect et admiration et dont l’annonce de l’assassinat fit surgir en pleine occupation, des banderoles : « Ils ont tué notre TIMBAUD ». Car Jean Pierre TIMBAUD était une figure des métallurgistes parisiens. Il avait profondément marqué de son empreinte le syndicalisme des années trente. Sa popularité dans les quartiers populaires ne cessait d’étonner. On écoutait ses discours enflammés aux portes des usines et son nom tintait parmi le fracas de la lutte des classes.
En octobre 1940, démobilisé, revenu dans Paris occupé et déjà engagé dans la reconstruction des syndicats, Cécile Rol-Tanguy vient le prévenir qu’il est recherché. Alors, avant de rentrer en clandestinité, il prend sa fille sur ses genoux et lui dit :
« Ma fille, tu dois savoir, si un jour je me trouve en prison, ce ne sera pas parce que j’ai commis un crime ou que j’ai volé, mais parce qu’actuellement, je mets toutes mes forces pour que mon pays retrouve la Liberté, mais aussi parce que je me suis toujours battu pour défendre mon idéal, pour défendre les ouvriers et pour la Justice sociale. Tu ne devras pas avoir honte de moi ».
Arrêté le 18 octobre, interrogé à la préfecture de police de la Seine, il est interné au camp d’Aincourt, puis transféré le 5 décembre à la prison centrale de Fontevraud. Enfin le 21 janvier 1941 c’est à la centrale de Clairvaux que jacqueline verra son père pour la dernière fois. Il est en tenue de bagnard, des sabots aux pieds. Cette image terrible lui restera gravée à jamais. Mais ce n’est de honte qu’elle est submergée mais d’amour et d’admiration.
En mai 1941, Jean Pierre TIMBAUD arrive avec ces camarades au camp de Choisel sur la commune de Châteaubriant. Dans quelques semaines il sera exécuté par les nazis avec la complicité des gendarmes de Vichy.
Jacqueline a toujours refusé d’être distinguée notamment en recevant la légion d’honneur, tant que son père et ses camarades ne l’auront pas obtenus. Ces hommes, assassinés pour leur engagement et à qui on refuse encore le nom de résistants.
Il fallait voir son insistance, chaque année, pour que les célébrations de Châteaubriant ne se résument pas à l’évocation des martyrs mais prenne sa place dans les luttes du moment. Elle était sur ce point intraitable. Au delà de l’évocation de leur sacrifice, leur combat devait s’inscrire dans les réalités et les affrontements d’aujourd’hui.
Jacqueline c’est toute une vie d’engagement politique, syndical et de solidarité. Après la guerre et son engagement dans la résistance, elle animera le « bol d’air » qui vient en aide aux orphelins de résistants et de déportés, elle sera présidente de l’association des familles de fusillés et de l’amicale de Châteaubriant. Et toujours le militantisme politique et syndical. Le combat quotidien que chante Jean FERRAT.
Et au long de toutes ces années, un homme à ses cotés, Pierre OLLIVIER, dirigeant syndical de la métallurgie. Pierrot qui l’épousera sous le regard de deux témoins : Jacques DUCLOS et Benoit FRACHON. Pierrot, notre camarade qui s’est éteint il y a trois ans. Nos pensées et notre affection vont aujourd’hui à Maryse leur fille, Gérard son époux qu’elle aimait beaucoup, à ses petits enfants Muriel, Pierre, Fadila et arrières petits enfants Elias, Medhi et Ismaël.
Nous avons eu la chance, l’honneur et le privilège de la connaître mais aussi le plaisir de moments passés à ses cotés. Nous avons eu la douce satisfaction de voir dans son regard la complicité lorsque nous bavardions et surtout d’entendre et parfois de provoquer son rire. C’est l’image la plus forte, la plus tendre qu’il nous reste : son rire.
Elle a fait le choix de partir sans nous prévenir.
Une petite flamme s’est éteinte aujourd’hui. Une petite braise qui participait depuis près de 80 ans au combat de classe. Nous en sommes assommés de tristesse et de chagrin, mais surement un peu plus forts de sa mémoire et de son souvenir. Jacqueline demeure à nos cotés.
Ses cendres seront dispersées dans le jardin des souvenirs, là-bas, tout en haut du père LACHAISE, à quelques pas du mur des fédérés. Elle souhaitait reposer près du monument où repose son père avec ses camarades. Désormais ce sera aussi pour elle que nous irons y déposer des œillets rouges. Un geste auquel elle était très attachée.
(Un texte hommage écrit par Claude Ven de l’IHS)