Interview d’Allain Malherbe, membre de l’Association d’histoire sociale de Citroën.
Comment a émergé le projet de réalisation d’un ouvrage sur Citroën ?
En 2005, nous avons créé une association d’histoire sociale de Citroën, adhérente à l’IHS Métallurgie. L’idée était de transmettre la mémoire des travailleurs et en particulier celle des usines Citroën. Depuis, chaque année, lors de l’assemblée générale, plusieurs camarades présentent une étude de luttes. Nos recherches, consacrées à ces études, nous ont conduit à fréquenter les salles d’archives.
Et là, on est allé de découverte en découverte. Citons trois exemples : en 1912, les ouvriers de Mors Automobile dont le directeur général est André Citroën obtiennent la semaine anglaise (pas de travail le samedi après midi) et des délégués d’ateliers. Ce grand mouvement national de réduction du temps de travail était porté par la CGT qui le mit à l’ordre du jour de son congrès. Puis, en août 1941, en pleine occupation allemande, des ouvriers de l’usine de Clichy fondent le comité populaire central des usines Citroën et remettent un cahier de revendications publié dans le n° 1 de leur journal Combat. Ensuite, le 16 septembre 1957, le citoyen et 2ème classe Fernand Marin, ouvrier à Levallois, écrit au Président de la République pour lui annoncer son refus de participer à la guerre d’Algérie. Au fil de nos investigations, nous avons constaté un décalage considérable entre la minceur des publications prenant en compte la dimension humaine du travail et la richesse du mouvement ouvrier chez Citroën. La nécessité de transmettre cette richesse s’est imposée à nous.
Plus concrètement, comment avez-vous travaillé pour résumer dans un ouvrage un siècle de travail et de luttes ?
A l’Assemblée générale de 2012, le projet a été validé. Il a ensuite été présenté à la fédération de la métallurgie et son Institut d’Histoire Sociale. Une fois qu’il a été retenu, nous avons constitué le collectif de 17 auteurs, issus de l’usine, et nous nous sommes entourés des compétences d’un éditeur, les éditions de l’Atelier et d’un historien, Alexandre Courban. Comme beaucoup d’auteurs-militants issus de l’usine, tout paraissait important à dire.
Ces deux compétences ont été précieuses pour effectuer les choix en fonction des contraintes, de pagination, d’iconographie, de qualité de papier, des références des sources historiques. Au final, l’ouvrage se divise en 5 parties chronologiques. Il met en lumière la permanence des luttes entre le patronat et les salariés. Le patronat veut réduire le coût du travail. Les salariés, ouvriers mais aussi employés, techniciens et quelques ingénieurs, veulent améliorer leur salaire et leurs conditions de travail. L’ouvrage souligne que malgré la remise en cause par le patronat des avantages acquis et les licenciements massifs dans les périodes de conflits, le syndicat CGT réussit toujours à renaître pour finalement s’ancrer durablement dans l’usine. L’exemple de la reconnaissance du fait syndical est significatif. Les délégués d’ateliers de 1912 et des années 1920 sont en situation précaire et sont virés dès que le mouvement revendicatif faiblit. Le front populaire de 1936 inscrit dans la loi les délégués du personnel.
La Libération de 1945 étend le pouvoir des délégués au comité d’entreprise. Le mouvement de 1968 reconnait la section syndicale d’entreprise. A la charnière des années 2000, la discrimination syndicale est reconnue. Ces avancées ne sont pas particulières à Citroën, mais elles soulignent l’ancrage du syndicat dans l’entreprise. C’est un choix politique, de la CGT, d’être à l’entreprise sur le lieu de l’exploitation capitaliste. Sur un siècle, c’est un succès du mouvement des salariés. On remarque aussi que le mouvement chez Citroën est toujours appuyé par le mouvement général. Les travailleurs savent que des salaires faibles chez Citroën tirent les salaires des autres usines vers le bas. Il y a un intérêt commun à lutter, en aidant les Citroën les autres salariés s’aident eux-mêmes. Le livre donne plusieurs exemples de soutiens extérieurs qui viennent aider le mouvement intérieur. Cette solidarité s’est encore exprimée vers les salariés de PSA Peugeot-Citroën d’Aulnay début 2013.
Justement, à propos de l’actualité, avez-vous décidé d’aller à la rencontre des salariés de PSA aujourd’hui avec cet ouvrage ?
C’est un ouvrage pour les salariés d’aujourd’hui. Ceux de Citroën, de PSA Peugeot, de l’automobile et de tous les secteurs professionnels. Il a une portée générale. Il parle du passé, du présent et il est tourné vers l’avenir. Les deux derniers chapitres sont consacrés aux luttes depuis 2005. On retrouve ainsi, les militants qui sont actuellement sur le terrain. Mais, ce n’est pas suffisant, nous voulons aller plus loin.
Nous sommes disponibles pour le présenter dans toutes les manifestations syndicales, culturelles et politiques. Nous souhaitons qu’un grand nombre de syndiqués et de salariés prennent connaissance de ce travail. Par exemple, dans le cadre de la formation syndicale dans la métallurgie. Le livre est de la même vaine que la brochure réalisée par nos camarades pour le centenaire de Peugeot Sochaux (1912-2012). En France, l’industrie automobile a un avenir possible et la bataille se mène principalement avec ceux qui sont dans l’entreprise aujourd’hui.
Disponible auprès de l’IHS ou de l’AHS Citroën au prix de 15 euros au lieu de 28 euros.