Maison des métallos, parc de loisirs et de culture, colonie enfantine, polyclinique, centre de formation pour les privés d’emplois sont autant de réalisations sociales édifiées par l’Union des syndicats CGT de la métallurgie de la région parisienne, à partir de l’imposante croissance de ses effectifs syndiqués durant le Front populaire. Mais si cette histoire est aujourd’hui assez bien connue, celle du château de Pont-Pinet à Tullins (Isère) l’est beaucoup moins.
Un havre de paix
Blotti dans une propriété de plus de quatre hectares, juché à trois cents mètres d’altitude sur une colline dominant la plaine du bas-Grésivaudan et offrant un panorama unique sur les massifs du Vercors et de la Chartreuse, se dresse le château de Pont-Pinet, sur la commune de Tullins. Celle-ci est située dans la vallée de l’Isère, à quelques kilomètres de Voiron et compte près de 4 500 habitants en 1937. Sa localisation, le long de la route qui mène de Genève à Valence, ainsi que la présence de ressources hydrologiques en font un important centre industriel pour la métallurgie, la papeterie et l’habillement à partir du XIXe siècle.
Cette propriété a été bâtie en 1875 par les architectes Davand père et fils de Roanne, à la demande d’Henri Eymond Du Terrail, dont les ancêtres possédaient le château de Bayard où est né, en 1473, le célèbre chevalier « sans peur et sans reproche ».
Outre le château, on y trouve un grand pavillon, un second pavillon avec volière, une basse-cour, de petites écuries, un grenier à foin, des serres, des garages et un magnifique parc agrémentés de tilleuls, de marronniers et d’un ruisseau. À sa mort en 1907, le bien est légué à son petit neveu, Henri, dit André, Du Terrail, qui le cède trois ans plus tard à un couple qui transforme le château en hôtel-restaurant, le « Métropole ». En 1932, visé par une saisie
immobilière, il est vendu aux enchères et acquis par un couple de la Côte d’Azur.
Un fruit du Front populaire
Le 24 mai 1937, la propriété est achetée par la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie, qui a mandaté pour l’occasion Léon Chevalme, son trésorier, conformément à la décision prise par lors de la commission exécutive fédérale du 15 décembre 1936.
Transformée en maison de repos pour les travailleurs de la métallurgie et leurs enfants, elle accueille la commission exécutive fédérale le 24 juillet 1937. À cette occasion, deux importantes résolutions furent adoptées. La première concerne les principales revendications défendues comme le respect du droit syndical, l’échelle mobile des salaires, la retraite pour les vieux travailleurs, un programme de grands travaux, une loi sur l’embauche et le licenciement, la simplification de la procédure de conciliation. La seconde appelle à la défense de l’Espagne républicaine.
Le jour même, elle est officiellement inaugurée, en présence de Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, de Julien Racamond et Benoît Frachon, secrétaires de la CGT, ainsi que d’Ambroise Croizat, secrétaire général de notre Fédération, lequel, dans son discours, proclame : « Dans ce petit pays de Tullins, nous allons rassembler dans cette maison des ouvriers ; pensez donc, pour cette bourgeoisie réactionnaire quel exemple nous lui présentons en installant des « métallos » dans un château. »
Le soir, un grand meeting est organisé en plein air à Grenoble, avec une prise de parole de Léon Jouhaux sur le plan économique et social de la CGT et son attitude à l’égard de la situation économique du pays, suivie, le lendemain, par une grande fête populaire à laquelle prennent part les députés Paul Vaillant-Couturier et André Parsal.
Tout comme ses consœurs de la région parisienne, ce château s’inscrit dans le syndicalisme dit « de services » ou « à bases multiples ». Celui-ci avait pour projet de favoriser la syndicalisation en ajoutant à l’action revendicative classique une gamme étendue de services prenant en charge les besoins sociaux des adhérents. Ces réalisations sociales ont connu un essor inédit durant le Front populaire, grâce au climat enthousiaste créé par la poussée brutale des effectifs syndiqués et la conquête d’acquis législatifs significatifs. Le champ des loisirs – sportifs, culturels et touristiques – fit l’objet d’une attention toute particulière, en raison notamment de l’écho important des lois sur les congés payés et sur la semaine de quarante heures chez les travailleurs.
La dégradation rapide du contexte international oblige la Fédération a mettre à disposition cette propriété pour offrir du repos aux volontaires des Brigades Internationales blessés puis, à partir d’avril 1939, aux femmes et aux enfants des militants de la Fédération des métallurgistes d’Espagne, comme cela a déjà pu être évoqué lors du numéro 60 des Cahiers d’histoire sociale de la métallurgie de juin dernier. Pour participer financièrement à cet accueil, la fédération mit à cette occasion en vente des cartes de solidarité.
Du séquestre à la vente
Le 26 septembre 1939, le gouvernement adopte un décret prononçant la dissolution des organisations communistes et apparentées ainsi que le placement sous séquestre de leurs biens. La propriété de Pont-Pinet n’y échappe pas et un gérant est désigné par la justice. Elle reste cependant inhabitée durant toute la durée de la guerre, occasionnant, comme en témoigne un état des lieux dressé par un architecte en mai 1945, de nombreux dégâts dus aux infiltrations des eaux de pluie et à l’éclatement de canalisations avec le gel ou encore aux coupes sauvages effectuées dans les bois du parc.
Après réparations, la maison de repos peut rouvrir ses portes le 15 juin 1946 et accueillir « les camarades désireux d’aller se reposer des fatigues de l’usine et de la vie militante. » Destinée en priorité aux syndiqués de la métallurgie, elle peut accueillir soixante-dix adultes et vingt enfants. Toutefois, la gestion de cette propriété pose rapidement de nombreuses difficultés, en raison de son éloignement de Paris, de l’évolution des besoins des salariés et de plusieurs appréciations négatives de personnes y ayant séjourné sur l’hygiène et la propreté, sur la qualité des repas et sur l’attitude du couple chargé de sa gestion. Dans une lettre adressée au syndicat CGT des métaux de Tullins en avril 1950, Louis Gatignon précise ainsi que « notre maison de repos ne correspondait plus au but que nous lui avions assigné lors de son achat en 1936, et que de ce fait, étant une lourde charge pour notre fédération, nous nous voyions dans l’obligation de nous en séparer. »
Décision est donc prise de vendre le château, mais le contexte économique ne facilite pas l’opération. Plusieurs pistes sont suivies. Un temps, le ministère des Finances envisage de le louer. Le comité d’entreprise des chantiers navals de La Ciotat ou encore celui de l’usine Neyrpic de Grenoble s’y intéressent mais ne peuvent l’acquérir faute de moyens financiers suffisants. La caisse d’allocations familiales de la région parisienne cherche à ouvrir une maison de repos ou une colonie de vacances, tandis que la Croix-Rouge de Lyon songe à y implanter une maison d’enfants atteints de déficiences.
Le devenir du château
La propriété est finalement cédée le 5 octobre 1950 à la SARL « Beauregard », une structure dédiée à la gestion de maison d’accueil pour enfants, dont le siège est à Tullins. Cette propriété n’abandonne donc pas la nébuleuse des « châteaux du social », expression forgée pour désigner l’achat de propriétés par des œuvres ou des établissements à vocation sociale, pour en faire des orphelinats, des sanatoriums, des maisons de repos, des centres de formation professionnelle, des colonies de vacances ou encore des parcs de loisirs et de culture. Elle est ensuite revendue en mars 1953 à la compagnie pétrolière Esso, laquelle y installe une colonie de vacances qui accueille, trente-cinq années durant, des milliers d’enfants d’Ile-de-France et des Bouches-du-Rhône avant d’être cédée, en septembre 1993 à un particulier.