La Maison des Métallurgistes en 1937 | DR - coll. IHS Métaux

La Maison des Métallurgistes en 1937 | DR – coll. IHS Métaux

Le 29 décembre 1936, l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne acquiert une usine de la réputée maison Couesnon, spécialisée dans la fabrication d’instruments de musique. Installée depuis 1881 au 94 rue d’Angoulême à Paris (XIe arr.), cette fabrique longtemps dirigée par Amédée Couesnon, patron paternaliste et député radical-socialiste de 1907 à 1919, fut cédée en raison des difficultés financières rencontrées par l’entreprise avec la crise des années trente. La lyre qui orne la ferronnerie au-dessus du portail d’entrée rappelle les origines du lieu.

La maison Couesnon

« Au 94, rue d’Angoulême, une usine d’instruments de musique était en vente. Une seule salle pouvait encore servir sans trop de frais : l’auditorium. L’atelier immense des tôliers-formeurs pouvait être transformé en une grande salle de réunion et de congrès. Aux étages, les anciens appartements pouvaient faire des bureaux, sans trop abattre de cloisons. Affaire réglée en août 1936, le temps de constituer une société immobilière et d’entreprendre dare-dare les travaux, et la Maison des métallurgistes était née ! » Roger Linet, La traversée de la tourmente 1933-1943, Messidor, 1990.

Cette usine, d’une esthétique classique et monumentale, est faite de verre, de fer, de brique et de pierre. Elle a rassemblé une petite centaine d’ouvriers qualifiés, avec une organisation du travail très rationnalisée, mais peu mécanisée. Contrairement aux nombreuses cours artisanales du XIe arrondissement, remarquables par l’imbrication des ateliers, cette usine est pensée de manière fonctionnelle, avec deux bâtiments sur rue à usage commercial et de restauration, deux bâtiments de rapport de trois étages et en fond de cour, l’hôtel industriel.

Fournisseur de nombreux orchestres (Conservatoires, Beaux-arts), de fanfares officielles (ministères de la Guerre et de la Marine, Garde républicaine), puis après guerre, des musiciens de jazz, en particulier sur le continent américain, Couesnon et Compagnie est une entreprise prospère, reconnue pour la qualité de ses produits. Dans les années trente, l’entreprise assure également la diffusion des disques et phonogrammes Columbia en France.

Loin d’être un espace clos, l’usine est au contraire un espace partagée avec des artisans et des particuliers. Les bâtiments sur rue sont ainsi occupés, de 1883 à 1906, par un certain Ruet, commerçant-restaurateur et président du « cercle Lamartine », d’inspiration culturelle et politique. L’usine et sa cour intérieure ont été conçues comme un espace de mixité sociale, mêlant lieu de vie et lieu de travail.

La Maison des Métallurgistes

Cortège du syndicat CGT des métaux de la région parisienne | DR - coll. IHS Métaux

Cortège du syndicat CGT des métaux de la région parisienne | DR – coll. IHS Métaux

La Maison des métallurgistes, inaugurée le 2 mai 1937 en présence de nombreuses personnalités, rassemble les services administratifs et de documentation du syndicat, des salles de réunion, un conseil juridique, une cantine, une librairie, une salle de sports et une salle de musique. Elle abrite également le siège de la caisse primaire des métallurgistes pour les assurances sociales et de la mutuelle du métallurgiste. Cette implantation dans le onzième arrondissement parisien n’est pas un hasard. Arrondissement ouvrier, populaire, parsemé de longue date d’une myriade d’établissements métallurgiques, il est tout désigné pour accueillir ces réalisations sociales.

En parallèle, d’autres biens sont acquis : château de Vouzeron (Cher) hébergeant une colonie de vacances et un centre de convalescence ; immeuble du 9 rue des Bluets (Paris XIe arr.) transformé en policlinique ; locaux du 7 impasse de la Baleine (Paris XIe arr.), accueillant un centre de formation et de perfectionnement professionnel et enfin château de Baillet (Val-d’Oise), transformé en parc des loisirs et de culture.

Ces achats poursuivent une double visée. Il s’agit tout d’abord de sécuriser, par des investissements immobiliers, une part importante des cotisations des 250 000 adhérents que comptent alors l’union des syndicats et ensuite de fidéliser les syndiqués en proposant une gamme étendue de services prenant en compte les besoins des travailleurs et de leurs familles. Leur gestion est confiée à une association, l’Union fraternelle des métallurgistes (UFM).

Centre névralgique de l’aide à l’Espagne Républicaine, la Maison des métallurgistes a vu partir et revenir les volontaires des Brigades internationales, a regroupé l’aide matérielle et a accueilli les enfants et les victimes de la guerre d’Espagne.

En septembre 1939, le gouvernement d’Edouard Daladier décrète la dissolution de toutes les organisations communistes ou considérées comme telles.  Les locaux syndicaux sont perquisitionnés et placés sous séquestre.

Durant de longs mois, la Maison des métallurgistes reste inoccupée, avant qu’un « centre de jeunesse » du régime de Vichy ouvre ses portes fin 1943, début 1944.

Discours d'Ambroise Croizat, en hommage aux militants morts pour la paix et la liberté | DR - coll. IHS Métaux

Discours d’Ambroise Croizat, en hommage aux militants morts pour la paix et la liberté | DR – coll. IHS Métaux

Dans les jours qui suivent l’insurrection parisienne, la Résistance reprend possession du bâtiment. D’importants travaux de nettoyage et de réfection sont nécessaires pour réhabiliter le lieu. Le 20 octobre 1944, une cérémonie officielle accueille le changement de dénomination de la rue d’Angoulême, qui devient rue Jean-Pierre Timbaud, en mémoire de cette grande figure du syndicalisme métallo parisien fusillé le 22 octobre 1941 à Châteaubriant.

La Maison des métallurgistes retrouve ses activités. Haut-lieu du syndicalisme parisien, il est au cœur des luttes syndicales de la région parisienne. Elle accueille également régulièrement des expositions artistiques, des manifestations culturelles ainsi que des fêtes, pour les enfants et les adultes. On y trouve enfin les cours de préparation à l’accouchement sans douleurs, une méthode révolutionnaire mise en œuvre en 1952 par le docteur Fernand Lamaze et son assistant Pierre Velay. Cette technique prévoit un accouchement sans anesthésiant, grâce à une préparation psychologique, un enseignement du fonctionnement du corps de la femme et un travail sur la respiration.

En 1965, une réflexion s’engage sur les locaux, avec l’idée de regrouper les sièges de la Fédération des Métaux, de l’Union fraternelle des métallurgistes et de l’Union syndicale des travailleurs de la métallurgie de Paris, dans le cadre d’une restructuration complète du site.

Parmi les avant-projets soumis, celui de l’architecte Jacques Bosson prévoit ainsi la création d’un parking de 170 places, d’une grande salle avec scène, de deux immeubles de huit et cinq étages accueillant la librairie, un self-service, des jardin suspendus, des bureaux et salles de réunion ainsi qu’un hôtel de 39 chambres.

Mais devant le blocage des pouvoirs en place, le choix se porte finalement en 1973 sur un regroupement porte de Montreuil, dans le cadre du projet de complexe intersyndical alors en réflexion.

Dans le même temps, la mairie de Paris impose, en janvier 1974, l’expropriation de l’UFM de ses locaux du 7 impasse de la Baleine pour y construire une école maternelle.

Une nouvelle vie

En mai 1993, l’hypothèse d’une vente de la Maison des métallurgistes est posée. Parmi les raisons invoquées, il y a bien évidemment la désindustrialisation de la région parisienne, qui alimente la désyndicalisation et les difficultés financières de l’Union fraternelle des métallurgistes et de la Fédération des métaux. Plusieurs pistes de réflexion sur l’avenir du site sont empruntées : ouverture d’un centre d’accueil et de formation des syndicats européens, en lien avec la Confédération européenne des syndicats (CES), déménagement de la maternité de la rue des Bluets, vente à un promoteur immobilier, rachat par la Mairie de Paris. Promis à la démolition pour faire place à un nouvel ensemble immobilier, le bâtiment est sauvé grâce à son classement à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en février 2000. La victoire de la gauche parisienne aux élections municipales de mars 2001, ouvre la voie à une préemption municipale sur le lieu, laquelle aurait été impossible sans l’action des métallurgistes CGT et du « Comité Métallos », qui regroupe une cinquantaine d’associations du quartier, mobilisés pour sauvegarder et mettre en valeur le bâtiment et son histoire.

Une troisième vie débute alors pour la Maison des métallurgistes, avec l’inauguration en novembre 2007 de la Maison des Métallos, établissement culturel de la ville de Paris. L’Union fraternelle des métallurgistes conserve une partie des locaux, où elle héberge le pôle technique de l’Union des syndicats de la métallurgie de la région parisienne, l’USTM-CGT 75, l’Union locale CGT du XIe arrondissement, l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie et l’Association Ambroise Croizat.

Pour aller plus loin

Alexandre Courban, Solidarité ! Le livre-dvd retraçant l’histoire de l’Union Fraternelle des Métallurgistes, Paris, UFM-CGT, 2015, 259 pages.

Michel Pigenet, « Faubourg des Métallos », in Les Mémoires du travail à Paris. Faubourg des métallos, Austerlitz-Salpêtrière, Renault-Billancourt, Paris, Créaphis, 2008, pp. 37-119.

Thomas Le Roux, La Maison des métallos et le bas Belleville : histoire et patrimoine industriel à Paris, Paris, Créaphis, 2003, 172 pages.

Thomas Le Roux, « Le patrimoine industriel à Paris entre artisanat et industrie : le facteur d’instruments de musique Couesnon dans la Maison des métallos (1881-1936), Le Mouvement social, n° 199, juin 2002, pp. 11-36. En ligne : http://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2002-2-page-11.htm.