Mars 1963. La victoire des mineurs, première grande défaite du pouvoir gaulliste, ouvre une brèche. La même année, « les tams-tams de la colère » résonnent à la SNCASE de Toulouse, tandis que l’on exige la reconnaissance du syndicalisme chez Neyrpic à Grenoble. Durant les quatre années qui suivent, les luttes s’amplifient. Au printemps 67, deux mois de conflit paralysent la métallurgie nazairienne, tandis que mineurs de fer et sidérurgistes lorrains se mobilisent et que les Dassault à Mérignac font plier le patronat, après trois mois de lutte. Le mouvement se poursuit en 1968 – comme à la Saviem de Caen – et la manifestation du 1er mai à Paris, la première autorisée depuis 1954, est un franc succès.
Mai-juin 68
Début mai, les universités s’enflamment. La mobilisation s’élargit au-delà des étudiants après la violente répression de la « nuit des barricades ». La grève générale du 13 mai met le feu aux poudres. Le 14, les salariés de Sud-Aviation à Nantes occupent leur usine. Rapidement le mouvement s’étend (Berliet Vénissieux, Schneider au Creusot…), rejoint par les usines Renault et la métallurgie parisienne, ainsi que par d’autres professions (transport, chimie, PTT).
Jour après jour, grèves et occupations se multiplient, traduisant l’exaspération à l’égard de la dégradation des conditions de travail, et de la stagnation salariale, de l’inquiétude devant les fermetures d’entreprises et des restructurations. Un puissant moteur de revendication et de mobilisation est l’accord d’unité syndicale CGT-CFDT signé quelques mois plus tôt.
Face à la paralysie qui gagne tout le pays, le gouvernement impose une négociation qui s’ouvre le 25 mai au ministère du Travail, rue de Grenelle. Les discussions sont âpres, seul un « constat » est finalement dressé. Il prévoit entre autres des hausses de salaires, la réduction du temps de travail, la révision des conventions collectives et la reconnaissance du droit syndical à l’entreprise.
Transformer l’essai
La reprise du travail s’amorce lentement à partir de mi-juin, tandis que les élections législatives anticipées donnent une large victoire à la droite. Mais la Fédération sort renforcée, avec plus de 100 000 adhésions et 600 bases nouvelles. Dans de nombreuses entreprises, les conquêtes vont bien au-delà du « constat » de Grenelle et dans la branche l’UIMM doit céder cinq accords nationaux – dont la mensualisation – et la convention collective nationale des ingénieurs et cadres.
Le bouillonnement de mai ne s’essouffle pas immédiatement et la conflictualité est forte durant la décennie suivante, avec des conflits emblématiques comme le Joint français à Saint-Brieuc, Lip à Besançon ou encore Renault au Mans. Mais si le fond de l’air est rouge, la concurrence syndicale réapparait et le salariat doit affronter un patronat qui entend reprendre ce qu’il a dû céder. Un véritable arsenal est déployé : presse patronale d’entreprise, formation des cadres aux méthodes antisyndicales, caisses antigrèves, guérilla judiciaire contre les droits syndicaux, implantation de syndicats-maison et de milices chargés de faire régner l’ordre, notamment dans l’automobile.
Pire, le démantèlement programmé de branches industrielles, comme la sidérurgie, la construction navale, la machine-outil ou l’automobile génère un chômage de masse et saigne des régions entières. Refusant tout fatalisme, la CGT encourage et organise les luttes et défend des solutions industrielles, comme celui d’un avion moyen-courrier équipé du moteur CFM 56 produit par la Snecma ou encore la reprise sous forme de coopérative de Manufrance à Saint-Étienne.