Avec la crise sanitaire du Covid-19 et le confinement depuis le 17 mars 2020, le « télétravail » s’est imposé à plus de 40 % de travailleurs. Exit donc l’obligation légale de volontariat.
En période de plan de continuation de l’activité, il ne s’agit pas tant de télétravail que de travail à domicile en mode dégradé la plupart du temps.
Le respect des conditions rappelées dans la fiche https://ftm-cgt.fr/fiche-juridique-le-teletravail-et-les-conditions-de-sa-mise-en-oeuvre/n’est donc pas systématique.
Quel bilan, dans cette période particulière ?
Une étude de la DARES révèle qu’avant la crise sanitaire, et même avant les grèves de décembre 2019, 7 % des salariés français pratiquaient le télétravail, soit 1,8 millions en septembre 2017[1].
- 1/4 d’entre eux étaient couverts par un accord d’entreprise ou de branche
- 1/5ème avaient un accord individuel avec leur hiérarchie
- + 50 % travaillaient de chez eux en dehors de toute formalisation contractuelle
- 3 % d’entre eux télétravaillent régulièrement, 1, 2 ou 3 jours par semaine
- 4 % le faisaient de manière occasionnelle
- La majorité des télétravailleurs sont des salariés qualifiés, alors que le travail à domicile était au 19ème siècle, le lot de salariés, principalement des femmes, travaillant à la pièce, mal payées et contraintes à une amplitude horaire large
Les sondages fleurissent sur ce nouveau mode d’organisation du travail qui révèle pour la plupart un certain engouement des salariés.
L’enquête de l’UGICT CGT fait voir quant à elle l’autre face moins idyllique du télétravail en cette période d’état d’urgence sanitaire, avec une augmentation du temps et de la charge de travail des cadres en particulier, générant une tension psychique inhabituelle et des Troubles Musculo-Squelettiques.
Dans une étude de 2019 à partir de l’enquête SUMER de 2017 (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) et de l’enquête Relations professionnelles et négociations d’entreprises (Réponse), la DARES constate d’ailleurs que les cadres, qui représentaient 63 % des télétravailleurs, se déclarent en moins bonne santé et présentent des risques dépressifs plus importants que les non‑télétravailleurs.[2]
Si, dès les premiers jours du télétravail forcé, les ¾ des français concernés regrettaient déjà leur bureau, au bout d’un mois, ils ont pris l’habitude de travailler chez eux et ils disent vouloir continuer à travailler à distance après l’épisode de Covid-19 ou le faire plus souvent.
Ils sont ainsi nombreux, selon les sondages, à vouloir changer leurs habitudes et peu pressés de retrouver leur ancien rythme de travail. Il s’agit pour une nette majorité de séniors (+ de 30 ans d’expérience) en raison du fait qu’ils n’ont plus d’enfants, sont plus autonomes et ont moins besoin de reconnaissance de la part de leur manageur. Les salariés ayant moins de 5 ans d’expérience sont moins nombreux à l’apprécier que la moyenne et expriment un besoin de soutien de la part de leur responsable en raison d’une autonomie moindre et du fait qu’ils apprécient davantage la communauté physique de travail.
Plusieurs raisons expliquent cette aspiration au télétravail :
- Économiser les temps de trajet lorsque le travail est trop éloigné du domicile (entre 2h et 3h25 de transports par jour respectivement pour les franciliens et les provinciaux venant travailler à Paris),
- crainte de prendre les transports collectifs à cause du virus aujourd’hui,
- Économie d’essence (plus de la moitié des salariés prennent leur voiture pour aller travailler),
- Travailler au calme et disposer d’une plus grande autonomie, s’organiser librement ; c’est notamment pratique pour amener et aller chercher les enfants à l’école et aujourd’hui pour le suivi scolaire à domicile.
Une salariée de 56 ans ayant un poste de responsable dans une entreprise de la métallurgie témoigne: « Moins de stress et de fatigue, plus de temps pour soi, sa famille, son foyer. Finis les week-ends marathon courses, ménage et corvées qui sont étalés dans la semaine sans stress. Le seul point sensible sur lequel il faut apprendre à se discipliner c’est la déconnexion, se fixer des limites de plages horaire de travail, les respecter et les faire respecter, sauf extrême urgence occasionnelle… Une chose est sûre : je ne veux pas retrouver ma vie de dingue d’avant, métro, boulot, dodo… ».
Une autre salariée dit aussi qu’il faut faire attention à garder une frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle et qu’elle n’est pas opposée à revenir 1 jour ou 2 par semaine au travail pour voir ses collègues.
Ces témoignages interrogent l’organisation de la vie professionnelle et sa conciliation avec la vie privée, en particulier pour les femmes, et notamment dans les grandes villes où les travailleurs sont éloignés de leur lieu de travail par choix ou par nécessité (logement trop cher, pollution…), et privilégient le télétravail comme une diminution des contraintes d’organisation de leur vie tout court leur offrant soit disant une meilleure qualité de vie.
Quels effets pervers ?
Sur les conditions de travail, on assiste parfois à davantage de contrôle, de pression de la part de l’employeur pour s’assurer que le travailleur est bien à la tâche, qu’il n’est pas payé à rien faire.
Il y a une forme de domination individuelle qui va parfois au-delà du lien de subordination, comme si l’absence de visuel physique sur le salarié devait être remplacé par de nouvelles contraintes qu’il n’aurait pas s’il était sur site (obligation de se loguer, de faire un compte-rendu détaillé quotidien de son activité, de faire des activités inutiles en plein confinement).
L’isolement du fait des échanges plus formalisés (par email) et la fin des discussions autour de la machine à café ou lors des pauses, la fin du partage des connaissances qui est pourtant une force dans le travail, la perte du collectif qui contribue à créer un contre-pouvoir, la désynchronisation des horaires de travail, sont autant de dangers que les télétravailleurs ne perçoivent pas face à l’employeur.
L’ANDT (l’association nationale pour le télétravail et la téléformation) dans une enquête sur le télétravail réalisée en 2010[3] préconise une véritable alternative au télétravail à domicile en créant des télé-centres communs (immeuble avec des postes de travail et des services) pour pallier l’absence d’espace dédié dans les domiciles des télétravailleurs d’Ile-de-France. L’ANDT constate que le fait de ne plus ALLER travailler augmente au lieu de la diminuer la quantité de travail réalisé.
Davantage de productivité donc ? Le temps gagné sur les transports n’est donc pas un temps pour soi mais un temps pour le travail.
Pour rompre avec la contrainte des horaires et l’obligation de payer des frais professionnels ou des indemnités supplémentaires, et afin de s’exonérer des cotisations sociales, les employeurs tentent de privilégier les télétravailleurs indépendants censés organiser plus librement leur temps de travail et sous statut d’auto entrepreneur ou encore par le biais du portage salarial.
Il est d’ailleurs symptomatique que l’enquête de l’ANTD fasse ressortir que la structure dans laquelle les travailleurs sont les mieux renseignés sur le télétravail c’est l’APCE, l’Agence Pour la Création d’Entreprise, créée en 1996 à l’initiative des pouvoirs publics.
Il existe déjà des entreprises (comme la SNECMA) qui ont, dans des métiers comme l’informatique et le commercial, des salariés nomades, qui n’ont pas de bureau au sein des locaux et qui, à leur passage, peuvent s’installer sur n’importe quel poste libre, quand il y en a !
Les entreprises adoptent ainsi une stratégie du foncier immobilier visant à économiser des frais de bureau sur le dos des salariés.
En plus des risques psychologiques, le télétravailleur est aussi exposé à de nouveaux risques physiques:
- Visuel à cause du travail sur écran
- Troubles Musculo Squelettiques liés à l’environnement de travail (bureau, chaise, sédentarité)
- Champs électromagnétiques à cause de l’utilisation intensive du téléphone portable
Des enquêtes de terrain pour un encadrement collectif
Exercé par des salariés pour la première fois pendant la crise sanitaire, faute d’un réel encadrement, le télétravail s’est traduit par une organisation du travail maltraitante pour les personnels, notamment les femmes qui en plus de leur travail de maison et des taches professionnelles ont du s’occuper des enfants confinés (triple journée de travail)
En l’absence d’accord ou de pratique de télétravail antérieure, son usage expose à davantage de surcharge de travail, à des durées de travail excessives, à des troubles musculo-squelettiques et psychosociaux.
Il y a nécessité de demander un bilan en CHSCT, CSSCT ou CSE, complété par des enquêtes syndicales afin de préparer des négociations pour un encadrement immédiat du télétravail. Il est urgent de rétablir l’obligation d’un accord collectif et d’un avenant individuel au télétravail pour garantir un cadre clair à cette forme d’organisation.
Les points de vigilance
Un employeur engageant un salarié directement en télétravail pourrait être tenté de lui faire signer un contrat de « travailleur à domicile » et non pas un vrai contrat de travail.
Ce travail à domicile est régi par les articles L 7411-1 à L 7424-3 du code du travail qui apportent à ces travailleurs quelques garanties conquises par la lutte et imposées légalement depuis 2012 dans le secteur privé et 2016 dans le secteur public :
- Contrôle du nombre d’heures de travail par fixation d’un tableau des temps d’exécution des travaux établis soit par accord collectif, soit par arrêté préfectoral.
- Fixation des salariés minima par convention collective, et à défaut par décision administrative.
- Paiement des heures supplémentaires à la journée au-delà de 8 heures majorées de 25 % pour les 2 premières heures et de 50 % au-delà.
- Majoration pour le travail du dimanche ou un jour férié
- L’autorité administrative fixe un tarif pour le paiement du loyer, du chauffage, de l’éclairage de l’électricité et de l’amortissement des moyens de travail utilisés
- L’employeur doit fournir gratuitement les accessoires nécessaires ou bien les rembourser
- L’employeur doit mettre en œuvre des mesures de protection individuelle et engage sa responsabilité
Il convient de noter que ces garanties s’appliquent également aux télétravailleurs puisque l’article L 1222-10 du code du travail sur le télétravail précise qu’il s’applique « Sans préjudice de l’application, s’il y a lieu, des dispositions du présent code protégeant les travailleurs à domicile ».
Le patronat à l’affut, prêt à détourner les aspirations de télétravailleurs
Le Medef, par la voix d’Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM et négociateur du Medef pour les dossiers sociaux, propose aux organisations syndicales de faire un document de synthèse sur le télétravail car dit-il, et c’est à souligner, « il y a des angles morts qu’il faut regarder dans la pratique, les habitudes de management ». Il veut ainsi faire le point sur les « risques qu’on a vus apparaître » ou « l’inconfort » lié au télétravail, notamment sur le plan personnel.
Attention aux coups tordus. C’est l’UIMM qui est à la manœuvre et on connait leurs objectifs.
Nul doute qu’il s’agira notamment de se pencher sur la disponibilité à rallonge demandée aux télétravailleurs, et donc sur le droit à la déconnexion, qui en pratique n’existe pas ou est transformé en « devoir de déconnexion ». N’oublions pas les problématiques induites sur l’atteinte d’objectifs parfois irréalistes, sur la culture du résultat, sur les sanctions éventuelles et les mauvaises notations. Nous devons encadrer cette forme d’organisation du travail actuellement à la main des employeurs pour que le lien de subordination ne devienne pas une laisse numérique débridée, une autre forme d’ubérisation.
Gagner des droits, par accord collectif
Le télétravail nécessite de penser l’organisation du travail et le management en conséquence à partir de ce que sont aujourd’hui les usages des nouvelles technologies. Il est nécessaire de construire les nouvelles protections pour accompagner les évolutions liées aux nouvelles conditions d’exercice du télétravail. Notre démarche de consultation doit être au cœur de notre construction revendicative afin de couvrir toutes les spécificités des secteurs de chaque entreprise.
L’urgence est de sortir de cette situation sur le télétravail afin de mettre en place des dispositions normatives qui couvrent l’ensemble des télétravailleurs, des itinérants et des travailleurs mobiles.
C’est aussi de construire des convergences interprofessionnelles afin de gagner des droits dans toutes les entreprises qui n’ont pas de représentation en local.
[1] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf
[2] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_inseereferences_teletravail_cadres_2019.pdf
[3] https://www.greenworking.fr/wp-content/uploads/2013/01/Enquete-ANDT-2010-teletravail.pdf?x39099