Le 19 juillet dernier, après plus d’un an de pseudo-concertation, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a remis son rapport. Si les précédentes réformes affichaient l’ambition de « sauver » le système par répartition, le projet du gouvernement est de rompre avec le système actuel basé pour « redonner une crédibilité à l’avenir de la retraite ». Les pourfendeurs du projet développent de nombreux arguments autour de la formule « un euro cotisé donnera les mêmes droits » pour détourner l’attention en promettant de réduire les inégalités et d’apporter plus de lisibilité. Mais dans la réalité, il n’en est rien. Ce sera même pire !
Plus de richesses, moins de partage
Si l’ambition du projet est de changer le système, il contourne la vraie question : comment répondre à la dégradation du montant des pensions ? Or, le rapport précise que « Le poids des dépenses de retraite du système universel est conçu pour respecter l’enveloppe de dépenses ». C’est-à-dire que l’enveloppe globale du montant du financement des retraites sera limitée à moins de 14 % du PIB. Aussi, les retraités plus nombreux (35 % de plus en 2050) devront se partager une part de la richesse au mieux stagnante. Car « l’objectif réel de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron et son gouvernement veulent imposer, est de garantir la stabilité (voire la baisse) de la part des retraites publiques dans le PIB » souligne une note des économistes atterrés publiée cet été après la remise du rapport. Il s’agit de « passer du système actuel fournissant certaines garanties aux salariés en termes de taux de remplacement et d’âge de départ à la retraite à un système flexible permettant d’utiliser les retraites comme variable d’ajustement des finances publiques. Comme pour l’allocation chômage, le système est étatisé, le rôle des syndicats est réduit. »
Grand chamboulement
Il ne s’agit pas seulement de la question de l’âge pivot ou de la durée de cotisation. Le projet Macron annonce une transformation majeure. Aujourd’hui, le système de retraite est à prestations définies. C’est à dire que lorsque les conditions d’âge ou de durée de cotisations sont remplies, le futur retraité connait le montant de sa pension en pourcentage de son salaire. Demain, avec le système par point préconisé dans le rapport Delevoye, on passe à régime à cotisations définies. Les trimestres seront convertis en points pour accéder au droit d’indemnisation financé par l’Etat. D’une part, il sera impossible de connaitre le montant de sa retraite au moment où on acquiert les points, car la valeur du point sera calculé dans l’objectif de maintenir le niveau des dépenses à niveau constant la part du PIB consacrée aux retraites. D’autre part, les indemnités ne seront plus des droits acquis par le biais des cotisations mais un geste que l’Etat fera en direction des retraités.
Allongement du temps de travail et/ou capitalisation
D’après les simulations du collectif reformeretraites.fr, avec cette réforme systémique, le montant des retraites va diminuer très fortement pour les générations à venir, mais aussi pour les retraités actuels à partir de 2025. Ainsi, un salarié non cadre avec une carrière continue part aujourd’hui avec un taux de remplacement d’environ 70%. Dans ce même cas de figure, la pension d’un futur retraité en 2050, devrait s’élever autour de 55% du dernier salaire. Pour compenser cette perte « le système universel incitera au prolongement de l’activité. » Deux leviers permettront de valoriser le maintien dans la vie active. Pour chaque année travaillée supplémentaire, d’une part, le nombre de points accumulés augmentera pour relever le niveau de retraite. D’autre part, en réduisant la durée moyenne qu’ils passeront en retraite, l’effort des futurs pensionnés sera valorisé par le versement d’une retraite plus élevée. Cette réforme poussera donc les salariés qui le peuvent à épargner sur leur salaire pour combler le recul du montant de leur future pension s’ils souhaitent profiter d’une retraite bien méritée. Le rapporteur du projet ne s’en cache même pas : « Les employeurs et les salariés qui le souhaiteront, pourront compléter le niveau de retraite par la mise en place de dispositifs collectifs d’épargne retraite ».
Rien n’est joué
Si la bataille pour mettre en échec ce projet est de taille, elle n’est pas pour autant perdue d’avance. Le travail syndical est d’ouvrir les yeux sur les véritables conséquences du projet. Mais attention, il ne s’agit pas seulement d’être contre ce projet systémique, les arguments des marcheurs s’appuient sur du ressenti. « Notre système a été créé en 1945, entre-temps le monde du travail a changé. Il faut le faire évoluer, tout en gardant son socle, car c’est le modèle le plus juste au monde, basé sur la solidarité » a rappelé Philippe Martinez dans une interview à Libération début septembre. Et de poursuivre avec des propositions sur le financement car le système par répartition a besoin de nouvelles entrées de cotisations, « en augmentant les salaires et en supprimant des exonérations de cotisations des employeurs. Vu les dividendes versés aux actionnaires, il ne doit pas y avoir de problème de trésorerie dans les grandes entreprises ! ». C’est une bataille de longue haleine qui s’ouvre, mais qui peut compter sur des points d’appuis dans une société qui souffre des politiques libérales et de l’individualisme. Sans attendre la première date de mobilisation, le 24 septembre, de nombreux militants sont déjà engagés avec le premier tryptique réalisé par la confédération et distribué dans de nombreuses entreprises depuis le printemps dernier. La suite est à construire avec l’ensemble des travailleurs.