Conférence de presse de la coordination des syndicats CGT Renault du 10 novembre 2015.

Ces derniers mois et plus précisément ces dernières semaines, la presse fait état « de bras de fer qui opposerait Carlos Ghosn à l’État français » sur l’évolution de l’alliance avec Nissan.

Bras de fer qui résulterait de l’acquisition par l’état de vote double, créant selon Carlos Ghosn, un déséquilibre de l’alliance Renault/Nissan.

Raison invoquée pour demander :

  • Une activation des droits de vote de Nissan par cession d’une partie des titres détenus par Renault dans Nissan en limitant sa participation à moins de 40 %.
  • De permettre à Nissan d’acquérir une participation d’un peu moins de 40 % dans Renault (contre 15 % actuellement).
  • Une modification des accords Renault-Nissan retirant à Renault sa voix prépondérante dans les instances de décision de RenaultNissanBV (SARL).

Au vu des analyses et des commentaires publiés, il y a selon nous nécessité de clarifier la situation.

D’abord un bref rappel

  • Les dirigeants de Nissan ont signé les accords de 1999, puis en 2002 (RAMA) pour sceller l’alliance Renault/Nissan en parfaite connaissance de cause. Accords qui prévoyaient la suspension des droits de vote de Nissan. Et l’État disposait d’environ 30 % des droits de vote.
  • Carlos Ghosn n’a pas attendu l’acquisition de vote double par l’État pour modifier substantiellement la structure de l’alliance :
    • En 2009, est établi un management unique de l’alliance
    • Dans l’article de Challenge d’avril 2015, il est rappelé que « Carlos Ghosn avait discrètement essayé de descendre en dessous de la barre des 40 %. Sans révéler au gouvernement de Nicolas Sarkozy une clause secrète des accords Renault-Nissan : si la part de Renault chez Nissan passe en dessous de 40 %, aussitôt les 15 % que Nissan détient dans Renault récupèrent les droits de vote dont la firme japonaise est privée. Via Nissan qu’il préside, Ghosn aurait ainsi pesé d’un poids égal à celui de l’État au capital de Renault, donnant corps à son rêve de présider une entreprise mondiale, sans attaches nationales contraignantes. »
    • En 2011, la question d’une baisse de Renault dans le capital de Nissan était de nouveau évoquée.
    • En 2014, 4 fonctions convergées sont créées dont 3 d’entre-elles (Ingénierie, fabrication-logistique, achats), sont pilotées par Nissan.
    • Dans les faits et notamment dans l’ingénierie, c’est Nissan qui pilote de plus en plus les projets Renault. En tout cas, qui décide de l’exécution ou non de projet par les équipes de Renault.
    • Et plus globalement, si la complémentarité des marchés des 2 entreprises a été un argument de la construction de l’Alliance, on a vu Nissan se développer sur des marchés où il n’était pas présent ou très faiblement, et Renault régresser sur les siens. Nissan devient concurrent sur des marchés de Renault.

Autrement dit, l’entrisme de Nissan chez Renault est organisé depuis longtemps et bien avant le pseudo problème du vote double.

Nous reprendrons à notre compte un extrait d’un article du Monde du 6 novembre 2015 : « Afin de rapprocher les deux entreprises, M. Ghosn a jusqu’ ici privilégié la méthode des cliquets… Intégrer les fonctions des deux entreprises progressivement, pour s’assurer que cela fonctionne, et rendre impossible tout retour en arrière…. ». Nous dirons ici, « en espérant » rendre impossible tout retour en arrière.

Enfin, l’information de l’agence Reuter (non démentie par Renault et l’État), selon laquelle « Carlos Ghosn chercherait à réactiver un autre schéma de rapprochement, discrètement élaboré avec la banque Goldman Sachs en 2013. » corrobore notre analyse.

La question du vote double n’est donc qu’un prétexte, masquant l’objectif élaboré depuis longtemps déjà.

Si nous nous interrogions sur le degré de connivence entre l’État et Carlos Ghosn, les informations de l’agence Reuter du 4 novembre (non démenties) apporte là aussi la réponse, lorsqu’il est écrit que :

« L’État pousse désormais Renault et Nissan à accélérer leur rapprochement et à fusionner. Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, demanderait depuis plusieurs mois à Carlos Ghosn, le PDG des deux entreprises, de mettre en place un groupe de travail avec l’État sur la question… »

Néanmoins, et comme nous l’avons souligné dans notre communiqué de presse, plusieurs aspects sont totalement occultés dans cette affaire.

  • En définitive, le sort d’une entreprise et de ses milliers d’emplois repose sur le désidérata d’une poignée de dirigeants et de quelques responsables politiques.
    • Les salariés et leurs représentants syndicaux sont totalement ignorés et les administrateurs salariés sont tenus à la confidentialité… Tandis que les administrateurs dits indépendants de Renault s’expriment librement, sans que personne ne trouve rien à dire. Pour quelles raisons, les salariés ne seraient-ils pas consultés sur les effets de l’alliance, la poursuite en l’état des accords de 99/2002 ou le pseudo rééquilibrage de l’alliance prôné par Carlos Ghosn?
    • Les dirigeants et leur soutien politique ne vivent que d’indicateurs financiers et notamment concernant la rentabilité à court terme et la valeur boursière de l’entreprise.

Ils ignorent le travail de toutes les catégories professionnelles de l’entreprise et les difficultés réelles auxquelles elles sont confrontées pour permettre à Renault entre autre, d’assurer son avenir sur le moyen et long terme.

  • Car au delà des modifications structurelles de l’alliance évoquées plus haut, Carlos Ghosn a en même temps et méthodiquement dévitalisé Renault au point de mettre en péril l’existence même de l’entreprise.

L’investissement à minima, la suppression de milliers d’emplois,  l’externalisation, la précarisation, la mise en concurrence exacerbée… sont autant d’éléments qui expliquent l’incapacité de Renault à répondre à la demande actuelle, à commercialiser la nouvelle gamme dans les temps impartis… C’est au final les clients qui sont pénalisés.

  • En même temps que la direction exige toujours plus de « compétitivité des salariés », ou de « performance », elle multiplie les obstacles face aux salariés pour faire au mieux leur travail, elle atomise leur capacité d’innovation, leur énergie jusqu’à mettre en jeu leur santé. Une fois vidée totalement de sa substance, Renault pourrait alors devenir au mieux qu’un satellite, ou une sous marque de Nissan.
  • Contrairement à ce que la presse relaye depuis des semaines, il n’y a donc pas de « consensus » sur le bienfait de l’alliance, si ce n’est pour les financiers (dirigeants, actionnaires ou leurs représentants…)

Aussi quelques rappels s’imposent

  • L’acquisition de 44,4% du capital de Nissan a coûté 6,77 milliards d’euros à Renault (4,89 milliards d’euros en 1999 et 1,88 milliard d’euros en 2002). C’est d’ailleurs Renault qui a financé la prise de participation de Nissan dans Renault.
    • Toutes ces opérations ont été prélevées dans la trésorerie du Groupe Renault et par son endettement. Ce sont donc les salariés de Renault qui en ont assuré le financement… Et ce sont les actionnaires de RENAULT (dont Carlos Ghosn) qui ont capté l’intégralité des dividendes versés par Nissan à Renault depuis le début de l’alliance !
    • Et dans le même temps, l’atteinte d’un taux de marge toujours plus élevé est devenu obsessionnelle au point d’en oublier la raison d’être d’un constructeur automobile.
  • Ceci a eu pour effet :
    • De retarder considérablement le renouvellement de la gamme Renault (contrairement à Nissan avec entre autres, Qashqai et Juke), pénalisant considérablement l’attractivité de la gamme Renault.
    • De ne pas investir ou à minima dans l’outil de production et dans notre ingénierie avec à la clé, les délocalisations et l’externalisation de nos activités.
    • D’amplifier la mise en concurrence au sein de l’entreprise afin d’exercer une pression accrue sur tous les salariés de Renault à travers le monde. L’objectif clairement affiché étant d’aligner le monde du travail sur les conditions sociales (salaire, emplois, conditions de travail…) les plus exécrables au nom de la réduction des coûts.

Dans l’usine Turque Renault, présentée comme modèle de performance (jugé sur le standard Nissan), les salariés travaillent 6 jours sur 7 avec des heures supplémentaires le dimanche… avec des conséquences désastreuses sur leur santé. Pour les remercier, la direction leur a récemment offert des pâtisseries… Quand les responsables locaux ont bénéficié de primes substantielles.

  • Nissan est devenu la référence du standard managérial, où les hommes et les femmes sont relégués à « des choses », au mieux, seulement capables de reproduire une prescription. En quelque sorte, un « stock de marchandises» qu’il faut sans cesse réduire ! Le droit syndical et les droits sociaux fondamentaux sont inexistants ou combattus avec force. La situation de l’usine de Canton au Mississippi est un modèle du genre.
  • Ces pressions sont exercées de même manière chez les sous traitants et fournisseurs de Renault. Les mêmes causes produisent des dégâts sociaux comparables et des effets similaires expliquant leur incapacité à répondre à la demande du marché actuel (pièces moteurs par exemple…).
  • Le prix de ventes de nos véhicules explose de manière exponentielle. Ex : En juillet 99, un Scénic 1.9 DTI-100 RXE (07/1999) était vendu au tarif de 19 498.23 euros. En octobre 2015, un Scénic Bose Energy dCi 110 éco2 est vendu 30 700 euros. Soit un peu plus de 10 000 € d’écart qui, replacé dans le contexte, sont deux véhicules parfaitement comparables.
  • En malmenant le travail des salariés, ce sont les salariés et les clients de Renault qui sont maltraités !

Conséquences

  • Quand Nissan a augmenté sa production mondiale de 97,29 % entre 1998 et 2014 (2,584 millions pour 5,098 millions), celle de Renault a chuté de 35,6% (de 2,2 millions à 1,4 million en 2014. Réf Atlas).
    • La production des usines françaises a chuté de 61 % de 1998 à 2014 (de 1,38 million à 533 164 en 2014. Réf Atlas)
  • Quand le chiffre d’affaires de Nissan a augmenté de 60 % entre 1999 et 2014 (de 49,8 milliards à 79,7 milliards),
    • celui de Renault (avec Dacia, Samsung et les ventes aux partenaires Nissan, Daimler…) a augmenté de 9 % (de 37,6 milliards à 41 milliards)
  • Quand en Europe, les ventes de Nissan ont progressé entre 2002/2014 de +71,43 % (432 000 à près de 741 000)
    • Celles du groupe Renault (Dacia, Samsung compris) ont baissé de 21,65 % (1 869 251 à 1 464 611)
    • En France (2002/2014), les ventes de Nissan ont progressé de 120 % (35 800 à 78 645), quand celles du groupe Renault (Dacia, Samsung compris) ont baissé de 7,6 % (763 612 à 577 601)

Sur le plan social

Depuis 2004 (Carlos Ghosn devient PDG) :

  • Les effectifs (salariés en activité) de Renault France (filiales comprises) ont chuté de 33,7 % et de 37 % pour Renault sas
  • Depuis l’accord de compétitivité du 13 mars 2013, Renault a perdu plus de 7 000 salariés en activité en France.
  • A la date d’aujourd’hui, nous comptabilisons plus 7 600 intérimaires dans nos usines, plus de 2 000 prestataires, auxquels il faudrait ajouter l’explosion des apprentis qui sont en production, relégués à un travail de production.

Sur le plan social et économique

La précarité, la prestation, le turn-over permanent des salariés et des organisations du travail génèrent une dégradation considérable des conditions de vie et de travail.

C’est au détriment de leur santé que les salariés (toutes catégories professionnelles confondues) se battent tous les jours pour faire au mieux leur travail dans des délais toujours plus courts.

Le coût d’obtention de la qualité est économiquement faramineux (études non menées à terme, arrêts de chaine, retards fournisseurs, retouches…).

A cet égard, l’affaire Volkswagen montre l’effet dévastateur des logiques financières prêtes à tout pour privilégier le rendement (niveau de marge opérationnelle), en ignorant le réel de ce que font ou ne peuvent plus faire les salariés ! Et dans cette affaire c’est au bout de la chaine le client qui a été trompé et que l’on a finalement méprisé !

Enfin, c’est aussi une perte croissante du pouvoir d’achat de l’ouvrier au cadre, amplifiée notablement par l’accord de compétitivité de mars 2013.

Conclusion

  • Ce bref bilan non exhaustif, explique les raisons pour laquelle l’appréciation des salariés sur le bilan de l’alliance ne peut pas être le même que celui des dirigeants et principaux actionnaires. Les salariés ont une vision à long terme de l’entreprise et savent qu’il n’y a pas d’avenir sans faire avec ceux qui travaillent, ceux qui savent, et sans faire avec le respect du client.

Les critères des financiers sont tout autres. Quelques uns ont empoché des dividendes faramineux, une valorisation de leurs actifs et pour nos principaux dirigeants (Carlos Ghosn en tête), s’ajoutent des rémunérations indécentes…. Chez Renault et davantage encore chez Nissan !

  • Nous l’avons vu, nous ne sommes pas face au seul égocentrisme de dirigeants d’entreprise mué par le pouvoir et le désir d’être à la tête des plus grosses fortunes. Mais plus fondamentalement, face à la question du devenir de Renault, de ses salariés et plus globalement, de la filière automobile française.

Nous sommes face à un choix politique qui consiste ou à poursuivre l’accompagnement du déclin de notre industrie automobile, promotionné par la financiarisation de l’économie, ou au contraire, à faire le choix d’une stratégie industrielle et sociale sur le long terme, considérant et prenant appui sur les savoir-faire de l’ensemble des catégories professionnelles de l’entreprise. Prendre le travail pour ce qu’il est, comme un atout et non plus un coût !

  • C’est au détriment de Renault (de ses salariés) que l’alliance est déséquilibrée. Renforcer encore le pouvoir des dirigeants de Nissan, aurait pour effet d’étouffer davantage les capacités internes de Renault au risque de son asphyxie. En d’autres termes, si l’état promotionne ou laisse faire Carlos Ghosn, guidé par le seul intérêt immédiat des actionnaires de Renault et Nissan, l’état participera de nouveau au dépeçage de la filière industrielle française.
  • L’état doit cesser de se comporter comme un vassal du patronat, d’ignorer ce que font les salariés, ce qu’ils sont et prendre pour unique boussole, les critères financiers de quelques uns au détriment du bien commun (salariés-population).
  • A l’évidence, l’alliance Renault-Nissan a permis à Nissan de se renforcer au détriment de Renault.
  • Si la question de l’alliance est assurément à repenser, elle doit donner lieu à débat ouvert dans toute l’entreprise avec les experts de l’entreprise : les salariés et leurs organisations syndicales.

Une poignée d’individus qui travaillent d’abord pour leurs intérêts personnels ne peut pas décider en lieu et place des milliers de salariés concernés (constructeurs et filière automobile).

  • Pour se reconstruire, Renault a besoin :
    • De se réapproprier les savoirs qui ont été externalisés, délocalisés.
    • De se doter d’organisations du travail pérennes (tant dans l’ingénierie que dans les secteurs de production) avec des contrats de travail à durée indéterminée. En finir avec la précarité et la prestation.
    • De coopération et non de mise en concurrence. De coopération entre les services, entre les catégories professionnelles, entre les établissements de Renault à travers le monde.
    • D’équilibrer les productions et les charges de travail sur le périmètre monde.
    • D’une plus juste et transparente répartition des richesses de l’entreprise (salaires, rémunérations…).
    • D’un statut social commun des salariés Renault à travers le monde aligné vers le haut.
    • Que les savoir-faire (et qualification) des salariés deviennent la pierre angulaire des choix stratégiques de l’entreprise. A cette fin, l’intervention des salariés dans la définition du contenu, du processus et des organisations du travail doit être partie intégrante des organisations du travail.

L’avenir de Renault est à ce prix.

Renault dispose d’une trésorerie et de capacité d’emprunts qui lui permet d’assurer financièrement ces exigences pour qu’il redevienne un constructeur généraliste pérenne au long cours.

A cet égard, rien ne peut être écarté, La participation de Renault dans Nissan peut être une ressource financière qui ne peut être exclue de la réflexion qui doit être engagée avec le personnel.