Voilà plusieurs semaines que l’inflation, autrement dit la hausse globale des prix, a relancé le débat sur l’urgence d’augmenter les salaires. Elle signifie en effet l’érosion de la valeur de la monnaie, c’est-à-dire que chaque euro permet d’acheter moins de biens et de services. Pour neutraliser cette diminution mécanique du pouvoir d’achat des salaires, il est nécessaire de la compenser. Tel est l’objectif d’une « échelle mobile des salaires », dont l’objet est l’indexation des salaires, si possible automatique, sur le renchérissement du coût de la vie.
Premier round
Formulée durant le Front populaire, cette revendication se traduit par l’insertion d’une clause dans certaines conventions collectives, comme celle des industries mécaniques de Meurthe-et-Moselle. Sa portée reste limitée, dans la mesure où la hausse des prix, constatée par une commission départementale paritaire, est compensée selon les possibilités des entreprises.
Disparues avec la Seconde Guerre mondiale, ces clauses réapparaissent avec la loi de février 1950, qui rétablit la libre négociation des conventions collectives et donne naissance au salaire minimum interprofessionnel garanti, le SMIG, ancêtre du SMIC. La forte inflation générée par l’engagement militaire français dans la guerre de Corée contraint le gouvernement à lâcher du lest. Un mécanisme prévoit ainsi une compensation intégrale et automatique du SMIG, dès que l’inflation annuelle dépasse 5 %. Mais ce seuil n’a jamais été atteint, en raison notamment des manipulations gouvernementales. En 1959, une ordonnance du ministre des Finances frappe d’illégalité les clauses d’indexation des salaires sur les prix insérées dans les conventions collectives, ce qui n’empêche toutefois pas la lutte de l’imposer, comme chez NCR à Massy-Palaiseau en 1962.
Deuxième round
Les conquêtes obtenues en mai-juin 1968 sont l’occasion pour la CGT de lancer une campagne offensive pour imposer l’échelle mobile. Relayée par la FTM-CGT dès son 26e congrès fédéral de novembre 1968, l’échelle mobile devient une réalité dans certaines entreprises, comme Berliet à Vénissieux.
Cette campagne vise aussi l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), l’instrument de mesure de l’inflation de l’Insee. Mis en place en 1913 pour étudier l’évolution des prix de treize articles de consommation courante à Paris, il a progressivement élargi son périmètre géographique et le nombre d’articles suivis. L’IPC n’est toutefois pas un indicateur du coût de la vie, car il minimise l’impact de dépenses essentielles comme la santé, le logement, les transports ou encore les emprunts bancaires.
C’est pourquoi la CGT élabore son propre indice alternatif en janvier 1972. Pendant une dizaine d’années, cet indicateur tente de corriger certains biais de l’IPC, pour mieux rendre compte de la diminution du pouvoir d’achat, dans un contexte de forte inflation, autour de 10 % en moyenne annuelle.
Troisième round ?
La progression de l’échelle mobile est stoppée en 1983 par le gouvernement socialiste. Au nom de la lutte contre l’inflation, la désindexation des salaires sur les prix est entérinée. Résultat, depuis quarante ans, le pouvoir d’achat des salaires a été peu à peu grignoté, comme la rouille ronge inlassablement le métal. Mais ce gel des salaires a également contribué au recul de la part des salaires dans la richesse produite en faveur des dividendes. Le montant de ce braquage, perpétré depuis 1983, est estimé à 1 500 milliards d’euros ! Un argument « coup de poing » à utiliser sans modération pour défendre le pouvoir d’achat des salariés.