L’Association Ambroise-Croizat (AAC) assure la gestion de trois centres de rééducation professionnelle, de l’hôpital Pierre-Rouquès et du centre de santé Fernand-Lamaze. Elle a fait appel à Isabelle Lassignardie, archiviste, pour procéder au classement du petit millier de boîtes composant son fonds d’archives. Parmi les pépites redécouvertes à l’occasion des opérations de tri et d’inventaire, on peut mentionner plus spécialement deux boîtes contenant d’une part les registres de règlements des salaires des stagiaires et d’autres part des fiches nominatives de stagiaires, le tout couvrant une période allant de septembre 1945 à la fin des années 1940.
Un certain Krasucki
En parcourant les registres, on tombe sur un nom bien connu des adhérents de la CGT, Henri Krasucki. Né le 2 septembre 1924 dans la banlieue de Varsovie, en Pologne, il est arrivé à Paris à l’âge de quatre ans. Dès 1934, il a participé à ses premières manifestations, avant d’adhérer à la section juive des Jeunesses communistes en septembre 1939. Le mois suivant, il est embauché comme ouvrier dans une usine métallurgique à Levallois, puis quelques mois plus tard dans un atelier à Romainville, tout en suivant des cours théoriques à la chambre de commerce et d’artisanat. Après ses premières actions résistantes au second semestre de l’année 1940, il est entré dans la clandestinité en mai 1941. En août 1942, il a intégré la direction parisienne des organisations de jeunes de la section juive des Francs-Tireurs et Partisans – Main d’Œuvre Immigrée (FTP-MOI). Arrêté le 23 mars 1943 par la police française, il est longuement torturé lors de ses interrogatoires. Il est transféré à Drancy en juin 1943 puis déporté à Auschwitz, dans la sinistre mine de charbon de Jawischowtiz. Il y devint le responsable du petit groupe de Français dans le Comité international, l’organisation collective de solidarité et de résistance du camp. En janvier 1945, le camp est évacué et Henri Krasucki s’est retrouvé à Buchenwald où il a participé au dispositif de luttes des déportés pour libérer le camp le 11 avril 1945. Il a retrouvé Paris le 28 avril et après une période de repos, il a décidé d’achever sa formation d’ajusteur.
À l’école Bernard-Jugault
À la Libération, l’Union CGT des syndicats de la métallurgie de la région parisienne reprend possession de ses locaux, dont celui de l’impasse de la Baleine (11e arr.) qui a accueilli, de mai 1937 à septembre 1939 une école de formation professionnelle pour chômeurs[1]. Celle-ci a rouvert ses portes dans de nouveaux locaux, en avril 1945, situés au 157-159 rue du Général Bizot (aujourd’hui Arnold-Netter) à Paris (12e arr.). Elle porte désormais le nom de Bernard-Jugault, un dessinateur industriel de chez Chausson à Asnières, qui avait participé à la Résistance avant d’être capturé, puis exécuté par l’armée allemande lors des combats de la Libération de Paris, en août 1944. Sur deux étages et près de 2 600 mètres carrés, équipée de machines-outils provenant des surplus américains, l’école peut accueillir 14 classes, soit 468 stagiaires en une équipe, pour une formation de six mois, soit 1 040 heures.
Les registres de règlements des salaires des stagiaires comportent trois mentions « Krasucki », en septembre, octobre et novembre 1945. L’écriture manuscrite, malaisée à déchiffrer, ne permet toutefois pas d’être certain pour les mois qui suivent. Christian Langeois, dans sa biographie d’Henri Krasucki paru au Cherche-Midi en 2012, évoque une formation de six mois, durant laquelle il adhère pour la première fois à la CGT. Au début du mois de mars 1946, il est embauché, après avoir réussi son essai – une queue d’aronde sur de la fonte – chez Hispano-Brune à Paris (14e arr.), avant de rejoindre peu de temps après l’entreprise Athos, dans le 19e arrondissement, où il créé une section syndicale, dont il est secrétaire de septembre 1946 à mai 1947.
[1] Sur cette histoire, reportez-vous aux Cahiers d’histoire de la métallurgie, n° 52, mars 2016.