Cette année encore des milliers de français ne partiront pas durant l’été. Parce que cette fracture touristique est surtout sociale, la CGT est plus que jamais mobilisée pour faire vivre le droit aux vacances de qualité pour tous.
A la veille des grandes vacances, combien de collègues de travail vont encore faire l’impasse sur leurs vacances, sans compter les sans-emplois, les retraités, les jeunes étudiants ? Au delà de cette frustration que cela génère, la bataille pour faire vivre le droit aux vacances peut paraître décalée quand des milliers d’emplois sont menacés, que les conditions de travail se dégradent ou qu’une majorité de ménages n’arrivent pas à boucler ses fins de mois. Malgré tout le droit aux vacances de qualité pour tous, reste un droit fondamental « au même titre que le droit au travail, à la santé, à l’éducation ou au logement » précise la fiche revendicative de la CGT. Parce que les vacances sont sources d’émancipation et que ne pas pouvoir partir concourt à un sentiment de déclassement social, il apparaît plus que jamais nécessaire de réaffirmer ce droit et d’en conquérir de nouveaux.
Des congés payés…
L’an dernier, la France a fêté les 80 bougies des congés payés. Mais l’idée de congés payés émerge dans les années 1920 en France. Le pays est d’ailleurs à la traîne. Entre 1900 et 1930, les congés payés sont instaurés dans de nombreux pays européens comme en Allemagne, Norvège, Pologne, mais aussi au Chili ou au Brésil. En 1926, le congrès de la CGT revendique le droit à des congés payés. A l’époque, mériter d’être « payé à ne rien faire », comme le bonheur et le droit d’accéder aux loisirs, est « une idée neuve ». Il aura fallu les grandes grèves de mai-juin 1936 pour que le patronat et le gouvernement cèdent au Front populaire. La loi est votée à l’unanimité par les députés. Elle prescrit un minimum de deux semaines de congés par an pour tous les salariés français liés à leur employeur par un contrat de travail. À la Libération, la revendication d’une semaine supplémentaire de congés payés figure parmi les revendications salariales. Il a fallu attendre 1955, année où la régie Renault, véritable « laboratoire social » accorde, après plusieurs mouvements de grève, à ses salariés une troisième
semaine de congés payés. Et, contre l’avis des pouvoirs publics, une quatrième, sept ans plus tard. Elle entraîne dans son sillage plusieurs autres entreprises. En 1956, le gouvernement généralise la troisième semaine de congés payés obligatoires. Puis, en 1969, est octroyée pour l’ensemble des salariés, la quatrième semaine et enfin, c’est en 1982 que la durée des congés payés est fixée à cinq semaines.
… au droit aux vacances
Dès l’été 1936, 600 000 salariés français profitent de cette nouvelle conquête sociale pour jouir de vacances au bord de la mer ou à la campagne. La bourgeoisie est d’ailleurs plutôt hostile au partage d’un espace qui lui était traditionnellement réservé. Ils sont toutefois trois fois plus nombreux l’année suivante. Mais, c’est à la Libération, sur la base du programme du CNR (Conseil national de la Résistance), et plus particulièrement avec la création des comités d’entreprise, que la notion de vacances pour tous commence à prendre tout son sens. La démocratisation du droit aux vacances prend son envol pendant les trente glorieuses, période de quasi plein-emploi. Aujourd’hui, moins de six français sur dix partent en vacances l’été selon l’Insee. Parmi ceux qui ne partent pas, quatre sur cinq n’ont pas pris de vacances en raison de contraintes (financières principalement, mais aussi familiales, professionnelles, de santé ou autres) et non par choix. Le niveau de vie reste le facteur le plus déterminant pour expliquer qu’un ménage part ou non en vacances. Par ailleurs, les inégalités de taux de départ doublent selon la nature même des vacances : durée, destination, mode d’hébergement. Accéder aux congés payés ne rime donc pas nécessairement avec vacances. D’autant que l’on peut discuter de la définition même de vacances. En effet, peut-on réduire le terme vacances à au moins quatre jours en dehors de son domicile?
Un enjeu de socialisation
« Les vacances, c’est comme la soupe, ça fait grandir » s’amuse à marteler le président du Secours populaire, qui chaque année s’engage à faire partir des milliers d’enfant en vacances. Et ce qui vaut pour les enfants est aussi bon pour les plus grands. Pour tous les âges, les vacances sont facteurs d’épanouissement, d’émancipation mais aussi de cohésion sociale. Car partir en vacances, c’est s’évader du quotidien, des problèmes. C’est un dépaysement physique et mental. Cela permet de s’ouvrir, de découvrir et d’échanger plus largement. C’est un facteur de re-motivation notamment pour les personnes qui y accèdent pour la première fois ou qui ont perdu l’habitude de partir. C’est pourquoi rendre le droit aux vacances accessible à tous, devient un enjeu de société qui demande un investissement politique important. Il ne s’agit pas seulement de faire de la France, un pays d’accueil pour les touristes du monde entier. Mais de développer les structures et moyens pour accompagner un maximum de famille à accéder au droit aux vacances de qualité.
Un droit pas tombé du ciel
C’est ainsi que le droit aux vacances reconnu aux travailleurs en 36 n’a pu s’inscrire dans les faits que parce qu’a été mis en place certains moyens de l’exercer. Dans les années 50, c’est notamment grâce au développement des comités d’entreprise (créés après la Seconde Guerre mondiale par Ambroise Croizat, ministre des travailleurs) que des millions de salariés et leur famille ont pu bénéficier d’un accès aux vacances, à la culture, aux loisirs et au sport. Ce fut aussi le sens premier de la création des chèques vacances après la mise en place de la cinquième semaine de congés payés en 1982. Mais force est de constater que la volonté politique favorisant l’accès au droit aux vacances est loin d’être une priorité depuis plus de 30 ans. La dernière avancée datant de 1998 avec l’inscription du droit aux vacances dans la loi contre les exclusions. À l’époque, une coordination nationale du tourisme social et associatif avait été créée au sein du ministère du Tourisme. Depuis, elle a disparu.
L’engagement de la CGT
Face aux insuffisances pour rendre effectif le droit aux vacances, la CGT a créé, dès les années 50, des outils pour favoriser son accessibilité.
Depuis 1985, la CGT s’est dotée d’un nouvel outil politique d’impulsion des conditions du droit d’accès aux vacances, aux loisirs, au sport et à la culture, qui s’appuie sur les droits et les prérogatives des CE. Il s’agit de l’Association nationale de coordination des activités de vacances-Tourisme et Travail (ANCAV-TT). La CGT est la seule organisation syndicale à disposer encore d’un tel outil. Depuis sa création, la fédération de la métallurgie, qui est membre fondateur, en est partie prenante. L’Ancav-TT exerce une activité nationale de coordination, d’actions pour le droit aux vacances, de pérennisation et de développement du tourisme social pour l’ensemble de ses adhérents. Elle s’appuie sur un réseau d’une trentaine d’associations territoriales de tourisme social qui rayonnent sur plus de 60 départements. C’est un outil de mutualisation des moyens et de proximité pour les villages vacances des comités d’entreprise.
Besoin de plus d’équité
Mais ces outils, même s’ils s’efforcent de s’adapter aux changements du salariat, restent insuffisants. Il existe par exemple de fortes disparités d’accès aux vacances entre les salariés selon le type d’entreprise dans laquelle ils exercent. Mais comment permettre aux salariés, selon la taille de leur entreprise de bénéficier des mêmes droits ? C’est en ce sens que la CGT revendique par exemple de porter le financement des activités sociales des comités d’entreprise au minimum à 3 % de la masse salariale, mais aussi de mettre en place la solidarité entre les petits et les gros comités d’entreprises et entre les entreprises donneurs d’ordres et sous-traitantes. Il s’agit également de soutenir les départs en développant davantage les contributions d’aide avec la mise en place de quotients familiaux pour garantir l’équité.
Des expériences à généraliser
Lors de la journée d’étude fédérale sur les comités d’entreprise, le 23 novembre dernier, plusieurs témoignages ont mis en avant le travail des élus pour développer de nouvelles pratiques afin de développer notamment l’accès aux vacances. Par exemple, le CE de Thalès Air Système à Limours (91), entreprise qui compte 850 salariés, avait proposé un accord aux comités d’entreprises des autres salariés travaillant sur le site (gardiennage, restauration, entretien). Leurs subventions étaient versées au comité d’entreprise de Thalès permettant ainsi de l’intégrer et d’ouvrir l’accès à une offre d’activité plus importante. Malheureusement, quand la CGT a perdu la majorité au CE, cette mesure a pris fin au nom du principe de la légalité. Cette mutualisation est donc possible, il s’agit maintenant de gagner à ce qu’elle rentre dans la législation pour être généralisée. Dans le même sens, nous pourrions nous appuyer sur le travail réalisé par les camarades des services de l’automobile dans le cadre de l’APASCA (Association Paritaire d’action sociale et Culturelle de l’Automobile) qui est en quelque sorte un Comité d’entreprise national des salariés de la branche. Créée après mai 1968, elle permettait de répondre à la carence de CE dans les petites entreprises sous la convention collective de branche. Aujourd’hui, elle propose notamment des séjours en village vacances ou des participations aux séjours pour favoriser le droit aux vacances.
Ouvrir de nouvelles perspectives
Pour la CGT, poursuivre cette bataille pour faire vivre le droit aux vacances pour tous est plus que jamais d’actualité dans le contexte de casse des droits des salariés. Il ne s’agit pas seulement de se battre pour garder les congés payés, mais de conquérir une sixième semaine pour l’ensemble des salariés et de s’appuyer sur les diverses expériences des CE pour gagner de nouveaux droits favorisant l’accès aux vacances de qualité pour tous. Même si cette revendication semble utopique pour certains libéraux face aux enjeux de « compétitivité » du monde du travail, elle est moderne, nécessaire et atteignable alors qu’on nous promet un nouveau bon des gains de productivité avec le développement des nouvelles technologies.
Assurer le droit aux vacances avec le tourisme social
Parce que « congés payés » ne riment pas avec « vacances », le tourisme social s’est développé pendant les trente glorieuses autour de l’engagement du mouvement syndical via les Comités d’entreprise, mais aussi avec les grands mouvements d’éducation populaire comme Léo Lagrange, Tourisme et Travail, VVF, … et la participation de l’État et des collectivités locales. Mais force est de constater que les politiques en faveur du droit aux vacances sont fragilisées. Aujourd’hui, il existe encore des dispositifs d’aides à la personne et de soutien aux structures d’accueil, mais d’une part, ils ne sont pas suffisants et surtout, ils manquent de moyens. De plus, le tourisme marchand grignote petit à petit le marché. Ainsi, 95 % des Comités d’entreprise recourent au secteur marchand contre 5% au tourisme social. Pourtant, faire appel aux structures développant le tourisme social s’est, par exemple, offrir un projet éducatif pour les enfants de salariés, s’assurer du bon traitement des personnels saisonniers des centres de vacances ou encore favoriser les liens avec les acteurs locaux. C’est aussi faire vivre directement le droit aux vacances pour tous en permettant la mutualisation du patrimoine pour ceux qui n’ont rien.
Pour contrer le secteur marchand et sa politique de concurrence libre et non faussée, la CGT est mobilisée pour faire vivre le tourisme social. Il s’agit à la fois de sauver le patrimoine existant, mais aussi d’engager des actions concrètes de développement notamment auprès des pouvoirs publics.
Les Comités d’entreprise. Histoire d’une IRP pas comme les autres, dossier de l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT métallurgie https://ftm-cgt.fr/comites-dentreprise-histoire-dune-irp-autres/
Site internet de l’ANCAV-TT http://www.ancavtt.com/
Pierre Périer, vacances Populaires. Images, pratiques et mémoire, 2000, Presses Universitaires de Rennes.
Dossier coordonné par Lamia Begin