Contribution de Bernard Lamirand, animateur du Comité d’Honneur Ambroise Croizat.

Avec la révolution industrielle, après le « charitable » qui accomplissait les œuvres caritatives, de nouvelles formes d’aides ont vu le jour avec par exemple le «familistère» de Godin. Cette organisation supposait la correction de l’action économique et les effets néfastes du capitalisme soient amendés par le Travail, la solidarité, l’équité, la liberté, le devoir comme le propose ce patron réformiste.

Mais cette façon de faire a été rejetée par le capitalisme le plus dur, celui des forges, avec le développement du paternalisme d’Eugène Schneider au Creusot pour empêcher la naissance du syndicalisme dans son entreprise. Il mettra en place des œuvres sociales gérées par lui-même et ses cadres.

Ainsi, dés la naissance et jusqu’à la mort, le patron apportait son concours à la vie de l’ouvrier et pour ainsi dire à la reproduction de la force de travail. Ainsi, on naissait dans le berceau payé par les Schneider, l’école leur appartenait, le centre d’apprentissage et les petits cadeaux aux méritants confortaient l’esprit de maison et enfin l’on mourait et finissait dans le cercueil payé par les maîtres des forges. Au Creusot, tout le monde devait pointer à la messe le dimanche sinon les salariés absents étaient marqués, plusieurs églises existaient et portaient le nom de «Saints» qui étaient aussi les prénoms des fils Schneider.

Tout cela visait à couper l’herbe sous le pied des syndicalistes qui revendiquaient du social de manière collective avec un syndicat dans l’entreprise. Ils furent l’objet de la vindicte patronale la plus violente.

1936, fut un des premiers moments d’incursion d’une autre vie sociale et syndicale à l’entreprise. Les délégués du personnel allaient changer les us et coutumes existants.Les revendications bien sûr, mais aussi l’accès à la culture, aux sports, la prévention et surtout la fin des dames patronnesses venant «visiter» les femmes, les incitant à rester à la maison et à être de bonnes maitresses du foyer comme l’enseignaient les femmes des maitres des forges et autres patrons.

L’idée d’intervenir dans la marche de l’entreprise commençait à émerger également. Mais l’exercice syndical, s’il était reconnu à l’extérieur de l’entreprise ne l’était pas en tant que tel à l’intérieur. Il fallut attendre 1945 et 1968 pour qu’il en fût ainsi.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupation, dans le cadre de la collaboration avec l’Allemagne nazie, le patronat fut en quête d’intégration des travailleurs.

Sous la devise « travail, famille, patrie », ils créèrent donc les comités sociaux d’établissement. Ces comités, dits-sociaux, ne pouvaient débattre que des questions sociales (de l’approvisionnement des pommes de terre par exemple dans ces temps de disette) mais, en aucune façon, des questions économiques.

En opposition, la résistance s’exerçait dans les entreprises avec la constitution des comités populaires clandestins dans les usines. Pour l’historien Roger Bourderon: « Tous sont d’accord sur les objectifs, initialement modestes vu la déstructuration du mouvement ouvrier : retrouver des militants, les convaincre de s’investir dans l’objectif majeur qu’est la défense des revendications ouvrières, et par là s’affirmer ‘’contre Vichy et, derrière Vichy, contre l’occupant’’ », comme le dira plus tard Henri Jourdain, qui précise : »Nous insistons sur la nécessité de développer la production non militaire, afin de satisfaire les besoins pressants de la population française, et de ne pas alimenter la machine de guerre allemande.Cette démarche ouvrira la voie au sabotage de la production de guerre.’’

On peut dire que se furent les premières formes nouvelles de dépassement du paternalisme d’avant guerre. Les comités d’entreprises survinrent donc à libération et font partie intégrante du programme du Conseil national de la Résistance.

Les comités d’entreprise verront le jour en 1945 par une ordonnance du Général de Gaulle qui limita leur attribution aux questions sociales et culturelles mais surtout pas à l’intervention des salariés dans la marche de l’entreprise.

Pourtant les choses ne se passeront pas ainsi, les travailleurs et la CGT, qui ont participé à la libération de la France et qui ont vu le patronat collaborer avec l’ennemi, veulent des nouveaux droits.

Ils vont imposer que toutes les activités sociales, sportives et culturelles soient financées par l’entreprise et non par l’employeur comme on dit à tort, en prenant un pourcentage sur la masse salariale.

Toutes ces évolutions se font par une loi soutenu par Ambroise Croizat, alors ministre du travail et de la Sécurité sociale, qui met en œuvre les dispositions qui n’avaient pas été retenues par le gouvernement précédent.

La loi abaisse le seuil du nombre de salariés pour créer un CE dans une entreprise une entreprise à 50, et non 100. Elle oblige la consultation du CE en matière de gestion et de marche de l’entreprise, à communiquer les documents remis aux actionnaires, avec l’assistance d’un expert- comptable, le dégagement de 20 heures de délégation. L’Assemblée vota la loi à l’unanimité le 16 mai 1946.

Les réactions patronales furent très vives. Aujourd’hui encore, la patronat souhaite détruire les acquis sociaux de l’après guerre ouvrant alors la porte à toutes sortes de manipulation. La campagne qui vient de démarrer avec les comptes du CE de la RATP vise à cela. Après notre système de protection sociale, les attaques contre les droits syndicaux s’abattent sur les salariés.

C’est Denis Kessler, l’ex-vice président du Medef, assureur privé, qui ouvrit clairement les hostilités en 2007 en déclarant à l’intention de Sarkozy « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes.Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie… La liste des réformes? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».

Et dans ce programme du Conseil national de la Résistance il y a effectivement les comités d’entreprises.

L’attaque est menée dans ce cadre en faisant douter les travailleurs sur la gestion des comités d’entreprises par le syndicalisme qui serait celle de privilégié. Ce discours nous l’avons entendu en d’autres occasions pour démolir les droits à la retraite dans la fonction publique où encore pour les régimes spéciaux.On met en avant tout et n’importe quoi et l’on additionne de chiffres en milliards d’euros détournés des CE dans les syndicats.

Exemple de la malhonnêteté patronale, c’est l’intégration des chiffres du coût des heures de délégation des élus qui rappelons le sont un droit. Ces sommes, consacrées à l’exercice syndical, ont été obtenus en 1936 par les délégués du personnel puis en 1945 avec les membres du comité d’entreprise et enfin avec le droit syndical en 1968, permettant l’exercice syndical sur le lieu de travail et pendant le temps de travail. Voilà l’attaque qui se cache derrière des prétendus détournements de fond.

Casser la représentation syndicale qui doit être rémunérée comme temps de travail.

Ces faussaires, bien sûr, n’ont jamais calculé les sommes énormes dépensées par les patrons pour casser les luttes et déposer leurs larcins dans les niches fiscales en Suisse,

Leur but est bien de jeter le trouble, d’opposer les travailleurs entre eux, de diviser pour régner.

Le but est évident. Dans ces moments d’une crise du système, du jamais vu, pour faire accepter l’austérité et le recul social, les comités d’entreprises, dont le rôle est important dans la lutte contre les fermetures, les licenciements, les délocalisations, doivent être mis hors d’état de nuire face aux politiques de rigueur décidées par l’Europe des profiteurs.

Les travailleurs ont toutes les raisons de défendre leurs lieux de représentation et les comités d’entreprises sont indispensables à la lutte contre les mesures édictées par l’Europe du Capital.

Nul doute que ceux-ci ne marcheront pas dans les attaques réactionnaires actuelles distillées par ceux qui veulent faire taire le syndicalisme.


Pour aller plus loin

En 2011, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance des peintres liés au mouvement social, Amblard et Taslitsky, l’IHS- CGT métaux a travaillé sur le lien entre la culture et le monde ouvrier par le biais d’une exposition et d’un livre Artistes et métallos, quand l’avenir se dessine à l’atelier. Ce dernier revient notamment sur le rôle des CE et de leur action culturelle en direction des salariés.