Le hasard du calendrier a fait coïncider les travaux du congrès extraordinaire de NUMSA, la puissante fédération des métallurgistes d’Afrique du Sud avec le décès de Nelson Mandela. L’après Mandela commence maintenant.
Les 1200 délégués réunis du 17 au 20 décembre, représentant les 338 000 adhérents, après un hommage appuyé à Madiba, ont pris une série de décisions importantes, en rupture totale avec les principes syndicaux en cours depuis la fi n de l’apartheid en Afrique du Sud. Le congrès a été convoqué au regard de l’appréciation des dirigeants de la fédération sur la situation économique et sociale, sur la situation de blocage interne dans COSATU, sur les conséquences des grèves dans les mines et le drame de Marikana. Les délégués dressent un bilan très critique de la situation du pays et des conditions de vie et de travail que subissent les travailleurs.
La pauvreté s’accroit, le chômage augmente, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. La désindustrialisation s’accélère. La crise globale du capitalisme continue et la population en subit toutes les conséquences. NUMSA affi rme que cela n’est pas dû à l’incompétence des dirigeants qu’il suffi rait alors de changer, mais cela est dû à des choix politiques faits et revendiqués par l’Alliance (la coalition au pouvoir depuis 1994 qui regroupe l’ANC, le SAPC, Parti Communiste Sud Africains et COSATU, la confédération syndicale unique du pays).
Ceux-ci protègent les intérêts des grands capitalistes blancs. Le traitement policier et répressif des grèves des mineurs de Marikana a, de ce point de vue, marqué un tournant, en illustrant ouvertement quels étaient les choix de l’Alliance. NUMSA compare la charge policière meurtrière de Marikana aux assassinats de Sharpeville sous l’apartheid. A titre de solidarité, NUMSA a collecté plus de 350 000 rands (25 000 € ) pour les famille des victimes de Marikana.
Le choix a été de défendre les propriétaires des mines et non pas les travailleurs. NUMSA estime désormais que l’ANC et le SAPC ne portent plus les intérêts des travailleurs mais ceux du grand capital.
Le contenu du «Plan National de Développement» censé être le programme électoral de l’Alliance pour les prochaines élections en 2014, est qualifié par NUMSA de programme néolibéral, qui va au devant de la volonté du grand capital de mettre toute l’économie sud-africaine sous la coupe des marchés fi nanciers, au détriment des intérêts des travailleurs. Ce programme tourne complètement le dos à la «Charte des Libertés» adoptée par l’ANC dans son combat contre l’apartheid. Cette charte revendiquait la mise sous contrôle par les travailleurs des grands moyens de productions, des mines (charbons, or, platine etc..).
En résumé, les forces de droite ont mis la main sur l’Alliance, celle-ci n’est plus qu’une machine électorale et non plus un point d’appui pour impulser les luttes sociales. 7 Dans le même temps, le groupe dirigeant de COSATU continue malgré toutes les alertes à soutenir l’ANC et la SAPC. Cela a provoqué de graves dissensions en interne entre ceux qui considèrent que le rôle de COSATU est de soutenir l’ANC et le SAPC quoiqu’il se passe et ceux qui veulent de fait la resyndicaliser, faire revenir la confédération à son rôle de défense des intérêts des travailleurs, indépendante des gouvernements et des partis. Au stade actuel, NUMSA estime qu’il est illusoire de faire revenir l’ANC et le SAPC sur une ligne progressiste qui mette en perspective les transformations sociales indispensables au pays pour sortir de la misère, des inégalités, du chômage et pour relancer une activité productive créatrice d’emplois et de richesses pour le peuple. L’un et l’autre ont trop pris goût au pouvoir pour le pouvoir, sans se soucier de ceux qu’ils étaient censés représenter.
Le congrès a dès lors décidé :
– d’appeler COSATU à rompre l’Alliance et revenir à une conception syndicale militante et revendicative.
Pour ce faire, NUMSA organise une grande manifestation nationale en direction du siège de COSATU en février 2014 pour faire pression sur la confédération.
– d’appeler à un congrès extraordinaire de COSATU pour résoudre la crise interne et fi xer des objectifs syndicaux.
– de créer un nouveau « front uni » (United Front UF), pour coordonner les luttes sur les lieux de travail et promouvoir la « Charte des Libertés » que l’ANC a abandonnée.
L’UF aura pour mission de mobiliser contre les politiques néolibérales telles que le Nouveau Plan de Développement de l’Alliance.
– d’explorer les pistes pour créer un « Mouvement pour le Socialisme ». C’est-à-dire de voir s’il est envisageable de créer un parti politique qui puisse représenter les intérêts de la classe ouvrière et porter un projet socialiste pour le pays.
NUMSA prendra contact avec les camarades du Brésil, du Venezuela, de Bolivie et de Grèce pour étudier les moyens que les travailleurs de ces pays se sont donnés. L’échéance pour la création du parti est fixée pour le premier comité central de NUMSA de 2015.
– enfin et pour la première fois, NUMSA ne donnera pas de consigne de vote et n’appellera plus à voter pour l’ANC et le SAPC, laissant ses adhérents libres de leur choix, libres de voter ou pas.
– suite au scandale d’utilisation de fonds publics pour la rénovation de ses appartements privés, Numsa demande la démission de J Zuma, président de la république.
D’autres décisions importantes ont également été prises. Par exemple l’élargissement du champ de syndicalisation de Numsa aux fournisseurs et sous traitants des entreprises métallurgiques qu’ils organisaient déjà, que ces fournisseurs ou sous-traitants soient dans le champ conventionnel ou pas. Ou bien un plan d’actions pour la prise de contrôle des principaux pans de l’économie sudafricaine : nationalisation de Mittal, de SASOL, de toutes les mines, protections douanières pour éviter le pillage des matières premières, nationalisation des banques et établissements financiers, mise en place d’un salaire minimum et d’un ensemble de droits sociaux attendus.
Écrit par : Christian Pilichowski, membre du Bureau fédéral, d’après le communiqué officiel de NUMSA du 21 décembre