Formations communes salariés / employeurs :
quand patronat et gouvernement voudraient nous apprendre à militer…
Plusieurs textes législatifs récents visent à promouvoir l’organisation de formations communes pour les employeurs et les salariés, qui selon le législateur contribueraient à « améliorer le dialogue social ».Pour la CGT, la formation des militants, des élus ainsi que des mandatés, doit rester une mission essentielle de la CGT. Ces formations communes employeurs/salariés pourraient remettre en cause les principes fondamentaux de notre démarche syndicale.
L’article 33 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels prévoit que « les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises… ». Les ordonnances signées par le Président de la République le 22 septembre dernier créent les conditions pour que ces formations puissent se développer. En effet, leur financement ne passera plus par les confédérations syndicales, il sera décidé dans l’entreprise (l’employeur proposera un accord collectif aux organisations syndicales).
L’article 33 de la loi du 8 août 2016 précise que des accords collectifs d’entreprise ou de branche, peuvent définir les contenus et les conditions de la réalisation, ainsi que le financement de ces formations.Il est dit que « les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes… », ce n’est en aucun cas une obligation. C’est pourquoi nous devons, partout où c’est possible, refuser la mise en place de ces formations communes.
L’article 33 de la loi du 8 août 2016 pointe les Instituts du travail comme étant des organismes susceptibles de dispenser ces formations communes. Si les Instituts du Travail étaient amenés à intégrer le réseau d’organismes pouvant dispenser ces formations communes, cela modifierait en profondeur la nature même de leurs missions et leurs fondements. En effet, les employeurs devenant usagers, on peut imaginer qu’ils pourraient, à terme, demander à participer à la gouvernance des Instituts.Le décret d’application précise le cadre juridique et le financement :
Pour les salariés, ces formations seront réalisées dans le cadre du Congé de Formation Économique Sociale et Syndicale. Les droits des salariés à la formation syndicale (12 jours annuels) seront donc amputés ! Pour les employeurs, elles se feront dans le cadre du plan de formation professionnelle de l’entreprise, leur coût impactera donc les droits des salariés à la formation professionnelle ! Il est inacceptable que le cadre juridique, et donc le financement, ne soient pas les mêmes pour les salariés et pour les représentants des employeurs ! C’est l’Institut National du Travail de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) qui a été chargé d’élaborer le cahier des charges (neutralité, pédagogie centrée sur les relations entre acteurs), et il élabore les contenus (économie et social, droit, dynamique de négociation…). C’est l’INTEFP qui conçoit et met en œuvre ces formations communes directement, ou en mobilisant un réseau de partenaires…
Les organisations syndicales n’auraient plus aucune maitrise des contenus dispensés dans ces formations. Le cahier des cha rges reprend la neutralité comme première exigence posée par le décret. Il est contradictoire de vouloir former les élus aux notions économiques et sociales, avec le soi-disant « principe de neutralité », au moment même ou dans les entreprises, les directions cherchent systématiquement à limiter les informations données aux IRP qui permettraient une meilleure compréhension.Et comment une formation pourrait-elle être « neutre » alors que la lutte des classes sévit partout dans les entreprises ? Il faudrait travailler plutôt pour que dans les instances, les élus disposent de tous les éléments de compréhension nécessaires sur la situation des entreprises.
Quelques exemples tirés de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (en annexe fin d’article). Malgré la neutralité affichée, de nombreux éléments de portée idéologique sont abordés, souvent en opposition avec notre démarche syndicale et aux salariés. Nous pouvons pointer les exemples suivants :
« La manière de communiquer… avant et après les séances de négociation »
Ces éléments de communication sont abordés sans jamais faire référence aux salariés, qui n’apparaissent pas dans le processus de négociation. Lorsqu’il est fait référence aux salariés, les termes employés sont « bénéficiaires » ou les « tiers ».« Pour se réaliser dans les meilleures conditions, la négociation d’un accord peut s’appuyer sur la construction d’un outil au service de la négociation qui ne se substitue pas à l’accord d’entreprise : l’accord de méthodologie»
Il est fait référence aux accords de méthode dont nous savons qu’il s’agit systématiquement de contourner les règles fixées par la loi.La partie « Dynamique de la négociation collective » semble gommer l’idée que chaque partie développe une stratégie…
C’est un aspect essentiel des négociations, d’autant qu’il y aurait beaucoup à dire sur le non-respect par les employeurs des règles de la négociation et sur les stratégies utilisées. Les stratégies mises en œuvre pour imposer les récentes réformes en disent long sur les conceptions qui pourront être avancées sur ce thème.
De plus, il est précisé que des « …thématiques particulières peuvent être abordées lors des formations communes, notamment celles portant sur les différents objets de négociation ou bien sur des aspects plus techniques comme la gestion comptable et financière des entreprises »
La limite quant aux thématiques qui pourraient être abordées n’est donc pas clairement définie. On peut donc se poser des questions sur la manière dont seraient abordés par exemple les thèmes des salaires ou de l’emploi…
Nous constatons depuis longtemps que, dans les entreprises, les employeurs prennent l’initiative d’organiser les formations des mandatés dans les Comités d’entreprises, ou dans les CHSCT. Ils les proposent en lien avec des organismes qui leur sont proches, et nombreux sont les élus et mandatés, y compris parmi ceux qui sont élus sur liste CGT, qui acceptent de participer à ces formations dispensées par des organismes choisis par les employeurs.
Il s’agit pour les employeurs, d’avoir la maitrise des objectifs et des contenus de formation !
On sait aussi que sous couvert d’indépendance, nos conseillers prud’hommes sont régulièrement rappelés à l’ordre et sommés de laisser leur étiquette syndicale au vestiaire. C’est une logique de transformation radicale des relations sociales dans les entreprises, à partir d’une conception d’un dialogue social basé sur le consensus permanent. C’est promouvoir une conception lissée des relations sociales, niant le lien de subordination et donc la nécessité du rapport de force.
Cette institutionnalisation du syndicalisme est en opposition avec notre démarche syndicale tournée vers les salariés. Elle favorise l’éloignement des élus et mandatés, en contradiction totale avec notre charte des élus et mandatés. Ces dispositions vont amener à des pressions plus fortes des employeurs pour ne pas financer la formation syndicale. Il sera plus simple pour eux d’imposer un accord collectif prévoyant la participation des élus à une formation commune. Si elles se développaient, ces formations se substitueraient aux formations dispensées par les organisations syndicales. A terme, ce serait l’avenir de la formation syndicale qui serait posé.Les élus et mandatés tiennent une place essentielle dans notre démarche syndicale notamment par leur proximité, par le lien qu’ils entretiennent avec les salariés.
Nous contestons l’idée que l’organisation de formations communes pourrait contribuer à l’amélioration du dialogue social. Notre conception du dialogue social s’appuie sur des militants, des responsables et mandatés mieux formés dans leur organisation. La CGT revendique de nouveaux droits à la formation syndicale pour les salariés et les militants, pour faire vivre la démocratie sociale dans toutes les entreprises…et non le contraire ! C’est pourquoi nous devons refuser l’organisation de ces formation communes employeurs et salariés ! Seule notre formation syndicale CGT porte la démarche et les propositions CGT ! Plus que jamais, il est temps de mener le débat dans nos syndicats, avec nos syndiqués, sur l’enjeu de se former CGT. La Confédération CGT s’est saisie du sujet, et un courrier réaffirmant notre opposition à ces formations communes employeurs salariés est envoyé à la Ministre du Travail. Des contacts unitaires sont en cours afin d’envisager des prises de positions et des initiatives communes.
Un tract d’information sur l’enjeu de la formation syndicale CGT sera réalisé prochainement. Il sera un support à une campagne d’information que nous devons engager partout à l’adresse de nos syndicats et syndiqués. Notre démarche demeure de placer les salariés au cœur des enjeux pour faire respecter les droits existants et en gagner de nouveaux, pour faire vivre une véritable démocratie sociale à l’entreprise.
Annexes :
– Lettre à la Ministre du Travail
– Extrait de l’article 33 de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
– Le décret du 4 mai 2017
LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (1)
Titre II : FAVORISER UNE CULTURE DU DIALOGUE ET DE LA NÉGOCIATION
Chapitre III : Des acteurs du dialogue social renforcés
Article 33
Chapitre II Formation des acteurs de la négociation collective
« Art. L. 2212-1.-Les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises, dispensées par les centres, instituts ou organismes de formation. L’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle apporte son concours à la création et à la mise en œuvre de ces formations. Ces formations peuvent être suivies par des magistrats judiciaires ou administratifs et par d’autres agents de la fonction publique. « Ces formations peuvent être en tout ou partie financées par les crédits du fonds prévu à l’article L. 2135-9. « Les conditions d’application du présent article sont prévues par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 2212-2.-Des conventions ou des accords collectifs d’entreprise ou de branche peuvent définir : « 1° Le contenu des formations communes prévues à l’article L. 2212-1 et les conditions dans lesquelles elles sont dispensées ; « 2° Les modalités de leur financement, pour couvrir les frais pédagogiques, les dépenses d’indemnisation et les frais de déplacement et d’hébergement des stagiaires et animateurs. »