Unis, nous sommes plus forts ! Ce slogan, maintes fois scandés, résume bien un enjeu essentiel du mouvement syndical. L’unité est un concept pluriel, regroupant des pratiques et des conceptions variées, en fonction des organisations et des contextes considérés. Relater cette histoire sur une page est impossible, aussi concentrons-nous sur un aspect, l’unité syndicale.
Unité du salariat
Karl Marx, dans Misère de la philosophie (1847), distingue classe en soi et classe pour soi. Les nouveaux rapports socio-économiques nés de la Révolution industrielle ont provoqué l’apparition d’une classe en soi, le salariat. Mais être salarié n’implique pas que l’on saisisse immédiatement le caractère inconciliable des intérêts des travailleurs et de ceux des possédants. Seule l’organisation permet d’en prendre conscience et de forger une classe pour soi, préalable indispensable au dépassement du capitalisme.
La CGT, en reconnaissant la lutte des classes comme moteur de l’histoire, se bat pour l’unité des salariés et contre l’accaparement des moyens de production et d’échange par une minorité. C’est la raison d’être de la forme confédérale adoptée en 1895 pour favoriser la solidarité entre les territoires, les professions et les catégories, tout comme celle de l’unité des métaux réalisée en 1909 avec la naissance de la Fédération des travailleurs de la métallurgie. C’est le sens profond de la lutte pour la convention collective nationale, engagée depuis 1937 par notre Fédération, pour obtenir un statut pour tous les métallos, quelque soient leurs branches industrielles et leur territoire. C’est le sens de l’engagement internationaliste de la CGT, pour lutter contre la concurrence imposée aux travailleurs du monde entier.
La conscience des travailleurs n’est pas statique et dépend de la lutte des classes. Aussi, il n’est pas étonnant que la conscience de la classe pour soi progresse lors des temps forts que furent les grèves du Front populaire, la Libération, les grèves de mai-juin 1968 ou encore celles de l’hiver 1995 qui se singularisent par une large mobilisation, l’homogénéité des revendications et un sentiment d’appartenance renforcé.
La division syndicale
De par son nom – Confédération générale du travail – notre organisation aspire à être la centrale unique des travailleurs. Mais le paysage syndical français s’est morcelé, avec l’apparition de la CFTC (1919) devenue CFDT en 1964, de la CGC (1944), de la CNT (1946), de Force ouvrière (1947), de la FEN (1948), de Solidaires (1981), de la FSU et de l’UNSA (1993), sans oublier les tentatives patronales d’imposer un syndicalisme « indépendant », comme par exemple la CFT-CSL.
Pour autant, cette fragmentation n’est pas inéluctable. La CGT a connu trois ruptures majeures, en 1921, en 1939 et en 1947. Mais des réunifications ont eu lieu, comme en 1936, entre les « révolutionnaires » de la CGTU et les « réformistes » de la CGT dans le contexte des luttes antifascistes et des grèves du Front populaire ou comme en 1943, avec les accords dits du Perreux qui actent le retour au sein de la CGT des syndicalistes communistes exclus en 1939.
Alors pourquoi un tel émiettement ? Le contexte national et international joue évidemment. Révolution russe et vague de grèves de 1917-1919 justifient, pour la hiérarchie catholique, la création de la CFTC, tandis que le déclenchement de la Guerre froide catalyse la constitution de Force ouvrière en 1947, grâce aux financements nord-américains de la CIA. Les ressorts idéologiques sont aussi puissants. Ainsi, la CFTC repousse, à la Libération, la proposition de fusion avancée par la CGT, au nom d’un nécessaire pluralisme syndical, seul garant du respect de son inspiration confessionnelle. De même, Force ouvrière a motivé son départ par le refus de la montée en puissance des communistes au sein de la CGT.
Une diversité de pratiques unitaires
Sans aller jusqu’à la fusion entre deux organisations, il existe un éventail large de pratiques unitaires. Ainsi, un accord ponctuel peut être trouvé pour des actions communes locales, professionnelles ou interprofessionnelles. Plus offensive, « l’unité à la base » a consisté, pour les révolutionnaires de la CGTU, à pratiquer l’unité d’action avec les syndicats de la CGT, tout en dénonçant l’attitude de leur direction confédérale. Certaines initiatives unitaires ont tenté de rapprocher les centrales syndicales, comme par exemple celle de « Pour un syndicalisme unitaire et démocratique » qui a œuvré au rapprochement, entre 1957 et 1962, entre FO, la CGT et les instituteurs. L’unité peut prendre la forme d’un programme revendicatif partagé, à l’image de l’unité d’action conclu entre CGT et CFDT entre 1966 et 1978. Ce rapprochement a trouvé un prolongement politique, avec le programme commun de la gauche entre PCF, PS et radicaux de gauche entre 1972 et 1977. L’unité peut enfin prendre une tournure symbolique, comme par exemple la poignée de mains de Louis Viannet (CGT) et de Marc Blondel (FO) dans un cortège parisien durant l’hiver 1995.
L’unité reste aujourd’hui un enjeu pour la construction du rapport de forces. Mais comme le rappelle Henri Krasucki, elle « n’est pas un but, c’est un moyen ». Si pratiquer l’unité syndicale est nécessaire, elle ne signifie pas que l’on doive ranger dans sa poche ses valeurs et son programme revendicatif, ni qu’il faille exclure les travailleurs de cette démarche. Autrement dit, être ferme dans ses principes, souple dans sa pratique !