Louis Coulon est sans doute plus connu des cartophiles – les collectionneurs de cartes postales – que des militants de notre organisation syndicale. Et pour cause ! Son portrait figure sur une bonne quinzaine de cartes postales éditées au tournant des XIXe et XXe siècles. La raison de cette célébrité ? Une barbe d’une longueur de plus de trois mètres et une moustache d’un mètre cinquante d’envergure. Les hipsters, ces jeunes branchés d’aujourd’hui à la pilosité soignée, n’ont qu’à bien se tenir !
Un mouleur de l’usine Saint-Jacques
Louis Coulon voit le jour le 18 mars 1826 à Vandenesse dans la Nièvre. Selon le registre d’état civil dont la lecture est malaisée, son père, François Coulon, est âgé d’une vingtaine d’années et ses deux témoins sont forgerons de profession.
Selon Le Petit journal, dans son édition du 1er août 1905, il débute « comme ouvrier mouleur aux hauts-fourneaux de Limanton (Nièvre) vers 1840, à peine âgé de douze ans. Il y travaille, ainsi que dans ceux de Vandenesse jusqu’en 1849, époque à laquelle il est embauché par l’usine Saint-Jacques, de la Compagnie Châtillon-Commentry et Neuves-Maisons où il est encore occupé en 1905 à l’atelier de la fonderie de fonte. »
L’usine Saint-Jacques est créée en 1847. Antoine Vacher, dans son article « Montluçon. Essai de géographie urbaine », paru dans les Annales de géographie en 1904, précise qu’elle « a d’abord été une usine de fonte. Très vite, les progrès réalisés dans es méthodes de fabrication de l’acier (procédé Bessemer, procédé Thomas-Gilchrist, procédé Siemens-Martin) lui ont permis de devenir avant tout une usine d’acier ». Au début du XXe siècle, cette usine est « l’un des établissements les plus importants de France pour la construction des tourelles blindées, des cuirasses de navires et des canons ». Durant la Première Guerre mondiale, l’usine redouble d’activité, en raison de l’envahissement des régions du Nord et du Nord-Est de la France. Fernand Baraud, dans son article « L’industrie à Montluçon », paru dans les Annales de géographie en 1934, chiffre à 15 000 en 1916 et à 28 000 en 1918 le nombre d’ouvriers travaillant pour la Défense nationale dans la métallurgie à Montluçon. Parmi eux, cinq mille besognent rien que pour l’usine Saint-Jacques, qui bat alors des records de production de fonte et d’acier. La paix revenu, l’activité retombe et le traité naval de Washington de février 1922, en limitant le tonnage de la marine de guerre des principales puissances mondiales, contraint l’usine à diversifier ses débouchés industriels.
Une célébrité
Une rapide recherche dans Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF), permet de retracer quelques étapes de sa notoriété. Ainsi, le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition du 5 novembre 1916, rappelle que sa barbe a été admirée par deux empereurs, vers 1864 par Napoléon III à Montluçon (Allier) et en 1891 à Vichy par Pierre II, empereur du Brésil. Le Petit Caporal du 10 février 1889 relate pour sa part qu’il est venu à Paris en 1878 pour officiellement faire reconnaître son record.
C’est au début de l’année 1889 que cette curiosité pilaire soulève l’intérêt de la presse régionale et nationale. Le Petit Caporal du 10 février 1889 précise ainsi : « À l’âge de douze ans, à l’époque où les visages sont à l’envi blancs et roses, le jeune Coulon fut obligé de se raser. Barbe et moustache repoussaient si vite que le rasoir s’avoua vaincu, si bien qu’à quatorze ans, Coulon voyait s’étaler sur sa poitrine une barbe de trente centimètres de longueur. Le petit vieux faisait une singulière figure au milieu de ses camarades. Six ans plus tard, la barbe atteignait un mètre et croissait de plus belle, elle mesure actuellement deux mètres trente-deux, et son propriétaire a foi dans l’avenir. Seulement, la barbe, brune jadis, grise depuis bientôt vingt ans, sera alors toute blanche. » Le Journal des débats politiques et littéraires, dans son numéro du 10 janvier 1889, renchérit : « Coulon mesure 1 m 59 ; quand il marche il est obligé de soutenir sa barbe à la main ; il la laisse descendre jusqu’aux pieds, relève l’extrémité sur son bras droit plié et la barbe retombe de l’autre côté plus bas que le genou ; quand il s’entoure le cou avec, on dirait l’un de ces grands boas si en vogue en ce moment. » On se dira que sa barbe devait bien le gêner dans son travail. « Mais Louis Coulon avait trouvé le moyen. Il enroulait sa barbe en une sorte de matelas, placé sur sa poitrine, sous sa chemise, et de la sorte n’en était pas encombré dans son travail. »
Cette célébrité ne lui tourne pourtant pas la tête. François Desplantes, dans son ouvrage Le livre de mes petites cousines, paru en 1890, reproduit le témoignage d’un humoriste résidant à Montluçon qui explique que la publication de son portrait « a certainement flatté le père Fils [surnom de Louis Coulon], mais il ne faut pas croire qu’elle l’ait rendu plus vaniteux pour cela. Comme tous ceux qui ont conscience de leur supériorité… pilaire, il a trouvé très naturel que l’on s’occupât de lui et qu’on le fit connaître à la postérité. Car ce n’est pas lui, dont la modestie est bien connue, qui se serait fait une réclame de sa barbe phénoménale. Chacun sait qu’il a toujours refusé à bon nombre de barnums [une personne qui exploite le talent d’un artiste, exhibe des phénomènes à sensations à l’aide d’une publicité tapageuse] de brillants engagements. » Parmi ses refus, notons celui de participer à l’Exposition universelle de Paris de 1889, celle qui vit l’ouverture au public de la Tour Eiffel.
La presse reparle de lui au cours de l’année 1905. Avec soixante-sept années de travail, il serait le « doyen des métallurgistes » à en croire plusieurs parutions dont Le Petit journal qui, dans son édition du 1er août, s’émerveille que sa barbe atteigne alors trois mètres trente-cinq de long et sa moustache un mètre cinquante d’envergure.
Louis Coulon décède à Montluçon le 2 novembre 1916, alors qu’il travaille encore pour la Défense nationale. Son souvenir reste vivace, comme en témoigne la mention faite à son parcours par Le Monde illustré du 28 mai 1938 à l’occasion d’un reportage sur le congrès annuel de la Société des Barbus organisé cette année-là à Tokyo au Japon.
Mais pourquoi faire l’honneur de ces quelques pages de nos Cahiers d’histoire de la métallurgie à un mouleur, si imposante que soit sa barbe ? C’est que « le Père Coulon n’était pas célèbre par sa barbe mais également grâce à son activité de militant syndical », comme le précise Marcel Légoutière, dans son ouvrage Un siècle de luttes sociales en Bourbonnais édité par l’Union départementale CGT de l’Allier en 1977 et comme le rapporte la rubrique « la carte postale témoigne » de La Vie ouvrière n° 1789 du 11 décembre 1978. Ce pan du parcours de Louis Coulon reste méconnu, mais une plongée dans les archives privées et publiques permettrait sans doute d’y remédier !
En guise de post-scriptum, les curieux se reporteront à l’ouvrage Les Velus. Contribution à l’étude des variations par excès du système pileux de l’homme et de leur signification au point de vue de l’anthropologie zoologique, des docteurs Anatole-Félix Le Double et François Houssay paru en 1912 et qui évoque bien évidemment le cas de Louis Coulon.