Nombreux sont ceux qui connaissent l’hôpital Pierre Rouquès – Les Bluets, mais rares sont ceux qui en connaissent l’histoire singulière de cet établissement où plus de 100 000 enfants sont nés depuis sa création.
Réalisation des syndicats métallurgistes de la région parisienne de la Confédération Générale du Travail (CGT), cet hôpital a vu le jour en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le projet était ambitieux : démontrer de manière concrète et vivante qu’il était possible de faire autrement, en défendant des valeurs profondément militantes et humanistes : la solidarité, la fraternité, la qualité des soins, l’engagement en faveur de l’émancipation des femmes, la résistance à la logique qui voudrait faire de la santé une marchandise comme les autres.
C’est ce à quoi se sont employés le mouvement syndical et le personnel tout au long de cette longue histoire que nous vous proposons de découvrir maintenant.
Une œuvre sociale des métallos CGT
Il peut paraître étonnant qu’un syndicat – qui plus est métallo – décide la création d’un hôpital. Et pourtant, la CGT, tout au long de son histoire, ne s’est jamais cantonnée aux seules revendications et a tenté de répondre aux besoins culturels et sociaux de la population.
Il faut toutefois attendre le Front populaire pour qu’elle ait les moyens de ses ambitions. En 1936, une incroyable vague de syndicalisation accompagne la victoire politique de la gauche : la CGT regroupe alors 800 000 adhérents dans la métallurgie, dont 250 000 pour la seule région parisienne.
Ces nouvelles ressources humaines et financières autorisent la mise sur pied d’un vaste réseau d’œuvres sociales comprenant un siège syndical (la Maison des métallos), une colonie de vacances pour les enfants à Vouzeron (Cher), un parc des loisirs et de culture à Baillet (Val-d’Oise), un centre de formation professionnelle et une policlinique.
Le 4 février 1937, un ancien entrepôt de machine-outil est ainsi acquis au 9 rue des Bluets dans le XIe arrondissement à Paris. D’importants travaux sont réalisés avant son inauguration le 5 novembre 1938. L’hôpital propose des consultations médicales gratuites, une antenne chirurgicale, un cabinet dentaire et un centre médical pour les enfants.
La structure est placée sous la responsabilité médicale du docteur Pierre Rouquès, dont le parcours est impressionnant. Militant communiste, il met sur pied dans les années trente une douzaine de dispensaires dans des municipalités de la « banlieue rouge ». Antifasciste, il participe à la lutte de la jeune République espagnole contre le coup d’état militaire franquiste en coordonnant l’aide médicale et sanitaire à l’échelle internationale et en organisant l’accueil en France des brigadistes volontaires blessés. Résistant durant la Seconde Guerre mondiale, il travaille au service de santé des Francs-Tireurs et Partisans (FTP).
En février 1940, l’hôpital et ses équipements sont confisqués par le gouvernement, comme l’ensemble des biens immobiliers de la CGT. Le syndicat n’en reprit possession qu’après la Libération de Paris et sa réouverture ne fut possible qu’en mai 1945, quelques jours avant la capitulation de l’Allemagne nazie.
Accoucher sans douleurs
En juillet 1947, décision est prise de créer un service maternité, dont la responsabilité est confiée au docteur Fernand Lamaze. Après un voyage en Union soviétique en 1951, ce praticien renommé jette les bases, avec son assistant Pierre Vellay, d’une méthode d’accouchement révolutionnaire pour l’époque, dite de l’accouchement sans douleurs (ASD).
Celle-ci prévoit un accouchement sans anesthésie, grâce à une préparation psychologique, un enseignement du fonctionnement du corps de la femme et un travail sur la respiration.
Si les premières tentatives sont peu convaincantes, l’accouchement de Madeleine Tzouladzé le 7 février 1952 est un succès complet. Des investissements matériels importants et le recrutement et la formation de personnel sont alors réalisés pour généraliser le recours à cette méthode.
Bousculant les habitudes, l’ASD introduit une conception nouvelle du travail en équipe à l’hôpital, modifie les relations entre le médecin et la patiente, octroie une place plus grande au père lors de l’accouchement, permet à la femme une meilleure maîtrise de son corps et remet en cause le dogme selon lequel l’enfantement doit se faire dans la douleur.
Après une âpre lutte de cinq années, l’accouchement sans douleurs est enfin reconnu en 1956, consacrant le rôle pionnier de l’hôpital et accélérant la diffusion de la méthode en France et à travers le monde.
L’accouchement sans douleurs en héritage
Loin d’être figée, la méthode initiée par Fernand Lamaze évolue au fil des années, assimilant les progrès de la psychologie et de la psychanalyse et améliorant sa prise en compte des facteurs culturels et sociaux de la grossesse.
C’est ainsi que, conformément à l’engagement en faveur du droit des femmes à disposer de leurs corps, l’hôpital ouvrit en 1974 un centre de planification et d’éducation familiale où la sexualité, la contraception et l’avortement pouvaient être librement abordées.
Les politiques d’austérité et de rationalisation des établissements de santé, initiées au début des années soixante-dix fragilisent les structures. L’hôpital Pierre Rouquès n’échappe pas à ces difficultés et doit successivement renoncer à son service dentaire, son laboratoire d’analyses, son service de consultations médicales et finalement son service chirurgical. En 1991, la polyclinique, devenue maternité, prend un nouveau départ, dans un contexte marqué par l’usage de plus en plus systématique de la péridurale.
En 2000, les syndicats métallurgistes CGT de la région parisienne décident la construction de nouveaux locaux pour la maternité. Après discussion avec l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), le site de l’hôpital Armand Trousseau est choisie et l’inauguration du nouvel hôpital est faite en janvier 2007.
Après de lourds travaux, l’immeuble de la rue des Bluets conserve sa vocation originelle en accueillant à partir d’octobre 2010 l’Hôpital mère-enfants de l’est parisien qui s’est donné pour mission d’accompagner les parents ayant des difficultés, notamment en matière d’addiction.
Solidarité, convivialité, transmission des savoirs, respect des femmes, des pères et des enfants, pratique médicale militante et humaniste, résistance à la marchandisation de la santé constituent le fil rouge de l’histoire singulière de l’hôpital Pierre Rouquès – Les Bluets. Un héritage qu’il ne faut pas hésiter à cultiver.