Ambroise Croizat nous quittait le 11 février 1951 à l’âge de 50 ans. Il était le secrétaire général de la Fédération CGT de la Métallurgie, député de la Seine et ministre du Travail du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946 puis ministre du Travail et de la sécurité sociale du 26 janvier au 16 décembre 1946 et du 22 janvier au 4 mai 1947. Ses obsèques furent à la hauteur de sa popularité. Des centaines de milliers de personnes de tous horizons le conduisirent au cimetière du Père-Lachaise là où il fut enterré près du mur des fédérés. Les travailleurs lui ont rendu un hommage « à la Victor Hugo ». Il était pour eux non pas le ministre du Travail mais le ministre des Travailleurs. On retrouve d’ailleurs son patronyme juxtaposé à cette dernière appellation pour nommer une rue, un stade, un collège ou encore un jardin public.
« Plusieurs moments forts de sa vie militante sur le plan syndical et politique »
Croizat, incontestablement est de toutes les luttes pour des droits sociaux nouveaux. Il jouera un rôle de premier plan au côté de Benoît Frachon dans le déclenchement des grèves massives en 36 sous le Front Populaire avec l’occupation des usines permettant de nombreuses conquêtes sociales dont les congés payés et la semaine de 40 heures. Dès sa libération du bagne d’Alger en mars 1943 où il fut interné par Pétain dans les pires conditions, il devint président de la Commission des affaires du travail et représentant de la CGT à l’Assemblée consultative siégeant à Alger sous la présidence du Général de Gaulle.
La création d’une Sécurité sociale contemporaine
Avant guerre, étant l’un des acteurs principaux des accords Matignon avec ses camarades de la métallurgie, il s’aperçoit que tout cela n’est pas satisfaisant sur le plan de la santé au travail. En lien avec les « métallos parisiens », il va concevoir « les œuvres sociales de la métallurgie parisienne » avec un centre de santé, une mutuelle métallurgie, un centre de vacances et un de repos pour les salariés victimes des conditions de travail et, plus tard, une maternité et des centres de rééducation professionnelle pour des salariés victimes de maladies professionnelles et d’accidents du travail. En fait, une toute autre dimension que celle des assurances sociales existantes pleines d’inégalités et de manque de droits d’intervention des assurés. Il fit en sorte que celle-ci soit dirigée majoritairement par les organisations syndicales et il s’opposa vigoureusement à la mainmise de l’État en s’élevant, lors du débat à l’Assemblée constituante, contre la volonté d’en faire une institution étatisée. Il fit élire les administrateurs salariés par les travailleurs, tout comme il permit la mise en place de la cotisation au lieu de l’impôt. Cette conquête de la Sécurité Sociale représentait un énorme changement : elle plongeait la lame du couteau dans les règles de l’économie capitaliste. Des centaines de milliards allaient quitter les systèmes assurantiels pour devenir l’affaire des assurés et non des grandes féodalités financières. « Les réformes accomplies sont acquises » s’était exclamé Croizat à l’Assemblée constituante.Dès l’éviction des ministres communistes en 1947, le pou-voir n’aura de cesse – à part l’intermède de 1981 avec la retraite à 60 ans – de saper cette construction sociale dans le cadre d’un paritarisme donnant le pouvoir au patronat.La meilleure preuve est celle d’un grand spécialiste patronal des assurances vie, Denis Kessler interpellant Nicolas Sarkozy en 2007 pour remettre en cause toutes les créations sociales depuis la libération jusqu’en 1952. Ces injonctions du patronat et des financiers, Emmanuel Macron en fait aujourd’hui son cheval de bataille. Croizat était dans la novation avec la classe ouvrière de son époque. Il balaierait aujourd’hui d’un revers de main la piteuse loi défendue par les suppôts français de fonds de pension américains et, nous dirait de créer une Sécurité Sociale avec plus de droits pour que les travailleurs puissent jouir non seulement de la retraite mais aussi de meilleures conditions de vie et de travail.Aujourd’hui, la CGT propose la mise en place d’une Sécurité Sociale professionnelle au sein d’un nouveau statut du travail salarié.