Interdiction du financement des organisations non gouvernementales soutenant l’avortement par les États-Unis, dépénalisation des violences domestiques en Russie, persistance des viols, de l’esclavage sexuel et des mariages forcés dans les zones de conflits, persistance des inégalités dans le monde du travail, « Marche pour la vie » du 22 janvier dernier à Paris : une nouvelle fois, la journée du 8 mars intervient dans un climat délétère.
Ses origines sont toutefois discutées, sans que les historiens n’aient pu clore définitivement le débat. En effet, l’absence d’acte de naissance indiscutable à cette journée internationale a ouvert la voie à la coexistence de plusieurs mémoires concurrentes.
Le 8 mars, une journée internationale de lutte
La première journée des femmes est organisée en 1909 aux États-Unis, par des femmes pour faire avancer leurs revendications d’égalité politique et économique au sein du parti socialiste.
Cet événement fut longtemps occulté par la seconde Conférence Internationale des femmes socialistes à Copenhague en 1910, durant laquelle Clara Zetkin, militante du parti communiste allemand, a soumis l’idée d’une journée internationale des femmes. Dès l’année suivante, plusieurs manifestations sont organisées, aux États-Unis, en Allemagne, en Autriche, en Suède.
Le 8 mars 1917, plusieurs cortèges de femmes défilent à Saint-Pétersbourg pour réclamer du pain et du travail. Rejoint par les ouvriers, les slogans prennent une tonalité plus politique, contre la guerre et contre l’autocratie, tandis que les soldats rechignent à intervenir.
La fièvre s’étend rapidement et le 15 mars, le tsar Nicolas II est contraint d’abdiquer.
Cette « journée des ouvrières » marque le point de départ de la Révolution russe de l’hiver 1917. En hommage, l’Internationale communiste décide en 1921 de faire de ce 8 mars la journée internationale pour les droits des femmes, initiative reprise par le mouvement communiste international, notamment après 1945.
Dans les années cinquante, une nouvelle version voit le jour, fixant l’acte fondateur de cette journée à une manifestation des ouvrières de l’habillement à New-York, le 8 mars 1857. Durant plusieurs décennies, ce récit isola les origines communistes de cette journée, avant que plusieurs historiens ne démontrent l’absence de preuves historiques de l’existence de cet événement.
Dépasser l’institutionnalisation
Reconnue, non sans oppositions, journée mondiale par l’ONU en 1977, la journée internationale des femmes est officiellement instaurée en France par François Mitterrand en 1982.
Depuis, on observe une récupération institutionnelle, l’occasion pour le gouvernement d’annoncer quelques mesures en faveur des femmes et une médiatisation inégale qui n’échappe pas au « politiquement correct » et aux stéréotypes sexistes.
Patrimoine des forces progressistes, cette journée ne doit pas être une « fête des mères » bis ou une occasion de se donner bonne conscience, une fois l’an.
Cette journée doit au contraire être une occasion de contrecarrer les forces conservatrices actuellement à l’œuvre, en favorisant une réappropriation large des revendications des femmes pour leur émancipation. À nous de nous en saisir !
Pour aller plus loin
« Femmes et médias. Le 8 mars à la ‘une’. Une comparaison internationale », Sciences de la société, n° 70, 2007.
« Le 8 mars, Journée internationale des femmes (Historique de l’initiative) », Cahiers de l’IHS CGT, février 1983, n° 5, pp.30-31.
Stéphanie Arc, « Journée des femmes : la véritable histoire du 8 mars », CNRS. Le Journal, mars 2014. En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/articles/journee-des-femmes-la-veritable-histoire-du-8-mars.
Simone Bonnafous, « Les déclarations de Journée internationale des femmes, entre récit, occultation et performativité », Communication, Vol. 24/2 | 2006, En ligne : http://communication.revues.org/3373.
Sylvie Chaperon, « Qui a inventé la Journée de la femme? », L’Histoire, n° 252, mars 2001.
Renée Côté, La journée internationale des femmes, Québec, Éditions du remue-ménage, 1984.
Marlène Coulomb-Gully, « Aux ‘unes’, citoyennes ! Introduction à une comparaison internationale de la médiatisation du 8 mars », Sciences de la société n° 70, février 2007. En ligne : http://sds.iut-tlse3.fr/70/1.html#1.
Marlène Coulomb-Gully, « La Journée internationale des femmes à la télévision française : 1982-2002 », Communication, Vol. 24/2 | 2006. En ligne : http://communication.revues.org/3358.
Marlène Coulomb-Gully, « ‘La séquence des téléspectatrices’ », Questions de communication, 10 | 2006. En ligne : http://questionsdecommunication.revues.org/7719.
Liliane Kandel, Françoise Picq, « Le mythe des origines, à propos de la journée internationale des femmes », La Revue d’En face, n° 12, automne 1982. En ligne : http://www.archivesdufeminisme.fr/ressources-en-ligne/articles-et-comptes-rendus/articles-historiques/kandel-l-journee-des-femmes-le-mythe-des-origines/
Françoise Picq, « Journée internationale des femmes : à la poursuite d’un mythe », Travail, genre et sociétés, mars 2000, n° 3, pp. 161-168. En ligne : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2000-1-page-161.htm.
Madeleine Rebérioux, « Aux origines de la journée du 8 mars », Hommes et Libertés, n° 3, 1984, p. 13-16.