À l’heure où les négociations avec l’UIMM sur la refonte du dispositif conventionnel entrent sont en cours, il n’est pas inutile de revenir sur le sens que notre fédération et les précédentes générations militantes ont donné à la revendication de convention collective nationale (CCN), d’un statut identique pour tous les métallos.
Mais avant de rappeler brièvement les différentes étapes de cette longue bataille, il faut en rappeler les enjeux politiques et idéologiques :
1/ En posant cette exigence, la fédération défend une posture offensive, en opposition aux politiques d’austérité et de démantèlement des garanties collectives et individuelles voulus par le patronat et les gouvernements successifs. En cela, elle défend un autre projet de société, avec l’humain et la satisfaction de ses besoins économiques, sociaux et culturels pour cœur.
2/ En proposant un statut unique pour tous les métallos, quel que soient le lieu géographique, la branche industrielle, la catégorie (de l’ouvrier à l’ingénieur), la place dans la production (société-mère, sous-traitance, intérim), la CCN doit renforcer les liens de solidarité, la « conscience de classe » comme le disait Marx, et ainsi lutter contre la division voulue par le patronat.
3/ En incitant les syndicats, les USTM à imposer tout ou partie du contenu du projet fédéral de CCN dans les accords d’entreprise et de territoire, elle est un moyen de sortir du repli, du chacun pour soi, pour unifier les luttes et aller vers de larges mobilisations permettant de faire céder le patronat, tant sur les revendications particulières que générales.
4/ Enfin, en accordant une place essentielle à la grille unique des salaires et des qualifications, on s’attaque à la question fondamentale de la répartition de la valeur ajoutée, entre la rémunération du travail et les profits.
Une histoire en quatre étapes
Le Front populaire. L’importance du mouvement de grèves et d’occupations des entreprises durant les mois de mai-juin 1936 et l’explosion des effectifs syndiqués contraignent le patronat à discuter et à signer des conventions collectives locales et régionales, sous le régime de la loi du 24 juin 1936. La résistance de l’UIMM est toutefois considérable et il faut attendre le début de l’année 1938 pour que l’ensemble du territoire soit couvert par 180 conventions collectives.
Dès le printemps 1937, la direction fédérale prend conscience de l’importance des écarts, notamment salariaux, entre les accords signés. Décision est alors prise de rédiger un projet de CCN qui est remis à l’UIMM en novembre 1937. Non seulement celle-ci refuse d’en discuter le contenu, mais elle en rejette également le principe ! La dégradation du climat politique et social au second semestre 1938, suivie par la défaite et la mise en place du régime de Vichy, mettent un coup d’arrêt à cette revendication.
La Libération. Face à un patronat discrédité par son attitude face à l’occupant nazi et forte de son engagement dans la Résistance, la Fédération soutient activement la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance et avance son projet de CCN dès la fin de l’année 1946. Ce n’est qu’en avril 1947 que les négociations débutent, mais, après vingt-cinq rencontres, les débats sont toujours âpres. Le patronat oppose un refus systématique aux exigences fédérales. Jouant la montre, il finit par rompre les négociations en octobre 1947. L’échec des grèves de l’hiver 1947 et la scission de Force ouvrière enterrent l’espoir de faire aboutir rapidement cette revendication.
Durant les années cinquante, la fédération défend la signature de conventions collectives décentralisées, notamment régionales. Des avancées significatives sont obtenues, mais l’exigence de l’échelle mobile et de nouveaux minimas garantis est toujours repoussée par le patronat.
Les années 68. Un tournant intervient au début des années soixante. Décision est prise en effet d’avancer plusieurs projets de conventions collectives nationales de branche. Consciente de la montée des luttes, elle passe à l’offensive en réclamant, conjointement avec les autres organisations syndicales, l’ouverture de négociations.
L’importance des grèves de mai-juin 1968 est telle que le patronat est contraint de reculer. Le 27 mai, le bureau fédéral obtient ainsi l’ouverture de négociations. Mais de nouveau l’intransigeance patronale conduit à la rupture des discussions. Celles-ci ne reprennent qu’en septembre et la fédération défend le projet d’un accord-cadre national contenant les garanties de base. Plusieurs accords nationaux sont finalement signés à partir de décembre 1968, notamment sur le temps de travail, l’emploi, la mensualisation ou encore les classifications.
Tirant les leçons du mouvement de mai, le congrès fédéral de 1971 engage une grande bataille pour l’obtention de la CCN, en insistant sur l’enjeu des salaires, des qualifications et des classifications.
De 1981 à nos jours. L’arrivée de la gauche au pouvoir et l’approfondissement de la crise économique semblent avoir raison – un temps – du mot d’ordre de CCN. Les nationalisations et les acquis des lois Auroux, notamment sur le droit syndical dans les entreprises, sont davantage mis en avant.
Il faut attendre le congrès fédéral de 1997, pour que se relance la réflexion sur le projet de CCN. Amélioré à l’occasion du congrès fédéral de 2000, ce projet est distribué à plus de 30 000 syndiqués sou la forme de fiche de consultation. Près de 4 000 firent part de leurs remarques et contribuèrent à l’améliorer. Une nouvelle proposition est rédigée en 2006, avant la parution, en septembre 2011, d’un livret fédéral reprenant et développant, de manière thématique, plusieurs axes revendicatifs.
Dernière étape de cette longue bataille, le congrès fédéral de 2014 a décidé de ne pas abandonner cette revendication et de poursuivre la campagne d’informations et de mobilisations qui est actuellement en cours.
En conclusion
Cette longue bataille ne doit pas nous inciter au pessimisme. Même si l’objectif n’a pas été atteint dans son intégralité, cette lutte a permis d’obtenir des avancées significatives sur les salaires et les qualifications, le droit syndical, les conditions de travail.
Au contraire, elle doit nous conforter dans notre détermination et dans notre conviction qu’il s’agit là d’un élément essentiel de notre programme revendicatif, non d’une lubie de juristes ou d’anciens combattants !
Il est primordial de gagner les syndiqués et les salariés à cette revendication, en leur faisant saisir que la CCN n’est pas une chose abstraite mais qu’elle est un facteur d’unité essentiel, pour ne pas dire vital, dans une période marquée par un déferlement d’attaques contre nos droits : lois Macron, Rebsamen ou encore NOTRe, rapport Combrexelle, etc.
Le facteur déterminant reste le rapport de forces. Nous savons tous que les négociations à froid, sur l’ordre du jour patronal, ne donne en général rien de bon ! Ainsi le rappelait Henri Barreau, dans son ouvrage L’Histoire inachevée de la convention collective nationale, « la convention collective est un enfant de la lutte » !
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire la brochure « Un Statut pour tous les métallos » !
Chronologie indicative
25 mars 1919. La loi donne un statut légal aux conventions collectives. Mais la portée de cette loi est limitée, car le patronat peut renier sa signature et la convention collective ne s’applique pas aux non-signataires.
24 mai 1919. Accord national sur les huit heures hebdomadaires dans la métallurgie.
12 juin 1936. Convention collective de la métallurgie parisienne.
24 juin 1936. La loi permet au gouvernement de rendre obligatoire, par arrêté d’extension, l’application de la convention collective aux entreprises non adhérentes.
23 décembre 1946. La loi autorise de nouveau la négociation collective, en excluant la question des salaires et en imposant l’agrément ministériel avant l’entrée en application.
11 février 1950. La loi rétablit la libre négociation des salaires et des conditions de travail et la procédure d’extension, met en place le salaire minimum interprofessionnel et reconnait l’existence des accords d’entreprise.
11 juillet 1954. Convention collective de la métallurgie parisienne.
31 mars 1966. Arrêté reconnaissant cinq organisations syndicales représentatives au plan national. Les syndicats qui y sont affiliés bénéficient d’une présomption irréfragable de représentativité.
5 juin 1970. Convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie.
30 juin 1971. La loi aligne le régime des accords d’entreprise sur celui des accords de branche, en étendant l’objet des conventions collectives aux « garanties sociales » et en facilitant les procédures d’extension.
13 mars 1972. Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
15 janvier 1981. Convention collective nationale du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle.
13 novembre 1982. La loi Auroux introduit une obligation de négocier aux niveaux de la branche et de l’entreprise dans certains domaines et ouvre la voie aux accords dérogatoires.
21 janvier 1986. Convention collective nationale de l’aéraulique.
20 novembre 2001. Convention collective nationale de la sidérurgie.