Notre fédération n’est pas la seule à commémorer son cent-dixième anniversaire, puisque l’année 1909 fut aussi celle du lancement de La Vie ouvrière. Ce rapprochement n’est d’ailleurs pas uniquement de circonstance, dans la mesure où les métallurgistes et plus particulièrement l’un d’entre eux, ont joué un rôle important dans l’histoire de l’une des plus anciennes parutions du mouvement ouvrier, honneur qu’elle partage avec le quotidien L’Humanité, fondé par Jean Jaurès le 18 avril 1904.
Une nouvelle publication syndicale
Au petit matin du 9 octobre 1909, un nouveau journal sort de l’Imprimerie coopérative ouvrière installée au 26 de ce qui devint la rue Jules-Guesde à Villeneuve-Saint-Georges. Baptisée La Vie ouvrière, la nouvelle revue bimensuelle est envoyée à 5 000 futurs abonnés. Animée par Pierre Monatte, ancien anarchiste, membre du comité confédéral de la CGT depuis 1904, elle réunit plusieurs figures du syndicalisme, comme Victor Griffuelhes, ancien secrétaire général de la CGT de 1901 à 1908 ; Georges Yvetot, de la section des Bourses du travail ; Charles Delzant de la Fédération du Verre ; Georges Dumoulin de la Fédération des Mineurs ; Jules Lapierre de l’Union des syndicats de Seine-et-Oise ou encore Alphonse Merrheim, secrétaire général de la toute jeune Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie.
« Assez curieuse année que 1909 » se remémore Pierre Monatte dans une série d’articles parus dans La Révolution Prolétarienne au tournant des années 1959-1960. Le mouvement ouvrier, écrasé après la Commune de Paris, s’est relevé non sans difficultés. Il est confronté à un pouvoir qui oscille entre une répression violente et systématique, comme à l’occasion des événements de Draveil-Vigneux (1907-1908) et une politique de séduction et de corruption des militants ouvriers, incarnée par deux anciens socialistes ayant retourné leur veste, Aristide Briand et Alexandre Millerand. La Confédération Générale du Travail, née en 1895, est alors la seule organisation syndicale nationale et interprofessionnelle. Elle est dominée par un courant, le « syndicalisme révolutionnaire », qui affirme le caractère de classe et l’indépendance de la CGT et se fixe comme objectifs « la lutte pour la disparition du salariat et du patronat, sans négliger pour autant la nécessité de l’action quotidienne contre les empiètements des exploiteurs. » La grève générale du 1er mai 1906, pour la journée de huit heures, fut l’occasion de révéler, aux yeux de tous, la combativité des travailleurs, même si la revendication n’aboutit pas dans l’immédiat.
Les possibilités d’un essor du syndicalisme, en ces premières années du XXe siècle sont bien réelles, mais pour l’heure, celui-ci est englué par des déchirements internes, que nous avons pu évoquer à l’occasion du débat précédant le Repas des anciens en début d’année. N’hésitez donc pas à vous (re)plonger dans le compte-rendu disponible en ligne sur le site de la Fédération (https://ftm-cgt.fr/display-document?document=Document-1127).
Une revue d’action
La Vie ouvrière se veut être « une revue d’action », « un foyer de coopération intellectuelle syndicale », afin de former les militants et de donner au courant syndicaliste-révolutionnaire, qui domine alors la CGT, une plus grande cohérence idéologique.
Son contenu avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale reflète ce vœu. C’est ainsi qu’une très large place est accordée aux monographies de grèves en France comme à l’étranger, pour décortiquer, analyser, caractériser le déroulement des grèves, afin d’en tirer des enseignements pour les luttes à venir. Soudeurs bretons, maçons parisiens, boulangers de Saint-Nazaire, tisseurs de Lille, mais encore grève générale en Suède ou à Philadelphie ont ainsi les honneurs des pages de La Vie ouvrière. Des études très détaillées sont également réalisées sur les maladies professionnelles, les conditions de vie et de logement des travailleurs, comme celles des enfants des verreries, des sidérurgistes de Meurthe-et-Moselle ou encore des ouvriers boulangers. Son contenu s’attarde aussi sur la justification des grandes revendications de la CGT, et notamment sur les retraites ouvrières ou sur les tentatives d’association capital-travail. Enfin, La Vie ouvrière ouvre ses colonnes aux analyses économiques et fait preuve de clairvoyance sur des sujets comme la concentration du capital, les dangers du taylorisme ou encore sur les menaces de la guerre.
Alphonse Merrheim, une plume de la VO
Alphonse Merrheim est né dans une famille ouvrière de La Madeleine (Nord) le 7 mai 1871, alors que la Commune de Paris battait son plein. Chaudronnier de formation, il œuvra à la reconstitution de son syndicat dont il assuma les fonctions de secrétaire de 1893 à 1904. Un an plus tôt, la Fédération du cuivre, à laquelle il appartenait, intégra l’Union fédérale des ouvriers métallurgistes et Alexandre Bourchet, secrétaire général de la première devint secrétaire de la seconde. Ce dernier démissionna en 1904 et ce fut Merrheim qui reprit cette tâche, non sans hésitations.
On lui confia rapidement la gestion de grèves particulièrement dures : Cluses (1904), Longwy (1905), Hennebont (1906) ou encore celles du Nord (1907). De ces expériences, il tira de solides monographies publiées par Le Mouvement socialiste ainsi que des enseignements sur la puissance du patronat métallurgique et sur la nécessité pour les travailleurs de s’organiser en fédérations d’industrie.
Il entama, avec le journaliste Francis Delaisi, un travail d’analyse approfondi sur le patronat et sur les structures économiques de la métallurgie, dans les domaines de la technique et de l’économie politique. À l’instar de Fernand Pelloutier avant lui, il était persuadé de l’importance de la formation des militants dans ces domaines. Selon lui, les travailleurs ont besoin d’un patient travail d’organisation syndicale et d’éducation avant de pouvoir espérer renverser la société capitaliste.
Il a ainsi publié en 1908 une étude sur le Comité des Forges, puis une série d’articles intitulée « L’organisation patronale en France » parue dans Le Mouvement socialiste entre 1908 et 1909 et surtout, en 1913, une vaste étude intitulée La Métallurgie, son origine et son développement. Les forces motrices, dans laquelle il analyse la concentration des entreprises, la multiplication des trusts et des cartels et l’essor de la taylorisation. Conscient de la faiblesse du syndicalisme de métiers face au tout-puissant patronat métallurgique, il joua également un rôle central dans la mise en place en 1909 de la Fédération des ouvriers sur métaux regroupant l’ensemble des métiers. Celle-ci comprenait l’Union fédérale des ouvriers métallurgistes, la Fédération des modeleurs, celle des mouleurs et celle des chauffeurs-conducteurs. Elles furent rejointes en 1911 par la Fédération des mécaniciens et enfin par celle des ferblantiers l’année suivante.
Sa participation à la création de La Vie ouvrière dirigé par son ami Pierre Monatte en 1909 relève également de cette préoccupation de former les militants. Il y collabora à de nombreuses reprises, comme en témoigne la liste ci-contre.
Pour plus d’éléments sur le parcours ultérieur d’Alphonse Merrheim, n’hésitez pas à consulter sa biographie disponible en ligne sur le site internet de la Fédération (https://ftm-cgt.fr/1451-2/).
« L’accaparement de la houille blanche », n° 1, 5 octobre 1909, p. 43-60.
« Les soudeurs bretons », n° 3, 4 novembre 1909, p. 141-160.
« L’escroquerie des retraites ouvrières », n° 7, 5 janvier 1910, p. 1-15.
« L’affaire de l’Ouenza », n° 9-10, 5 et 20 février 1910, p. 129-150.
« L’affaire de l’Ouenza », n° 11, 5 mars 1910, p. 287-307.
« L’affaire de l’Ouenza », n° 12, 20 mars 1910, p. 346-363.
« La suppression des économats et la Meurthe-et-Moselle », n° 13, 5 avril 1910, p. 408-419.
« La suppression des économats et la Meurthe-et-Moselle », n° 14, 20 avril 1910, p. 508-509.
« La suppression des économats et la Meurthe-et-Moselle », n° 19, 5 juillet 1910, p. 48-52.
« Les serfs de Meurthe-et-Moselle », n° 22, 20 août 1910, p. 193-211.
« Les serfs de Meurthe-et-Moselle », n° 23, 5 septembre 1910, p. 271-289.
« L’approche de la guerre », n° 31, 5 janvier 1911, p. 1-17.
« L’approche de la guerre », n° 32, 20 janvier 1911, p. 101-113.
« L’approche de la guerre », n° 33, 5 février 1911, p. 129-141.
« L’approche de la guerre », n° 34, 20 février 1911, p. 242-248.
« Compagnies minières et sociétés métallurgiques », n° 37, 5 avril 1911, p. 388-397.
« La conférence internationale de l’acier », n° 45, 5 août 1911, p. 129-143.
« La conférence internationale de l’acier », n° 46-47, 20 août-5 septembre 1911, p. 288-306.
« Les mineurs se lèveront-ils ? », n° 58, 20 février 1912, p. 241-277.
« La journée de huit heures dans les usines à feu continu », n° 75, 5 novembre 1912, p. 178-190.
« Le congrès confédéral contre la guerre », n° 76, 20 novembre 1912, p. 285-289.
« La méthode Taylor », n° 82, 20 février 1913, p. 210-226.
« La méthode Taylor », n° 83, 5 mars 1913, p. 298-309.
« La méthode Taylor. Une discussion », n° 108, 20 mars 1914, p. 345-362.
« La méthode Taylor. Une discussion », n° 109-110, 5-20 avril 1914, p. 385-398.
Jules Raveté, « Une discussion sur le système Taylor. Brèves observations pour Merrheim », n° 116, 20 juillet 1914, p. 103-111.
« Une discussion sur le système Taylor. Une réponse de Merrheim », n° 116, 20 juillet 1914, p. 103-111.