Visite médicale de mi et fin de carrière

Conséquences des lois « travail » et « Lecocq », deux visites médicales ont été rajoutées au code du travail. Le point de vue d’Alain Carré, médecin du travail retraité, responsable d’une consultation de suivi post-professionnel des agents des Industries électriques et gazières.

 Deux visites médicales du médecin du travail ont été ajoutées dans le Code du travail : la visite de mi carrière et la visite de fin de carrière. Ont-elles le même objectif ?

Elles n’ont pas le même but. La visite de mi carrière a pour objet de « prévenir la désinsertion professionnelle » alors que la visite de fin de carrière est destinée à récapituler tous les risques rencontrés au cours de la carrière du salarié. En réalité, elles répondent toutes deux à des logiques managériales différentes.

Dans cette perspective que pensez-vous de la visite de mi carrière?

Prévenir la Désinsertion Professionnelle (PDP), c’est avant tout repérer les salariés dont la capacité de travail serait diminuée .Dans le cas présent, par un dépistage reposant sur l’âge.

Le vocabulaire du management est à double sens. La PDP sert de « repérage » des travailleurs moins employables, voire inemployables, économiquement parlant. C’est aussi faire porter la responsabilité de l’inemployabilité sur la santé du salarié, alors que les études montrent que l’inaptitude au poste de travail est pour moitié due aux effets des conditions de travail. Considérant les politiques d’adaptation des postes de travail « à l’économie », la précarité des contrats de travail, la dureté des conditions de travail, la visite de mi-carrière risque d’être instrumentalisée en visite de sélection de la main d’œuvre. Or, aujourd’hui 72 % des inaptes au poste de travail sont licenciés.

En est-il de même pour la visite de fin de carrière ?

Non, son objectif affiché est positif. L’employeur doit adresser au médecin du travail, au moment du départ en retraite, les salariés bénéficiant d’une surveillance médicale renforcée. Le médecin du travail peut également convoquer celles et ceux qu’il estime avoir été soumis à des risques et le salarié lui-même peut demander la visite s’il l’estime nécessaire.

Selon l’article L4161-1 du Code du travail, « tous les risques non seulement chimiques, mais aussi physiques et de rythmes » (dont la manutention manuelle de charges lourdes, les vibrations mécaniques, le bruit, le travail de nuit et les gestes répétitifs), doivent être récapitulés par le médecin du travail. Ce dernier remet une attestation en recommandant la surveillance nécessaire pour repérer, le plus tôt possible, les effets de ces risques et les soigner avec une efficacité maximale. Il peut même faire un courrier au médecin traitant pour l’en informer.

Voilà par conséquent une décision positive ?

En théorie : oui. Seulement, entre la théorie et la pratique, il y a souvent un gouffre… Ce dispositif existe déjà !

Selon l’article D 461-25 du Code de la Sécurité sociale, la « surveillance post-professionnelle est accordée par l’organisme mentionné à l’alinéa précédent sur production par l’intéressé d’une attestation d’exposition remplie par l’employeur et le médecin du travail » pour permettre le dépistage précoce des personnes atteintes d’un cancer. Ces attestations ne sont presque jamais remises. Et pour cause, il y a pour le moins une frilosité à attester…

Pourquoi cela changerait-il ? Pour le médecin du travail, attester est devenu une mission impossible. Les conséquences des lois « travail » et « Lecocq » (issue directement de l’ANI) sont dévastatrices : précarité des emplois, effectifs à surveiller, espacement et sous-traitance des visites médicales, suppression de l’aide des spécialistes du service de santé au travail. Tous les moyens ont été siphonnés. A cela s’ajoutent les plaintes des employeurs au Conseil de l’Ordre des Médecins. En ne pouvant pas attester, les médecins du travail deviennent de parfaits fusibles en responsabilité.

Cerise sur le gâteau, les obligations des employeurs d’attester des expositions individuelles ont progressivement été supprimées depuis 2012. Le bruit court que l’article D 461-25 du Code de la Sécurité sociale qui porte sur les cancérogènes, certifierait que la dernière attestation de l’employeur serait bientôt abrogée !

Que conseillez-vous pour contourner les difficultés d’attestation ?

Confrontés à ce sabotage de la traçabilité individuelle, il faut considérer que ceux qui connaissent le mieux le travail sont les travailleurs eux-mêmes. La disparition des CHSCT est un obstacle mais c’est au CSE de s’emparer de ces questions et de dresser poste par poste le constat des expositions professionnelles et de le rendre public pour assurer les droits des travailleurs.

Propos recueillis par Serge Journoud, conseiller fédéral

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