Un Réseau Social d’Entreprise (RSE ou ESN, Enterprise Social Network en anglais) est officiellement « un groupe constitué de personnes physiques et morales réunies par un dispositif de réseautage social, au sein d’un organisme ». En raccourci, c’est un Facebook privé, mis en place et géré par la direction de l’entreprise. Un RSE a été mis en ligne récemment chez Renault Retail Group. « C’est en lisant un document envoyé avec la fiche de paie, avec un code pour se connecter, qu’en octobre dernier on a découvert ce nouveau réseau » nous explique Denis, salarié d’une concession. Ce RSE est vendu par la maison mère Facebook, son nom : Workplace. Il existe déjà de nombreux vendeurs de RSE sur le marché. C’est loin d’être un gadget gratuit. Dans l’exemple précédent, c’est approximativement 2 euros par mois et par utilisateur, soit un cout annuel estimé de 120 000 €. Si l’investissement est d’actualité, c’est qu’il rapporte. Quoi et combien ? Pour mieux le cerner, analysons ensemble les bénéfices patronaux. On constate que le modus operandi du lancement de ce genre de réseau suit le plus souvent les mêmes phases. Décortiquons ici le discours de la direction.

Selon leur gestionnaire, la raison d’être, à terme, d’un RSE (outil de management qui ne dit surtout pas son nom) est constituée de quatre composantes :
1. Diffuser le savoir, de manière transverse, en cassant les silos de l’organisation hiérarchique. C’est-à-dire faire travailler les équipes de façon transversale, sans le dire vraiment, par le truchement d’un canal attractif et coutumier.
2. Fédérer des experts d’un sujet précis, ou des professionnels ou extra-professionnels ayant un centre d’intérêt commun. C’est-à-dire utiliser le réseau social pour fédérer les énergies, les compétences et capitaliser l’information. Ou encore récupérer un maximum de bonnes idées qui pourraient rapporter, tout ceci grâce à l’intelligence collective.
3. Favoriser la mise en relation entre les « collaborateurs », quels que soient leurs métiers. C’est-à-dire se donner l’opportunité de mieux connaitre et contrôler les échanges entre les salariés, sous prétexte de partage social. « Big Brother is watching you ». C’est une forme insidieuse d’espionnage, qui pourrait être déguisée en gentil père noël social, doté d’une hotte gavée de fausses bonnes intentions patronales. Attention à l’effet confessionnal toxique, on est sur un réseau social administré à 100% par l’employeur. Une publication peut se retourner contre son auteur.
4. Capitaliser sur les échanges informels. Un comble : les entreprises qui prônent la mise en œuvre des procédures et des outils certifiés, où tout est formalisme strict, se rendent compte désormais d’une limite opérationnelle de ce système : la bonne gestion des changements rapides du business. Pour Oracle Systems par exemple, la plate-forme adéquate pour exploiter les données sociales permet à l’entreprise d’avoir la visibilité nécessaire pour effectuer les dits changements à la volée, permettant d’acquérir un avantage concurrentiel considérable. Une veille quasi bénévole, technologique, marketing et sociale assurée par les salariés, pourvus qu’ils soient maintenus sous tension et zélés.

Sur le blog RSE d’un grand compte, on peut lire ces propos d’un consultant du centre de compétences relation client : « Le RSE va dans le sens de l’histoire ! Sur un RSE, vous n’avez donc a priori aucune raison de vous inquiéter pour votre sécurité ou le respect de votre vie privée. Alors, par curiosité, essayez l’ouverture, vous pourriez être agréablement surpris ! Le 19e siècle a vu les murailles des villes tomber, le 20e siècle a vu les frontières des pays s’effacer. À l’ère du Big Data et l’Open Data, je suis intimement convaincu que l’information n’a également plus de raison de faire l’objet de rétention… ». Un discours qui ressemble à un dangereux écran de fumée patronale. Gardons à l’esprit que des publications sur Facebook, réseau social public, ont déjà occasionné des licenciements pour faute. Un RSE présente donc potentiellement un risque décuplé. C’est un outil favorisant la conception que les salariés sont plus des membres de la famille entreprise que des citoyens, favorisant les intérêts privés de l’entreprise aux dépens de la réponse aux besoins de la société.