Les premières sections syndicales de retraités voient le jour au sein de la Fédération des travailleurs de la métallurgie au début des années soixante, c’est-à-dire avant l’organisation des structures à l’échelon fédéral, avec l’apparition de la commission fédérale des retraités en 1972 puis la création de l’Union fédérale des retraités (UFR) en mars 1975. Les pionnières sont La Ciotat (1961), Maubeuge (1962), Hispano-Suiza à Bois-Colombes (1963) ou encore à Renault Le Mans en 1965.
Le syndicalisme retraité est, plus encore que celui des actifs, un champ encore largement inexploré. Il est proposé, sur la base des publications de l’UFR – Le Retraité de la métallurgie (1972-1983), puis Activité UFR (1983 à 2017) – et des (trop rares) archives syndicales de retracer quelques lignes de l’histoire de la section syndicale des retraités et préretraités Renault Le Mans.
Des effectifs stables
Cette dernière voit ses effectifs s’accroître rapidement, selon les chiffres annoncés par Le Retraité de la métallurgie, passant de 25 syndiqués à sa création à 50 l’année suivante, puis 101 en 1967, 156 en 1968, 210 en 1969, 247 en 1970, 270 en 1971, 305 en 1972, 328 en 1973 auxquels s’ajoutent 71 préretraités. Le pic est atteint au milieu des années quatre-vingts, avec 489 adhérents en 1984. L’effectif se stabilise par la suite entre 350 et 420 adhérents depuis le début des années 1990, avec une légère embellie au tournant des années 2000. Dans sa composition, on peut noter la place croissante prise par les femmes, dans un univers industriel très fortement masculin. La section syndicale compte ainsi une soixantaine d’adhérentes depuis une dizaine d’années.
Ses effectifs lui permettent de rayonner au-delà du groupe Renault, dans la mesure où plusieurs de ses militants disposent de mandats à l’Union fédérale des retraités de la métallurgie, à l’Union syndicale des retraités de la Sarthe ou encore à l’Union départementale de la Sarthe.
Son fonctionnement est assuré par une assemblée générale annuelle de la section qui réunit à coup sûr entre 100 et 200 personnes depuis une vingtaine d’années. Une commission exécutive, une commission financière de contrôle, un bureau et un secrétariat se chargent de mettre en œuvre l’activité quotidienne, en liaison permanente avec les actifs regroupés dans le syndicat Renault Le Mans. À cela s’ajoutent des commissions de travail, celle diffusion de la presse, diffusion des tracts ou encore celle dédiée aux loisirs et à l’animation par exemple.
L’activité spécifique, c’est quoi ?
La réponse, donnée par Joseph Carmagnolle, membre du bureau national de l’UFR en novembre 1983, est simple. Il s’agit de « combiner, dans la mesure du possible, l’action revendicative et sociale aux activités de loisirs. Pour cela, il revient d’imaginer, d’innover constamment pour trouver la forme et la manière en vue de rassembler nos adhérents ensemble ou par groupe sur des sujets précis, au travers de multiples initiatives et activités de loisirs, culturelles, sportives ou autres, sans oublier d’inviter largement les anciens travailleurs intéressés. Le renforcement toujours présent à l’esprit. ».
La section syndicale, au travers de sa commission des loisirs et de l’animation, applique cette recette, en proposant de nombreuses activités culturelles et sportives. Un à deux banquets, suivis d’un bal sont ainsi organisés chaque année, ainsi qu’un repas de Noël ou encore des concours de pétanques, de cartes ou de pêche. La randonnée pédestre est particulièrement à l’honneur, notamment le rendez-vous annuel d’une semaine au camping de Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique), à l’occasion des grandes marées. Des escapades touristiques, d’une à dix journées sont également proposées chaque année à Champéry (Suisse) en 1966, 1967 et 1968, au chalet du comité d’entreprise à Valloire (Savoie) en 1970, en Alsace en 1967, en 1970 puis en 1972 ou plus récemment en Corse (2003) ou en Egypte (2012).
Se détendre n’excluant pas de s’informer, la section est à l’initiative de plusieurs soirées culturelles, avec par exemple une conférence-débat en 2012, en présence d’Annie Lacroix-Riz, contre la tentative de réhabilitation de Louis Renault ou la projection du film Les Jours Heureux au cinéma Le Royal en 2013.
Un outil pour la lutte
Se détendre, se divertir, se cultiver est essentiel, mais l’activité revendicative n’est bien évidemment pas oublié. Il serait long ici de retracer l’intégralité des actions menées par la section syndicale en cinquante ans d’existence, tant pour la défense des intérêts matériels des retraités qu’en solidarité avec les salariés actifs, qu’ils soient de Renault Le Mans ou d’ailleurs. Diffusions de tracts devant l’usine et sur les lieux publics ; réunions d’information ; affichage ; manifestations et rassemblements au Mans, à Nantes, à Paris voire même à l’étranger ; signatures puis dépôt de pétitions auprès du patronat local et des collectivités territoriales ; envois de motions et de délégations aux élus et partis politiques sont autant de moyens mis en œuvre par la section pour dénoncer les attaques et rappeler les revendications portées par la CGT !
Tout de même, à la lecture des tracts et publications diffusés depuis le début des années 1990, on peut relever quelques luttes emblématiques menées par la section syndicale comme la participation à la bataille pour la défense de l’Association de la Structure Financière (ASF) qui a été mise en place en 1983 pour assurer le financement des retraites complémentaires à taux plein dans le cadre de l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans. Celle-ci a permis d’imposer à l’Etat de financer cette structure jusqu’en 2004, avant son remplacement par l’Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF). Une attention particulière est également portée sur le fonctionnement de la Caisse de retraite interentreprises (CRI) et de la mutuelle Renault. Autre exemple, l’action menée au tournant des années 2000 pour faire reconnaître l’établissement Renault Le Mans comme ayant eu recours à l’amiante dans certains secteurs. À cette occasion, une trentaine de dossiers ont été constitués par des retraités ou préretraités puis déposés auprès du ministère de la Santé. Cette action a été suivie par la création en mars 2007 de l’Association de défense des victimes de l’amiante Renault Le Mans 72 (ADVARM 72), membre de l’Andeva, l’association nationale de défense des victimes de l’amiante. La section syndicale n’oublie enfin pas la solidarité financière, avec l’organisation de collecte, avec le Secours populaire, en faveur des populations d’Asie du Sud en 2005 ou en faveur des grévistes de Renault Le Mans en 2010.
L’enjeu de la continuité syndicale
La continuité syndicale est un enjeu incontournable, au niveau fédéral comme pour la section syndicale. Parmi les salariés, « le degré d’exploitation, les conditions de travail, l’exaspération consécutive à l’état de division sournoisement organisé par la direction, l’individualisme érigé en panacée moderniste » sont autant de raisons de vouloir quitter au plus vite l’entreprise, parfois même « sans trop s’interroger sur les conséquences financières qui en découleront sur le montant de leurs droits ». Mais quitter l’entreprise ne doit pas se traduire par un abandon de toute forme d’organisation ou de rassemblement. La section syndicale a donc multiplié les initiatives tout au long de ces cinquante années d’existence pour garantir cette continuité syndicale.
Une permanence hebdomadaire est assurée pour que chacun puisse connaître ses droits et constituer ses dossiers de retraite. L’accent est également mis sur l’information CGT. Décision a ainsi été prise d’abonner chaque syndiqué à Vie Nouvelle, le mensuel de l’Union confédérale des retraités CGT, et de doter la section en 1988 d’une parution intitulée L’Ancien de Renault, un trimestriel de quatre pages. Celui-ci est remplacé à partir du milieu des années 1990 par le Journal des retraités et préretraités CGT Renault Le Mans, avant que le relai ne soit pris en 2011 par Le Lien. Bulletin des syndiqués qui relient les actifs et les retraités CGT Renault Le Mans.
La poursuite de l’engagement syndical lors du passage en retraite est également facilitée par la création, en 1988, d’une commission de visite à domicile, pour aider les adhérents à régler leurs problèmes administratifs, par l’envoi systématique à tous les salariés syndiqués partant en préretraite des tracts de la section syndicale et des lettres personnalisées leur rappelant l’intérêt de rester syndiqué ou encore la décision prise en 2001, en accord avec le syndicat des actifs, de maintenir le prélèvement automatique des cotisations et d’envoyer un courrier indiquant que les « jeunes » retraités sont désormais rattachés à la section syndicale des retraités, et en leur indiquant la baisse du montant de leur cotisation et leur abonnement à Vie Nouvelle. Autre initiative, un collectif a été mis sur pied en 2014 pour assurer un suivi plus personnalisé des syndiqués les plus âgés et pour assurer le recensement, en lien avec l’Union départementale, des retraités syndiqués isolés de la métallurgie.
En guise de conclusion, nul doute que ce bref tour d’horizon sur l’histoire de la section syndicale des retraités et préretraités de Renault Le Mans mériterait de plus amples investigations. Mais il témoigne malgré tout de l’importance de s’organiser, car on n’est jamais trop âgé pour défendre ses droits… et en gagner de nouveaux !