« En 2040, tous égaux dans le nouveau système de retraite », en mai dernier, le gouvernement Macron a ouvert, sous cet intitulé alléchant, son projet de réforme de notre système de retraite. Son ambition ? Créer « un système universel des retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quelque soit le moment où il a été versé, quelque soit le statut de celui qui a cotisé ».

Un détricotage méthodique…
Si le « projet n’est pas ficelé », à n’en pas douter, il se fera en cohérence avec le détricotage méthodique des avancées sociales portées par le Conseil National de la Résistance comme le promettait le numéro deux du syndicat patronal, Denis Kessler en 2007. La stratégie est toujours la même : organiser la dégradation des prestations jusqu’ici assurées par les services publics afin de jeter les usagers dans les bras des opérateurs privés. L’énergie, le service de l’emploi, le transport ferroviaire, la Poste et les télécommunications, en ont déjà fait les frais. L’éducation et la santé en prennent le chemin. Pour les retraites, le patronat n’a jamais digéré la mise en place du système universel par répartition. Et depuis, il n’a jamais cessé de vouloir le torpiller. Petit à petit, les règles ont été modifiées mais c’est l’argument du vieillissement de la population couplé à la course de la baisse des dépenses publiques, au début des années 90, que les réformes successives ont amplifié le mouvement (allongement de la durée de cotisation, recule de l’âge de départ, suppression de certains régimes spéciaux, …). La finalité de ses réformes n’était pas de « sauver le système », mais bien d’éviter l’augmentation de cotisations sociales et donc remettre en cause le partage de la richesse produite entre salaires et profits.

…du plus beau système au monde
Parce que « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie », le ministre des travailleurs et syndicaliste métallurgiste, Ambroise Croizat faisait voter les ordonnances d’octobre 1945 fondatrices de la Sécurité sociale, dont l’assurance-vieillesse constitue l’une des principales branches (avec la maladie, la famille et les accidents du travail). La philosophie du projet était de « vivre sans l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail, en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins ». Ainsi, les cotisations des actifs financent, la même année, les pensions des retraités. Ce principe de solidarité intergénérationnelle a permis progressivement d’améliorer la situation des seniors qui n’étaient plus tributaires du dévouement de leurs enfants ou de la charité. Aujourd’hui, nous avons l’un des plus beau système avec un taux de pauvreté chez les retraités, le plus faible au monde et avec un niveau de vie des retraités français similaire à celui du reste de la population.

Pourquoi une nouvelle réforme ?
« Le système actuel est viable même si il y a un très léger déficit » avouait le très libéral éditorialiste des Echos, Dominique Seux, lors d’un débat télévisé en mai dernier. Le problème, c’est qu’ « il ne serait pas équitable » ! Aussi, le Président et sa majorité vantent un nouveau système « plus simple », « plus égalitaire », « plus transparent »… Sous un vocabulaire plutôt consensuel, le projet Macron est pourtant d’une autre nature et d’une autre ampleur que les réformes précédentes initiées depuis 1993. Il n’ambitionne pas de revenir, de manière directe, sur les « paramètres » à partir desquels sont calculées les pensions (salaire de référence, durée d’assurance, âges pivot, indexations…) mais de changer l’ensemble du « système » lui-même. Il s’agirait de cheminer vers un « système universel », impliquant la généralisation de « règles communes », et de passer, pour les régimes de base et les régimes spéciaux, à un mécanisme en points.

Equité quand tu nous tiens
Pour vendre son projet, Macron promet plus « d’équité »…. Cet objectif, séduisant au premier abord, tend, de plus en plus, à remplacer l’« égalité » promue par la République. Ainsi, l’équité se serait l’égalité « juste » permettant de contenir les inégalités. Au contraire de l’égalité, qui elle vise à supprimer les inégalités ! L’égalité face à la retraite c’est que tous les travailleurs puissent bénéficier d’une retraite avec une pension permettant de vivre dignement. L’équité promise du système à points, vous renvoi, en fait, à un arbitrage personnel, dixit le haut commissaire chargé de la réforme, Jean Paul Delevoye. « J’ai assez de points, ma retraite me parait suffisante, donc je pars. A l’inverse, je n’ai pas assez de points, je reste. » Ce choix est profondément inégalitaire puisque les personnes les mieux payées avec un emploi stable tout au long de leur vie active auront les moyens de partir plus tôt. Et les autres ?

Tous les mêmes droits…
Ainsi, « 1 euro versé pour cotisation ouvrira droit aux mêmes droits, quels que soient votre secteur, votre catégorie ou votre statut ». Les mêmes droits, oui, mais lesquels ? Brandir de belles phrases consensuelles, c’est facile, quand on ne précise pas le contenu des droits comme le montant de la pension ou l’âge de départ entre autre. De plus, un euro cotisé dans un travail pénible a-t-il la même valeur que celui cotisé sur un poste moins exposé ? De même, un euro cotisé par un homme est-il comparable à un euro cotisé par une femme dont la carrière aura été interrompue par un ou des congés maternité ?

… pour une pension au rabais
Déjà, les réformes passées couplées aux accords successifs sur les complémentaires ont largement contribué à faire baisser le niveau de prestations. Demain ce sera pire ! Avec le système par points préconisé, le montant des pensions n’est plus du tout garanti. Avec ce système, un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points dont le total est converti en pension au moment du départ en retraite. Mais comment est garantie la valeur du point ? Qui décide de sa valeur ? Dans la réalité, « Le système par point […] ça permet de baisser, chaque année, la valeur des points et donc le niveau des retraites » confiait aux patrons, le candidat Fillon lors de primaire de la droite de la dernière présidentielle. La preuve avec les complémentaires pour les salariés du privé qui fonctionnent déjà par points. Le prix d’achat des points est fixé chaque année à un niveau permettant l’équilibre de la caisse de retraite, les prestations devant correspondre aux cotisations reçues. Mais comme le nombre de retraités augmentent plus rapidement que celui des actifs, et que le patronat refuse d’augmenter les cotisations, les pensions baissent. D’ailleurs, de 1990 à 2009, le taux de remplacement des pensions complémentaires, c’est-à-dire le rapport entre la pension et le salaire, a baissé de 30% dans chacun des régimes ARCCO et AGIRC.

Qui sera gagnant ?
Le projet de réforme permettrait de gommer les « inégalités invraisemblables » persistants avec les 42 régimes existants. « Les règles seront les mêmes pour tous les régimes. Ce sera la vraie fin des inégalités entre fonctionnaires et salariés du privé » promet Jean-Paul Delevoye. Bref, les fonctionnaires sont (encore) dans le collimateur. Mais si ils s’appuient sur les doutes et les divisions du monde du travail, opposant les générations et les professions, ne nous égarons pas, il n’y aura pas de gagnant. Bien au contraire. Tout le monde est perdant, même les salariés du privé ! D’ores et déjà, on peut s’interroger sur l’avenir des réserves amassées, via les cotisations de leurs affiliés, par certains régimes en prévision des jours difficiles pour un montant de 165 milliards d’euros dont près de 71 pour l’AGIRC-ARCCO. Avec la retraite à points, le montant des pensions serait calculé sur l’ensemble de la carrière. A défaut de connaître les paramètres (prix du point, …) nous avons fait une simulation sur la retraite Sécurité sociale, c’est-à-dire 43 annuités cotisées au lieu des 25 meilleures années aujourd’hui. Il n’y a qu’à s’appuyer sur le bilan du passage des 10 meilleures années aux 25 en 1993 pour se projeter (voir tableau ci contre). Et aucune catégorie salariale n’est épargnée. Les cadres devraient eux aussi, être pénalisés, notamment les cadres sup qui ne pourront plus cotiser dans le système commun (ni percevoir de pension) au-delà de 10 000€ bruts mensuels contre 26 000 aujourd’hui. Sans oublier les cadres (au sens de l’AGIRC, selon les entreprises à partir du coefficient 215 – III1) moins bien rémunérés qui sont déjà perdants avec la suppression de la GMP (garantie minimale de points).

Solidarité n’est pas charité
Enfin, pour se donner bonne conscience et faire passer les défenseurs du système par répartition pour des ringards, le haut commissaire affirme vouloir consolider les prestations de solidarité existantes actuellement (droits familiaux, majoration pour enfants, périodes de chômage ou d’invalidité, minima de pension ou pension de reversion). Le projet envisage de sortir du futur régime les prestations de solidarité (qui représentent 20% du volume des retraites actuellement, soit 60 milliards d’euros) pour les faire financer par l’impôt. Comment faire croire qu’on va faire mieux avec ce tour de passe-passe quand la seule obsession du gouvernement est de rétablir les comptes publics et réduire la dette en exigeant des français, mais pas « aux premiers de cordés » de « faire des efforts ». D’un côté les macronistes baisseraient les aides sociales pour prendre en charge de nouvelles ? Quand on voit la chasse qui est faite aux travailleurs sans emplois, on ose imaginer ce que pourrait advenir les prestations de solidarité si elles étaient financées demain directement par l’Etat via les impôts !

Le piège de la capitalisation
Si le mot n’est pas lâché, la programmation de la baisse générale des pensions devrait pousser les salariés à recourir aux compléments de retraites, c’est-à-dire à la capitalisation. L’enjeu financier est considérable : 300 milliards d’euros en 2017. Au moment même où le système par capitalisation est menacé de ruine, le projet de macron, comme celui de ces prédécesseurs, tente néanmoins subrepticement de nous y conduire. Avec la crise financière de 2008, le risque de se faire berner par un tel système aurait du s’éloigner. Si jouer sa retraite en bourse est un pari aléatoire, c’est également néfaste pour l’économie en générale. En effet, immobiliser des grandes masses d’argent sous forme de fonds de pension freine considérablement l’économie qui fonctionne par la circulation monétaire. Et lorsque ses fonds sont placés, ils n’ont pas vocation à stimuler l’économie. Au contraire, l’objectif est de rapporter un maximum de cash quitte à couler une entreprise.

Modernisons la répartition
C’est parce que le système de retraite par capitalisation ce n’est ni une solution individuelle, ni une solution économique viable qu’il faut garder le système par répartition à la française. D’autant que ce dernier, ne peut être en faillite contrairement aux fonds de pensions. Bien entendu, notre système actuel mérite d’être amélioré. C’est dans ce sens que la CGT propose de nouveaux droits comme le retour de l’âge légal de départ à 60 ans avec un minimum de 75% net de son salaire net de fin de carrière, faire converger dans une maison commune les différents régimes de retraites en maintenant les droits de chacun ou encore la prise en compte des années d’études. Pour financer ses propositions, la cgt porte la suppression des aides et des exonérations de cotisations des entreprises (Cela représente 200 milliards selon la cour des Comptes) ou encore d’assujettir à cotisations l’ensemble des rémunérations (intéressement ou participation par exemple) et de mettre à contribution les revenus financiers des entreprises, et l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Partageons le gâteau
Préserver le système de retraite français et l’améliorer est d’autant plus raisonnable que « Le déséquilibre annoncé par le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) pour le court-moyen terme est artificiel ; il provient de l’hypothèse de maintien du chômage à un haut niveau, de la pression sur les salaires, de la baisse de la masse salariale de la fonction publique » écrivaient les économistes atterrés (1). Outre le fait de prédire seulement l’austérité salariale comme avenir, les prévisions du COR anticipe la baisse des dépenses des retraites dans la création de richesse (PIB). Ainsi, alors que la France sera plus riche (dans tous les scénarios retenus par le COR) et comptera plus de retraités, la part de la richesse qui lui sera consacrée est appelée à baisser ! Il faut renverser cette logique de la course à la rentabilité. La création de richesses est bien le fruit du travail avant tout et doit davantage servir aux travailleurs actifs, retraités ou sans emplois qu’aux spéculateurs. Ainsi la future bataille contre ce projet de réforme doit s’inscrire dans un bras de fer plus large du monde du travail contre la spoliation des richesses par le capital.

 

1 / Retraites : le bel avenir est à portée de main. Contre les visions catastrophiques du COR ; Christophe Ramaux et Henri Sterdyniak, juillet 2017 ; www.atterres.org).