Alors que de Paris à Bruxelles, nos dirigeants et nos chefs d’entreprises ne jurent plus que par le « Numérique », il devient nécessaire de s’interroger sur ce que recouvre concrètement ce terme. Pour la CGT, cette filière s’étend de la maîtrise des composants (via la Recherche Fondamentale, la Recherche & Développement et la production en microélectronique/électronique) à l’applicatif (logiciels, systèmes d’exploitation, réseaux…). Ne considérer que la partie avale de cette filière, revient à construire un château-fort sur du sable.

Créer une filière à l’échelle européenne
Mettre en avant, à juste titre, le savoir-faire de nos jeunes start-up est justifié, mais parler des emplois industriels du numérique à tous les niveaux de qualifications semble moins « vendeur » dans ces hautes sphères et dans nos médias. Pourtant avec près de 10% de chômeurs dans l’Union Européenne et une désindustrialisation qui s’accélère, ils semblent oublier l’essentiel… Nous rappelons qu’un emploi créé dans l’industrie du semiconducteur ou de l’électronique induit près de quatre emplois indirects. Ensuite, sans construction d’une véritable filière européenne du numérique au sens générique du terme, nous n’aurons plus la taille critique pour exister sur un marché très concurrentiel malgré un savoir-faire technologique largement reconnu et financé depuis de nombreuses années par l’argent public. Alors que le coût des dernières usines de semiconducteur atteint dorénavant plusieurs milliards d’euros, la coopération entre les états européens n’est plus une option mais une nécessité comme à l’époque d’Airbus pour le secteur de l’aéronautique. Malheureusement, la stratégie actuelle de l’UE n’est clairement pas à la hauteur des enjeux de cette filière pourtant considérée officiellement comme étant stratégique.

Relancer la R&D
Un exemple récent illustrant le renoncement en cours dans le semiconducteur est la technologie FDSOI issue d’un développement conjoint, depuis une vingtaine d’année, entre des laboratoires publics, le CEA, Soitec et ST Microelectronics. Alors que la technologie arrive à maturité et pourrait concurrencer les leaders américains et asiatiques du secteur digital sur certaines applications clés (mobilité, internet des objets…), les investissements productifs français et européens sont trop faibles. Seul le fabricant GlobalFoundries dont la production de puces FDSOI se situe en Allemagne pourrait tirer son épingle du jeu, encore faudrait-il une réelle coopération entre les Etats concernés (Allemagne, Italie, France en particulier) et les différents acteurs du secteur…
Un volet important à intégrer au sein de cette filière est la sécurisation des données. Les récents scandales sur le sujet (NSA, Google…) prouvent la nécessité de maîtriser l’ensemble des technologies du numérique. Un autre volet est la prise en compte des aspects énergétiques liés aux Technologies de l’Information et des communications (TIC) lorsque l’on sait que ces dernières représentent déjà 4,7% de la consommation totale d’électricité de la planète et que la demande associée est croissante. L’empreinte écologique des TIC (énergie, métaux rares, pollutions…) demeure forte et doit être limitée.

Placer l’humain au cœur des mutations
D’une manière générale et sur tous ces aspects, une réflexion globale et critique doit être initiée au sein de toute la société civile sur le « Numérique », à partir de l’analyse d’experts indépendants et sur la base de la réponse aux besoins des populations. Les bouleversements inhérents à ces technologies, que ce soient dans notre quotidien (loisirs, informations, achats, relations humaines, surveillance…) ou sur notre lieu de travail (robotisation / automatisation, interconnexion sphère professionnelle et privée, rythme & intensité du travail, contrôle des travailleurs…) doivent être interrogées et maîtrisées. Les salariés devront donc contraindre l’Etat à jouer son rôle de stratège pour replacer l’humain au centre de cette mutation en orientant au mieux les financements publics massifs déjà consacrés au secteur et en intervenant pour la mise en place d’une politique européenne beaucoup plus volontariste.