Robert Kosmann, adhérent à l’Institut CHT d’histoire sociale de la métallurgie vient de faire paraître aux éditions Syllepse un ouvrage intitulé « La perruque : un travail détourné ». En voici la présentation par l’éditeur :
La définition que donne le Larousse du terme «perruque» nous permet d’entrer directement dans le vif du sujet : «Fraude de l’ouvrier qui, détournant quelque matière appartenant à son employeur, la détourne à son profit.»
Cette pratique transgressive consiste donc à utiliser matériaux et outils sur le lieu de travail, pendant le temps de travail, dans le but de fabriquer un objet en dehors de la production de l’entreprise.
Formellement interdite, parfois tolérée, la perruque exprime le savoir-faire des ouvrier·es astreint·es le plus souvent à des tâches répétitives et monotones.
Entre tolérance et clandestinité, entre vol et dû, entre labeur et loisir, entre habitudes et transgressions, entre individualité et appartenance au groupe, la perruque est tout cela à la fois.
La perruque permet de percevoir que les organisations humaines, même les plus rationalisées et les plus encadrées, comportent des interstices de «liberté» et c’est précisément dans ces espaces que se glissent les « perruqueurs ».
L’auteur, fraiseur mécanicien, a pu interroger des dizaines de « perruqueurs » sur leurs bricolages et leurs créations. Il trace également un tableau complet des débats, des études sur cette contestation du travail prescrit.
Un témoignage d’un salarié de Renault cité dans le livre permet de comprendre l’ampleur du phénomène : «Mon premier travail sur une perruque fut officiel. Il s’agissait de façonner les pédales, en bois composite, pour la construction d’un pédalo grandeur nature réalisé pour un directeur. Puis, devenu responsable d’un site laser de découpe, j’ai été amené à faire tout un tas de perruques dans divers matériaux (acier, matière plastique, bois, etc.) pour les copains. En fait tout ce qui pouvait se découper à plat : grille de barbecue, pièces diverses, porte-clés, pins, éléments décoratifs. […] Ce qui m’intéressait, c’était la perruque informatique.»
Malgré la désindustrialisation relative, cette pratique est-elle encore actuelle ? L’auteur s’interroge, à partir d’exemples récents, sur sa permanence et son expression dans les entreprises de services et dans les bureaux.
Des opinions émises par des sociologues, ethnologues et anthropologues du travail éclairent la discussion:
«La perruque est non seulement une résistance ouvrière à l’ordre industriel mais aussi une forme de résistance au désordre industriel», les perruqueurs justifiant « un droit de préemption au nom d’une bonne gestion du gaspillage industriel ».