Le texte reproduit ci-après est signé de Willy, Jean-Pierre et Daniel Cling.

Maurice Cling s’est éteint lundi 23 novembre 2020 au matin. Lui qui aimait tant les mots et la précision n’aurait pas aimé qu’on euphémise la mort et nous aurait repris sur le terme si on lui avait fait lire ce faire-part pour approbation. Mais Maurice était lumineux. Il était notre phare. Son regard toujours tourné vers l’avenir puisait dans le passé des ressources inestimables, d’analyse et de réflexion sans cesse réactivées.

Depuis 75 ans et son retour de déportation, il considérait que chaque jour supplémentaire en vie était une victoire sur les nazis qui avaient massacré notre famille et auxquels il avait miraculeusement survécu. Arrêté dans sa classe le jour de son 15e anniversaire en mai 1944, c’est avec son frère aîné, Willy, âgé d’à peine 17 ans, sa mère, Simone, 41 ans et son père, Jacques, 50 ans, immigré de longue date, d’origine roumaine, naturalisé français, ancien combattant volontaire de la Grande Guerre, plusieurs fois décoré, qu’il est interné à Drancy puis déporté le 20 mai 1944 par le convoi n° 74.

Projeté dans un monde dans lequel il ne comprenait rien, où les valeurs étaient l’exact opposé de celles dans lesquelles il avait grandi, Babel de langues incompréhensibles, Maurice Cling a fait des mots une de ses raisons d’être, devenant linguiste après avoir fait des études de langues française et anglaise. Actif durant des décennies à l’Amicale d’Auschwitz, puis à la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (FNDIRP) dont il deviendra président-délégué, il est resté jusqu’à très récemment membre du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de la Déportation.

En 1999, le livre qu’il a écrit pour témoigner de son expérience concentrationnaire commence par ces mots : « Le sentiment du devoir impérieux de transmettre ce passé capital s’est imposé à moi avec de plus en plus de force au fil des années. (…) Je suis probablement le seul survivant, un demi-siècle plus tard, à pouvoir témoigner, par exemple, de mon frère Willy, d’Éva, des « politiques » français d’Auschwitz et de Dachau que j’ai connus. Je tiens leur mémoire entre mes mains et s’ils revivent ici, je n’aurai pas été sauvé en vain. »

Maurice  a  commencé à témoigner au début des années soixante et n’a pas cessé  depuis  qu’il  a  pris  sa retraite  à  la  fin  des  années  quatre-vingt. Malgré la maladie de Parkinson qui l’affaiblissait de mois en mois, son énergie et sa capacité d’indignation sont restées intactes. Avec la conviction chevillée au corps que sa vie n’avait de sens que s’il continuait à militer pour la mémoire de déportation, il a continué à témoigner, l’an dernier en langue anglaise pour la BBC et peu de temps avant le confinement dans un établissement scolaire voisin des Invalides. De son expérience, Maurice a retiré une volonté farouche de comprendre, s’inscrivant en faux contre ceux qui tentent d’évacuer Auschwitz  hors  de  l’Histoire, hors  des  luttes  séculaires  et  de  la  sphère  de  l’intelligibilité,  en  évitant par  là  même  de  s’interroger  sur  la  complexité  des  enchaînements  historiques  et  sur  l’ensemble  des  responsabilités.

En 2016, invité avec Paulette Sarcey par l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie, quand il est questionné sur ce qui motive son militantisme et les raisons pour lesquelles il continue à témoigner aujourd’hui, il répond : « On parle beaucoup d’Auschwitz, parfois plus que de la Résistance, mais on ne parle pas des causes de la Shoah (« catastrophe » en hébreu). Après la Première Guerre mondiale, on a parlé de la « der des der », puis après la deuxième, on a dit « plus jamais ça ! », mais on ne parle pas des causes de ces guerres. Cette question est pourtant capitale si l’on veut éviter qu’elles se reproduisent. Si l’on ne parle pas de Munich et du Front Populaire, on ne peut pas comprendre ce qui s’est passé à Vichy. Or les mêmes causes produisant les mêmes effets, cela risque de se reproduire mais en pire. Les nazis ont en effet été arrêtés dans leur élan par la coalition anti-fasciste mais s’ils ne l’avaient pas été, il y aurait eu des millions de morts supplémentaires. Avec les évolutions technologiques, on imagine donc facilement ce que pourraient faire les « héritiers » des nazis. (…) »

Imaginer Maurice éteint ? Peut-on finalement choisir idée plus saugrenue ?

Une cérémonie officielle se tiendra dans la cour d’honneur des Invalides le vendredi 27 novembre 2020 à 10h30. La Fondation pour la Mémoire de la Déportation à laquelle Maurice avait choisi de consacrer ses dernières forces sera représentée par son président Serge Wolikow. Compte tenu de la situation sanitaire, cette cérémonie ne pourra pas accueillir de public, mais des photos et un enregistrement seront disponibles ultérieurement.

Maurice sera ensuite conduit au cimetière du Père-Lachaise où nous honorerons une dernière fois sa mémoire le mercredi 2 décembre 2020 à 14h30. La crise sanitaire nous imposant un nombre très limité de participants à la cérémonie de crémation, nous nous excusons de ne pouvoir vous inviter dans la salle, sauf assouplissement qui interviendrait d’ici-là. Si vous souhaitez toutefois participer, nous nous retrouverons en mémoire de Maurice avant la cérémonie du Père Lachaise, le long de l’avenue transversale n° 3, entre la division 87 et la division 88 à 13h45 (par la porte Gambetta).

Vous pouvez retrouver le compte-rendu de la conférence organisée en avril 2015 sur la libération des camps nazis : https://ftm-cgt.fr/wp-content/uploads/2020/12/2015-repas_anciens_BD.pdf.