En 2005, lors d’un séjour en Corée du Sud, la Fédération avait visité plusieurs chantiers navals et constaté un niveau économique et sociale, toute chose égale par ailleurs, assez proche du notre.
Des horaires de l’ordre de 40 à 44 h par semaine, un pouvoir d’achat similaire, des congés payés du même ordre de grandeur malgré un exercice du droit syndical difficile (la chute de la dictature ne date que de 1986). Cela n’empêchent pas les syndicats de mener des batailles.

Droit Syndical

En 2008, la délégation de la CGT métallurgie avait constaté une première dégradation sur le droit syndical avec la rencontre du Secrétaire général de KMWU (la Fédération des métallurgistes de la KCTU) en prison où il était retenu pour avoir organisé des manifestations dans le pays qui avait «pénalisées le bon déroulement des affaires » pour lesquelles des dirigeants d’entreprises avaient porté plainte en toute légalité. Nous avions rencontré des militants de SangSyong licenciés, comme l’ensemble des salariés de leur entreprise, qui était cerné par un cordon étanche de policiers.
Il s’agissait en fait d’un lock-out visant à réduire massivement le nombre de salariés suite à une délocalisation en Chine et à ne réembaucher que des non syndiqués. Autrement dit, l’objectif était de décapiter le syndicat.

L’exemple de Faurécia

Cette méthode sera largement utilisée à partir de 2008, au prétexte de la crise et des économies nécessaires à réaliser. Et ceci d’autant plus aisément, que le tribunal du travail n’existe pas. Effectivement, il faut recourir à la justice pénale où les employeurs gagnent quasiment systématiquement. Lorsqu’ils sont condamnés, comme c’est le cas pour Faurecia (qui a utilisé en 2009 cette manière de faire), le plus souvent, ils préfèrent payer des indemnités pour être débarrassés des syndicalistes. Lorsqu’ils perdent les employeurs font appel puis se pourvoient devant la Cour Suprême de la République si ils sont de nouveau perdant. Tout cela peut prendre de 8 à 12 ans.
Dans le cas de Faurecia, après 4 ans de luttes, les syndicats attendent la convocation devant la Cour Suprême, après avoir fait reconnaitre que la non réembauche des syndiqués étaient une discrimination sans contraindre l’employeur à s’exécuter. Depuis le Lock-out de 2010, la Direction ne réembauche que ceux qui s’engagent à ne pas se syndiquer à KMWU et sous des contrats précaires. Malgré tout, il reste 8 syndiqués à KMWU sur 150 précédemment dans l’entreprise. Une fois débarrassé des militants syndicaux, il se trouve toujoursquelques individus pour créer une structure «bidon» que l’employeur se presse de reconnaitre comme syndicat pour négocier et signer des accords.
Chez Faurecia, le syndicat jaune a ainsi cassé tous les accords d’entreprise signés avant 2008. Le résultat ne s’est pas fait attendre, l’horaire hebdomadaire est passé à 76h au lieu de 44 auparavant. De plus, le taux horaire a baissé de telle sorte que même avec les heures supplémentaires, le salaire est resté quasiment identique. Enfin, histoire de décourager les bonnes volontés, les membres de KMWU ne bénéficient pas de la participation aux bénéfices et n’ont qu’exceptionnellement accès aux heures supplémentaires, pourtant nécessaires pour survivre.

La crise financière asiatique de 97

Cet exemple illustre parfaitement ce qui s’est passé en Corée du Sud ces 15 dernières années. L’économie du pays a été balayée et mise à genoux en raison de la grave crise financière asiatique de 1997 et des conséquences des politiques de libéralisation économiques impulsées par l’OCDE à partir de 1988. Les mesures des plans d’ajustements structurels du FMI, sensées y porter des remèdes, n’ont fait qu’aggraver la situation. Sans entrer dans le détail, en contre partie des prêts du FMI et de la Banque Mondiale, il a été demandé à la Corée de réduire son déficit budgétaire, de mener une politique monétaire très restrictive et de libéraliser totalement le marché du travail (basic employment act de février 1998). De plus, la TVA a été augmentée et le budget ne doit pas présenter de déficit. En conséquence, un tiers des employés des banques ont été licenciés. Une entreprise comme Hyundai (1er conglomérat national) a baissé les salaires de 10 à 15% et a licencié environ 20 000 salariés du fait de la fin de l’obligation d’un accord syndical pour restructurer le licenciement et de l’autorisation de licencier au motif de «nécessités managériales urgentes». Les salaires réels dans le pays ont baissé de 12,5 % et 632 000 emplois industriels ont été détruits en 1998. Le travail précaire, inconnu alors, est aujourd’hui autorisé avec 220 000 contrats de ce type signés en 1998. La loi autorise ainsi les agences d’intérim à s’implanter (Manpower leasing act). Dans le même temps, le taux de chômage est passé de 2,6 % en 1996 à 7,6 % en 1999. Le nombre de suicide dût à la perte de son travail est estimé à 13 000 par an en 1997. En moyenne annuelle, le taux de pauvreté a augmenté de 10 points, passant de 9,6 % en 1996 à 19,2 % en 1998.

Les conséquences sociales de la crise 15 ans après

On mesure combien les dispositions législatives prises pendant la crise asiatique de 1997 ont bouleversé le paysage social du pays. Ces mesures ont mis du temps à déployer leurs effets négatifs. Aujourd’hui, plus de 50 % des emplois sont précaires. Ce taux monte à 70 % dans l’industrie manufacturière. Le chômage a effectivement diminué, mais 60 % des salariés travaillant sur le chantier naval de STX travaillent plus de 70 heures par semaine, soit 7j/7. 1650 ont un CDI, 5000 sont précaires auxquels s’ajoutent les 3000 « cols blancs » des bureaux d’études qui n’ont même pas le droit de se syndiquer. Ils travaillent sans compter leurs heures, y compris les week-end, et sans rémunération des heures supplémentaires.

La Corée, un modèle «social» pour le patronat français?

Les mesures de casse du droit du travail mises en place en 1997 ont mis plus de 15 ans à produire leurs effets. Nous vivons en France et en Europe une phase d’attaques massives des dispositions sociales conquises au fil des luttes. Ce qui s’est passé et ce qui se passe en Corée doit nous interpeller car la moindre dégradation, même minime, de nos droits s’accumulent années après années et, changement de génération au travail aidant, nous pouvons nous retrouver dans des conditions sociales que nous connaissions au 19ème siècle. Au regard de ce qui se passe en Corée, il n’est pas exagéré de l’affirmer. Nous avons raison de nous opposer de toutes nos forces aux mesures « d’adaptation pour faire face à la concurrence», à la flexibilisation du « marché du travail », aux « souplesses » demandées par nos employeurs, et autres dispositions régressives. Il n’y a pas de limite et les sirènes qui réclament la fin des 35 h ou le travail du dimanche ont déjà en tête un «modèle » Coréen de 70 h par semaine, 7j/7. Il est temps de dire «STOP», de mener ici et là bas des actions syndicales concrètes. Faurecia et Valeo sont très présents en Corée et abusent de toutes les ficelles anti-sociales. Renault-Samsung à Busan, fait preuve d’un activisme anti-syndical particulièrement imaginatif.

Ne les laissons pas faire.
Agissons ici pour nos droits et ceux de nos camarades de Corée et d’ailleurs.