Le texte ci-dessous est la retranscription de l’hommage prononcé par Frédéric Sanchez, secrétaire général de la FTM-CGT, aux obsèques de Jean-François Caré.
Il me revient aujourd’hui, en tant que secrétaire général de la fédération CGT des travailleurs de la métallurgie, de prononcer, au nom de tous les métallos, quelques mots en hommage à celui que beaucoup appelaient affectueusement Jef, notre camarade Jean-François Caré.
Ces mots, ils émanent de toutes les réactions, les témoignages qui nous sont parvenus dès que la nouvelle est tombée, mercredi dernier.
Malgré son absence à nos côtés depuis qu’il s’était réfugié au sein de sa famille pour affronter de terribles souffrances, il n’était pas oublié. Les réaction nombreuses et immédiates à l’annonce de sa mort témoignent de la place qu’il avait gardé dans les rangs de la CGT.
Le camarade que nous accompagnons aujourd’hui vers sa dernière demeure a profondément marqué notre organisation. Son engagement, sa détermination et son expérience syndicale nous manquent.
Jean-François était un gars du Nord. Et tous ceux qui l’ont connu peuvent en témoigner.
Il était né en 1951, ici même, à Dechy, dans la maison familiale qui aura vu ses premiers cris et ses derniers soupirs. C’était dix ans après la grande grève des mineurs. Ce formidable mouvement social, acte de résistance. Une des plus belles et des plus grandes réactions du peuple de France contre l’envahisseur, le gouvernement de Vichy et les patrons collabos et exploiteurs.
Jean-François restera toute sa vie attaché à la mémoire de ses gueules noires qui sont la fierté du bassin minier, du mouvement ouvrier et de la France qui ne renonce jamais à se battre.
Investi dans les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes puis à l’Action Catholique Ouvrière, il fait ses premières armes en 1968 en participant activement à la grève et au blocage de son lycée technique à Douai.
Après avoir obtenu son baccalauréat il est incorporé au 35ème régiment à Montauban comme volontaire parachutiste. Bien que promu sous-officier, il écope de 30 jours d’arrêts pour avoir protesté contre la réduction d’une permission et se voit muté dans un régiment disciplinaire.
Une fois libéré de ses obligations militaires il entre comme ouvrier dans une petite entreprise de charpente métallique. Mais très vite le voilà en grève avec ses camarades pour revaloriser les salaires. Après dix jours de lutte, et 7% d’augmentation arrachés au patron, il est élu délégué du personnel sur une liste CGT. Il n’a pas les six mois d’ancienneté requise mais le militant métallo est né.
Dès lors, il sera de toutes les luttes. Membre de l’USTM Flandres-Douaisis, il s’engage aux côtés des sidérurgistes dans leurs grandes luttes à Denain et au-delà. Plus tard, il participera à la création et la diffusion de Radio Quinquin, particulièrement à Auby.
En 1973, il est embauché dans la toute nouvelle usine Renault de Douai. Un an plus tard, outilleur à l’emboutissage, syndiqué CGT, il est membre du comité d’hygiène et de sécurité, délégué du personnel, puis membre et secrétaire du comité d’établissement, du comité central d’entreprise en avril 1978 avant d’être désigné par la CGT, administrateur salarié de la Régie nationale des usines Renault en novembre de la même année.
L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, permet d’arracher 1000 embauches, faisant passer l’usine à plus de 9000 salariés. Mais profitant du tournant de la rigueur en juillet 1984, la direction entame le démantèlement des ateliers. Deux robots de soudure sont démontés pour être envoyés dans une usine du groupe en Espagne. La lutte s’organise et permet leur rapatriement. En septembre, une grève de 48 jours éclate à l’annonce d’un vaste plan de licenciement.
Secrétaire général du syndicat CGT, il fêtera la victoire avec les 1280 syndiqués.
En lutte permanente pour l’amélioration des conditions de travail, la sauvegarde de l’emploi et contre les atteintes aux libertés syndicales il est l’un des principaux opposants à la dénationalisation du groupe Renault et à la fermeture de l’usine de Billancourt.
Face à son engagement intransigeant, la direction obtient son licenciement en décembre 1985.
Au 32e congrès de la fédération à Marseille en 1986, il est élu au comité exécutif. Il assumera cette responsabilité nationale jusqu’au 37e congrès en 2004.
Membre du bureau fédéral à partir de 1993, il travaille au secteur Organisation avant d’être appelé à réorganiser l’activité internationale.
C’est un formidable défi dans une période ou la CGT renonce à son engagement au sein de la Fédération Syndicale Mondiale. Désaffiliée de toute adhésion internationale, l’organisation risque l’isolement. Jean-François va alors réaliser un formidable travail. Il met en place un collectif capable d’organiser des initiatives d’ampleur au niveau mondiale par filières, dans l’automobile, la sidérurgie, l’aérospatiale. La CGT et notamment la métallurgie sont désormais au cœur des débats qui animent le syndicalisme internationale. Jean-François fait le tour du monde. Comment ne pas évoquer à cette occasion le sacrifice consenti par sa famille, quand le mari et le père s’absente si souvent et pour partir si loin.
Il est connu et reconnu aux quatre coins de la planète, le « gars rond qu’on appelle carré » comme l’appellera un responsable syndical canadien. Son collectif se montre apte à répondre à toutes les sollicitations et les fédérations de la CGT n’hésitent pas à faire appel à ses compétences et son expérience. La fédération du commerce garde un souvenir ému de sa capacité à trouver une solution à toutes les difficultés et de sa disponibilité dans l’organisation de leur congrès.
N’oublions pas son engagement dans la solidarité avec les camarades algériens en lutte contre les terroristes dans une cette guerre civile qui ravage l’Algérie. Rappelons-nous le secrétaire général des métallos assassiné par le FIS.
C’est toute la CGT, qui dans le contexte délicat de l’époque, s’est enrichie de ce travail de fond pour les luttes et la solidarité internationale.
Durant toutes ses années où il travaillait avec les premiers dirigeants syndicaux, ou il côtoyait avec fierté Fidel Castro ou Yasser Arafat, il conservait son bleu de travail, accroché dans un coin de son bureau, non pas comme souvenir, mais comme un rappel permanent des réalités que d’autres continuaient à vivre sur la chaine. Il est toujours demeuré prêt à reprendre à tout moment sa place auprès d’eux. Certains se rappellent son émotion et la souffrance encore présente lorsqu’il lui arrivait d’évoquer ses années vécues à leurs côtés dans l’enfer de l’exploitation capitaliste.
Militant syndical mais aussi politique il rappelait sans cesse ce que l’on devait à nos anciens, Ambroise Croizat, Jean-Pierre Timbaud, Roger Linet, Henri et Cécile Rol-Tanguy, Henri Martel, député communiste du Douaisis et dirigeant des mineurs et Célestin Leduc, grand résistant, arrêté dans son estaminet en septembre 1941 et fusillé comme otage avec 35 de ses camarades le 14 avril 1942.
L’estaminet de Célestin. Jean François parviendra à sauvegarder ce haut lieu de la résistance pour en faire un musée dont il assurera la présidence. Il ira même jusqu’à faire nommer la place devant celui-ci, Jean Desmaison, du nom de notre secrétaire général, disparu il y a trente ans et qui fut l’un des initiateurs de la réappropriation par les métallos de leur histoire.
C’est en hommage à Jean-François que nous irons, tout à l’heure nous y recueillir,
Homme d’aspect bourru, il était animé au plus profond de lui de solidarité et de fraternité. Son intransigeance masquait sa crainte permanente que les principes fondamentaux de notre organisation ne soient dévoyés ou détournés, que l’homme qui doit demeurer au cœur de notre action ne soit pas oublié. Il demeurait profondément attaché au message qu’un homme, il y a deux mille ans, a adressé à l’humanité entière.
Passionné d’histoire, il a toujours eu la volonté de s’appuyer sur le passé dans son activité. Retrouver notre mémoire pour être plus lucides, plus efficaces.
Il était tout naturel qu’il fût l’un des créateurs avec Bernard Lamirand, de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de la Métallurgie. Il en sera le secrétaire général. Avec Jean-Pierre Elbaz, ils en assureront le développement. Initiatives, rencontres, colloques, conférences, publication des cahiers de l’Histoire, de plaquettes, d’ouvrages sur Jean-Pierre Timbaud ou Hélène et Alain Stern. Mais également redonner au syndicalisme la mémoire de son lien étroit avec les artistes.
Lui-même passionné de sculpture il mettra en avant les œuvres d’artistes militants tel Jean Amblard et Boris Taslitzky. Il assurera la sauvegarde de leurs œuvres, propriété de la fédération, en organisant leurs restaurations dans le cadre de prêts avec différents musées notamment à Denain et Port de Bouc.
En 2015, Jean-François fait valoir ses droits à la retraite. Il se replie sur son pays de nord. Secrétaire général de l’IHS CGT du Douaisis il reste un militant politique et syndical dans sa ville, élu municipal communiste à Dechy jusqu’en 2020, conservant un regard vigilant sur son cher musée Célestin Leduc.
Mais la maladie est déjà là. Jean-François s’est éteint parmi les siens, dans sa maison de famille, près de ce jardin, ses plantations, qui lui apportaient tant de joie et dont il était si fier.
Permettez-moi de vous saluer, Jacqueline, Virginie, Bénédicte, Alexa, Jali, Bonnie. Vous qui avez partagé tant de joie mais aussi tant de souffrances et tant de peines.
Est-il besoin de vous dire que vous pouvez être fiers de lui ?
Pour notre part nous sommes fiers et reconnaissants d’avoir pu le compter dans nos rangs. Il nous reste à poursuivre son combat et garder en mémoire ce qu’il a su nous apporter par son expérience, sa détermination et son attachement à nos valeurs.
Jean-François tu as su être digne du monde ouvrier dans sa longue lutte pour la dignité et l’émancipation sociale.
Ton nom est inscrit dans le grand livre de notre histoire.
Merci camarade.