Le 11 mars 1811, dans le village d’Arnold, près de Nottingham (Angleterre), un rassemblement d’ouvriers du textile s’achève sur la destruction de plusieurs métiers à tisser. Menée au nom d’un leader imaginaire, Ned Ludd, cette émeute donne le signal d’un violent conflit industriel.
Entre 1811 et 1813, les ouvriers et ouvrières détruisent ainsi plus d’un millier de machines dans les Midlands, tandis que plusieurs usines sont incendiées dans le Lancashire. Il ne faudra pas moins de 12 000 soldats pour contenir l’insurrection, dont les soubresauts se firent sentir jusqu’en 1817.
Cet épisode spectaculaire n’est toutefois pas un phénomène isolé. Partout en Europe, l’industrialisation s’accompagne de luttes ouvrières et de bris de machine durant plus d’un demi-siècle.
Des ouvriers contre le progrès technique ?
Le terme « luddisme » est rapidement mobilisé par le patronat et l’État pour discréditer les autres révoltes ouvrières. Il devient synonyme d’une attitude rétrograde, archaïque à l’égard du progrès technique. Taxé d’obscurantisme, le luddisme s’efface dans les limbes.
Il ressurgit à l’occasion des débats politiques sur la négociation collective en Angleterre après la Grande Guerre, avant de faire l’objet de belles études par deux grands historiens, E. Hobsbawm et E. P. Thompson. Celles-ci réhabilitent les luddites, en démontrant que ces émeutes ne se cantonnaient pas à la dénonciation des machines, mais luttaient plus largement contre les nouvelles méthodes de travail mécanique.
Loin d’être marginaux, les luddites étaient des ouvriers qualifiés qui refusèrent la déqualification, la baisse des salaires, le chômage, l’amoindrissement de la qualité des produits et le bouleversement des équilibres économiques et sociaux locaux qui accompagnaient la mécanisation.
Confrontés au rejet de leurs revendications formulées de manière pacifique, ils n’eurent d’autres choix que de s’en prendre aux machines, pour contraindre le patronat à négocier et à prendre en considération les attentes ouvrières.
Le bris de machines disparaît au milieu du XIXe siècle du répertoire d’actions ouvrières pour de multiples raisons. Parmi elles, relevons la violence de la répression et le cheminement des idéologies de gauche, qui s’intègrent progressivement dans un consensus favorable au productivisme en défendant l’idée que la classe ouvrière peut « s’affranchir par les machines ».
Une leçon pour aujourd’hui
Quelle leçon retenir de cet épisode aujourd’hui, en ces temps où « l’usine du futur », « l’économie numérique » amorcent de profonds bouleversements dans la structure et le fonctionnement de l’économie ?
Aujourd’hui comme hier, l’enjeu principal de la lutte est de garantir que les évolutions techniques ne se feront pas au détriment des travailleurs, par la déqualification, la baisse des salaires ou le chômage, mais qu’au contraire, celles-ci se traduiront en disparition de tâches pénibles, en réduction du temps de travail, en élévation des qualifications. En clair que l’intelligence et l’énergie collective soient mises au service de la satisfaction des besoins sociaux de la population et non au bénéfice d’une minorité de possédants.
Deux questions s’imposent dès lors pour répondre à cet enjeu : celle du pouvoir de contrôle des travailleurs sur la production et celle de la possession des moyens de production. Les revendications et le répertoire d’actions sont là pour apporter des perspectives aux travailleurs et permettre de construire un rapport de forces suffisant pour faire éclore un nouveau monde, plus juste.